Comme nous l’enseignent les immortels auteurs de Frou-Frou, « La femme porte quelquefois / La culotte dans le ménage ; / Le fait est constaté, je crois, / Dans les liens du mariage ». Dans cette production munichoise de La Favorite, Léonor arbore les trois quarts du temps un tailleur-pantalon, symbolisant sans doute sa domination – au moins morale – sur les deux protagonistes masculins, ici dépeints comme de véritables gamins immatures. Ah, la naïveté de ce simplet de Fernand ! Et cet Alphonse, macho qui roule des mécaniques mais qui n’est jamais qu’un sale gosse, comme le montre ce grand moment de théâtre qu’est ici le ballet, transformé en projection de film (invisible) à laquelle assistent le roi et sa maîtresse : en cinq minutes, cette scène muette traduit admirablement la relation entre les deux personnages.
Autrement dit, la mise en scène d’Amélie Niermeyer s’impose par de solides qualités dramatiques ; c’est également à elle qu’on doit l’Elisabetta regina d’Inghilterra montée à Vienne et que Christophe Spinosi a présentée en concert à Versailles. Le jeu des acteurs est remarquable, porté par des physiques assez cinématographiques, il faut le dire. On sera moins enthousiastes pour des costumes assez ternes (du moins avant le finale du troisième acte) et un décor monumental mais encombré de chaises hideuses. On est cependant à cent lieues du statisme et des mouvements vains de la seule vraie version concurrente, qui nous vient du Capitole de Toulouse.
Musicalement, l’oreille est gâtée par quelques timbres somptueux, à condition de ne pas s’intéresser de trop près au texte. Elina Garanča joue des charmes capiteux de sa voix, mais escamote toutes les consonnes qui l’embarrassent, et tous les sons sont un peu trop uniformément couverts pour qu’on y trouve des voyelles vraiment françaises. Baryton solide, mais pour un personnage auquel la mise en scène retire toute grandeur, Mariusz Kwiecień articule mieux. Néanmoins, on regrette le temps où notre répertoire était encore assez dominant pour que les chanteurs étrangers s’expriment dans un français limpide (écoutez Bidu Sayao et Jussi Björling dans Roméo et Juliette, vous comprendrez). Les e, é et è posent des problèmes à plus d’un, et la notion de diérèse semble bien oubliée – essayez pourtant de chanter Frou-Frou sans prononcer « li-ens du mari-age » et vous serez bien embarrassé. Incontestablement, en matière de diction, Matthew Polenzani est le plus à l’aise, avec un français impeccable, et une belle voix claire qui atteint sans difficulté les aigus de Fernand. Mika Kares possède un timbre de basse où l’on aimerait entendre parfois plus de noirceur. Et l’on saluera notre compatriote Elsa Benoît, en troupe à Munich depuis quelques années, qui arrache Inès à la cohorte des sopranos pépiantes pour en faire un vrai personnage, grâce à une voix plus corsée que les coloratures n’en offrent en général.
Dans la fosse, Karel Mark Chichon dirige la partition de Donizetti comme elle le mérite, avec tout le sérieux justifié par l’ambition de ce quasi grand opéra à la française. La noblesse que n’ont pas forcément sur scène les personnages du drame, on l’entend en tout cas dans la musique, dans les sonorités soyeuses d’un orchestre en grande forme.
Ce DVD semble donc pouvoir s’imposer en tête d’une vidéographie par ailleurs assez restreinte. Un regret, néanmoins : serait-il possible de trouver une solution pour que les micros captent les chanteurs, mais pas le souffleur qui, à chaque entrée du chœur, clame haut et fort le premier mot de chaque vers ? Enfin, on se demande à qui a été confié le sous-titrage français, émaillé de coquilles (« Ah ! que je meurs » à la Johnny, ou ce S superflu qu’un petit malin a cru bon de rajouter dans « A mes serments infidèles, j’ai… »).