A l’occasion de son 90e anniversaire, le chef Herbert Blomstedt a enregistré, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (qu’il dirigea de 1998 à 2005), un coffret intégrale des symphonies de Beethoven, dont cette Symphonie n° 9 captée en concert le 31 décembre 2015.
Clarté et précision de la direction, toute en élégance et en retenue, sont les caractéristiques indéniables de cette version haute en couleurs. Du début à la fin de l’œuvre, on est frappé par la recherche permanente d’équilibre des pupitres, à la fois dans leurs couleurs et dans les nuances, la recherche d’un esthétisme. On savoure chaque note avec délectation tant le son est beau, au détriment parfois de l’expression, ce qui crée une distorsion gênante entre le manque de transport ressenti et cette beauté sonore.
Le premier mouvement, est dirigé avec panache jusqu’à la cadence. Tempi soutenus et pléthore de contrastes alternant ombres et lumières apportent à l’Allegro ma non troppo le mystère et la puissance nécessaires. Le motif langoureux du second thème est envoûtant, grâce au velours des cordes que Blomstedt fait ressortir, puis mystérieux, mais jamais menaçant. S’ensuit la réexposition du premier thème avec toute la tension dramatique nécessaire savamment distillée et maintenue jusqu’à la cadence bien amenée, mais à des années-lumière de la terreur qu’y apportait Furtwangler en 42 à Berlin… La comparaison peut paraître osée car si Beethoven a conçu ce Allegro initial comme une lutte tragique, les circonstances historiques et le drame personnel que vivait Furtwangler à cet instant n’ont et n’auront aucun équivalent. Néanmoins il subsiste un petit pincement au cœur à l’égard de ce superbe premier mouvement et qui perdurera tout au long du Scherzo Molto Vivace.
Très plaisant à entendre, ce second mouvement ne parvient jamais à ensorceler son auditoire. La rythmique y est impeccable, très appuyée, parfois trop : les percussions et timbales abrupts, empêchent toute exaltation de l’âme, sans pour autant s’avérer pachydermiques. L’Adagio, après un premier thème un peu dur, se colore dès le thème B d’une douceur inouïe, installant un climat d’apaisement et de joie. A l’instar des deux mouvements précédents, chaque pupitre sonne très distinctement. Les tempi sont également rapides, voire guillerets à la fin, au point de ne pas laisser toujours respirer la musique. D’où le second pincement au cœur. En d’autres termes, Blomstedt apporte une infinie poésie contemplative mais aucune intériorité à ce 3e mouvement qu’il n’aborde décidément pas comme une prière.
Les premiers accords du 4e mouvement sont ronds et feutrés. Mais cette absence d’attaque abrupte et tonitruante lui ôte sa dimension solennelle. L’évocation des mouvements précédents sonne délicatement et l’arrivée de l’ode à la joie à l’orchestre est majestueuse sans jamais être pompeuse ni grandiloquente. Le quatuor vocal est de très bonne volée et très équilibré. On reprochera ça et là aux interprètes masculins, si l’on est pointilleux, quelques ports de voix et effets peu heureux dans leurs solos mais les timbres sont plaisants et le mélange des voix fonctionne parfaitement. Le timbre clair de Christian Gerhaher nous gratifie d’aigus solaires et de graves moelleux malgré un vibrato un peu gênant dans le récitatif. Et la voix légère et céleste de Simona Saturova atteint des merveilles dans la phrase précédant la cadence finale du mouvement. Les chœurs sont splendides et déploient une richesse de nuances et de couleurs étourdissante. La dynamique orchestrale confère toute la ferveur requise pour l’hymne à la joie. Alors que les précédents mouvements s’avéraient plus descriptifs et mystérieux qu’intériorisés et mystiques, la seconde partie du dernier mouvement (à partir de la joie religieuse* – Seit Umschlungen Millionnen) revêt enfin les qualificatifs requis par la partition. Chaque note est parée d’une retenue extrême avec pour apothéose le dernier quatuor des solistes qui confine presque au sublime. Puis, les premières notes de la joie héroïque (Froh wie ein Held zum singen) nous ramènent sur Terre et nous accompagnent avec élégance jusqu’à la Joie populaire. Allégée et aérienne, cette cadence magistrale nous régale jusqu’au dernier accord, grandiose.
Mais est-ce vraiment ce que voulait Beethoven? L’hymne à la Joie est, musicalement, un thème (exposé par le choeur et repris en réponse solistes-choeurs) suivi de variations correspondant aux strophes du poème de Schiller choisies par Beethoven dont le contenu décrit différents types de joie : Joie religieuse (Seit umschlungen Millionnen – c’est bien un hymne religieux qui requiert solennité et intériorité) ; Joie héroique (choeur d’hommes , Froh wie ein Held zum singen – avec une musique de type militaire et une orchestration adéquate : piccolos et petite harmonie, rythme de marche ) et enfin Joie populaire. Beethoven adorait ce type de réjouissances populaires ne brillant pas par leur élégance et il s’en est visiblement souvenu dans ce final.