Il y a quelques mois paraissait le premier récital au disque d’Aïda Garifullina, aussi prématuré que mal ficelé, avec un programme de bric et de broc, et des arrangements stupéfiants de mauvais goût. Cet été, Olga Peretyatko, dans un répertoire semblable, livre une réussite complète : plus expérimentée, mieux conseillée, mieux entourée, elle triomphe là où sa jeune consœur se fourvoyait.
Pourtant, mademoiselle Garifullina a pour elle le précieux atout de l’extrême fraîcheur d’une voix qui a ravi le public parisien dans Snégourotchka ce printemps. La couleur juvénile de son timbre convient à merveille à ces personnages de toute jeune fille pour lesquels les compositeurs russes ont voulu la légèreté des sopranos coloratures. Oui, mais ces mêmes compositeurs ont également utilisé cette voix pour les fées et les magiciennes, pour lesquelles l’autorité d’une voix un rien plus mûre est indispensable. Sur ce terrain-là, Olga Peretyatko l’emporte à plates coutures : voyez sa princesse de Chemakha ou sa Volkhova. Et de même qu’il n’existera jamais de Butterfly de quinze ans sur scène, l’on s’accommode fort bien d’entendre cette grande rossinienne jouer à la jouvencelle et s’amuser, tout comme elle peut être une candide Gilda, à devenir une primesautière Ludmilla. Quant à la Marfa de La Fiancée du tsar, on sait que le rôle fut souvent confié à des voix plus larges (Vichnevskaïa, par exemple), il est évidemment préférable de ne pas la laisser à des chanteuses en tout début de carrière.
Autre avantage de la maturité, le dramatisme intense qu’Olga Peretyatko est capable de conférer aux mélodies qui composent une moitié du programme de ce disque : pour en juger, écoutez le célèbre « Ne chante pas, la belle » de Rachmaninov, qui prend ici toute sa charge nostalgique. Bien sûr, on aurait pu souhaiter parfois plus d’audace dans le choix des titres – avec les mélodies, justement, on ne sort pas un instant des tubes du genre – mais il y a déjà tout lieu de se féliciter que la soprano ait osé dépayser ses admirateurs attachés à l’opéra romantique italien. Sony a par ailleurs bien fait les choses, en proposant le texte des airs en cyrillique, au lieu de recourir à une translittération valable dans une seule langue, avec en regard les traductions anglaise et allemande. L’Orchestre philharmonique de l’Oural n’est sans doute pas la plus médiatique des formations, mais Dmitri Liss le dirige avec intelligence à travers des styles variés, l’inclusion du Stravinsky du Rossignol faisant soudain entendre une orchestration bien différente de tout ce qui a précédé.
Le livret d’accompagnement prend bien soin, lui, de nous prouver que ce disque n’est nullement coupé de ce qu’Olga Peretyatko chante sur scène. Un DVD Bel Air nous l’avait montrée, superbe, dans La Fiancée du tsar mis en scène à Berlin par Dmitri Tcherniakov, et le public français se souviendra peut-être de l’avoir vue dans Le Rossignol à Aix-en-Provence, ainsi qu’à Lyon, où elle interpréta aussi Moscou, quartier des cerises, « opérette » de Chostakovitch qui sera à l’affiche à Paris en février prochain.
Maintenant, espérons que ce récital convaincra les directeurs de maisons d’opéra occidentales de monter toutes ces grandes œuvres du répertoire russe où Olga Peretyatko pourrait rencontrer de beaux succès. Divers signes, ici et là, laissent espérer qu’un changement de mentalité est en cours, mais souhaitons que l’avenir confirme les promesses d’une Snégourotchka parisienne et d’un Sadko gantois.