Etablir l’ordre des plages d’un disque suppose un certain doigté, peut-être même de la ruse. Combien d’acheteurs potentiels auront été dissuadés par un premier morceau particulièrement mal choisi ? A l’inverse, combien de mélomanes séduits par un premier air ô combien alléchant, quitte à déchanter une fois le CD acquis ? Le label Naxos n’est pas né hier, et sait qu’il importe de mettre ses meilleurs arguments en avant. Le disque Delius-Bax repose un peu sur ce principe.
Magicien de l’orchestre, habile à manier la voix humaine, Frederick Delius ne naquit pourtant pas tout armé et son génie mit naturellement un certain temps à s’épanouir. Les différentes œuvres chorales datant de 1885 à 1891 correspondent donc à une période d’apprentissage, du temps de ses études au conservatoire de Leipzig, avant qu’il ne trouve une voix personnelle. Un Ave Maria en allemand, plutôt brahmsien, d’autres pièces inspirées par des poèmes teutons… Tout cela est certes charmant, plutôt bien troussé, mais n’a rien de bien renversant. On comprend donc que Naxos ait choisi d’ouvrir le disque avec une œuvre plus tardive, et infiniment plus inspirée, On Craig Ddu, évocation d’un paysage gallois due à la plume du poète symboliste Arthur Symons, pour laquelle un Delius en pleine possession de ses moyens (1907, soit plus de vingt ans après les premiers essais) trouve des accents impressionnistes, des audaces debussystes qui enchantent l’auditeur. De la même époque, une Midsummer Song, un peu moins téméraire. Plus étonnants, les deux chœurs de 1917, sans paroles mais « à chanter sur l’eau par une nuit d’été », aux harmonies inattendues, qui tranchent tout aussi nettement sur les essais de jeunesse. Enfin, ultime création dans ce genre, dictée à son épouse par un Delius devenu aveugle, The Splendour Falls on Castle Walls, sur un texte de Tennyson, où les voix imitent le son du cor !
Si Delius peut parfois faire figure de Debussy britannique, Arnold Bax, à la génération suivante, aurait-il joué au Ravel anglais ? On pourrait le croire en découvrant qu’il a composé en 1942 Cinq Mélodies populaires grecques, dont une « Chanson de la mariée », également collectée et traduite par Calvocoressi, mais sur un texte différent. Point de cueilleuses de lentisques, néanmoins, et un climat généralement plus pieux, puisque le recueil s’ouvre et se ferme sur une évocation de saint Basile, dont le dynamique « A Pilgrim’s Chant », avec son imitation du ding-dong des cloches. Tout aussi vigoureusement scandé, « In Far-off Malta » est la plus guillerette des cinq mélodies. Quelques interventions solistes dans la « Chanson de la mariée » permettent d’entendre isolément deux sopranos momentanément issues des excellents Carice Singers. De même, dans l’intéressant Of a Rose I Sing a Song, le ténor solo et le chœur sont soutenus par une harpe, un violoncelle et une contrebasse.
Bax semble avoir été très inspiré par la poésie du Moyen Age, comme en témoigne This Worldes Joie, où l’on retrouve un certain goût pour une articulation robuste du texte, avec les syllabes martelées sur « All we shall die ». Dans Mater Ora Filium, les longs aigus radieux des sopranos préfigurent presque certaines pages chorales de Poulenc.
Si tout n’est donc pas d’une égale hauteur, ce disque a du moins le grand mérite de nous inviter à jeter une oreille du côté de ces compositeurs anglais si négligés en France. Enfin, puisque The Dream of Gerontius d’Elgar, pilier du répertoire britannique, sera donné en décembre à la Philharmonie de Paris, il y a quand même des raisons d’espérer.