Pourquoi L’Avant-Scène Opéra fait-elle régulièrement subir à ses numéros un lifting éditorial ? Opération cosmétique ou refonte en profondeur ? L’exemple du diptyque Ravel nous permet de se poser ces questions et d’y répondre.
S’il persiste ici et là quelques titres ASO dont on guette encore l’actualisation, le cas du Ravel est assez représentatif de la majorité des volumes liftés. Sortie le 1er janvier 1990, la première mouture portait le numéro 127 : jeune d’à peine plus d’un quart de siècle, elle arborait déjà une couverture en couleur (le compositeur entouré de Libellules lors de la création viennoise de L’Enfant et les sortilèges en 1929, image qu’on retrouve à la page 55 du nouveau numéro). Restait néanmoins à faire entrer la couleur à l’intérieur, la bigarrure exotique de la boutique de Torquemada, horloger de Tolède – signalons au passage une petite erreur d’attribution : sur la photo de la récente production de Nancy, page 20, ce n’est pas Etienne Dupuis, mais Gilen Goicoechea que l’on voit en Ramiro –, la couleur irréelle de « nos roses et verts moutons » le vert criard des arbres et des reinettes dans le bleu nuit du jardin enchanté d’une « maison normande ancienne, ou mieux : démodée ».
Pourquoi maintenant ? C’est pourtant simple : parce qu’en mai 2018 aura lieu le transfert à Bastille du diptyque Heure espagnole/Gianni Schicchi, conçu pour Garnier par Laurent Pelly (attention, la vidéographie établie par Jean-Charles Hoffelé donne l’impression que L’Heure espagnole aurait été créé à Glyndebourne puis « repris à Garnier » : il n’en est rien, puisque le spectacle fut créé à Paris en 2004 puis proposé en Angleterre en 2012, date à laquelle le metteur en scène conçut sa version de L’Enfant et les sortilèges comme pendant).
A part ça, qu’est-ce qui a changé entre 1990 et 2017 ? D’abord, on rétablit l’ordre chronologique : même si une image de L’Enfant continue à occuper seule la couverture, et même si le titre du volume inverse toujours l’ordre de composition, L’Heure espagnole, écrite en 1907 et créée en 1911, ouvre cette fois le volume. Globalement, on peut même parler d’un rééquilibrage en faveur du premier opus lyrique de Ravel, puisque le sommaire original n’incluait aucun texte spécifiquement consacré à cette espagnolade, alors qu’on trouvera à présent un texte de Louis Bilodeau sur le fascinant librettiste Franc-Nohain, et une évocation de la genèse de l’œuvre due à Emily Kilpatrick. Les documents historiques sont toujours là (le témoignage de Colette et le compte rendu de L’Enfant par Henry Prunières). Ont aussi survécu au remaniement les articles signés Marcel Marnat, « Ravel en représentation », passionnante étude des rapports du compositeur avec la voix, et Jacques Dupont, « Visages de l’enfance, sortilèges de Colette ». Didier van Moere conserve son « Ravel jugé par ses pairs » mais succède à Pierre Flinois pour la Discographie : pour L’Heure comme pour L’Enfant, il retient cinq intégrales parmi les quinze existantes (on est d’ailleurs agréablement surpris que L’Heure espagnole ait connu autant de versions au disque). Nouveau venus, Jean-François Boukobza se penche sur « L’art du sourire ravélien », ce qui lui permet notamment d’évoquer la « Lubitsch touch » de L’Heure, tandis que Dominique Escande relate la création de L’Enfant à Monte-Carlo. Désormais rédactrice en chef, Chantal Cazaux ne faisait pas encore partie de l’équipe en 1990 : elle signe cette fois l’Argument des deux œuvres et la bibliographie finale.
Surtout, pour chacune des deux œuvres, « Introduction et Guide d’écoute » entièrement neufs, rédigés par Stephan Etcharry, remplacent le « Commentaire littéraire et musical » dus en 1990 à deux plumes différentes. Le brillant commentateur, qui détaille ce trésor d’invention qu’est la partition de L’Heure, n’hésite pas à rapprocher les audaces ravéliennes des « étranges sonorités japonisantes de gagaku » pour le prologue de L’Enfant.
Bref, c’est bien une réécriture quasi complète, et non un rhabillage de surface ou une simple remise à jour, que propose L’Avant-Scène Opéra avec ce nouveau numéro, preuve que la collection aux bientôt trois cents volumes mérite plus que jamais la confiance du mélomane.