Nous connaissions Bo Skovhus davantage pour ses rôles à l’opéra, où il fait la part belle aux personnages du grand répertoire allemand : Beckmesser, Amfortas, Wozzeck ou encore Mandryka. Sa brillante carrière scénique cache des interventions mélodiques plus discrètes mais non moins intéressantes, privilégiant elles aussi le répertoire allemand : Wolf, Korngold, Schubert, Mahler etc. Pourtant, il y a déjà quelques années que le baryton a enregistré « sa » Belle meunière puisqu’un disque est déjà paru chez Sony il y a vingt ans. Quels constat peut-on tirer d’une carrière qui s’étend déjà sur plusieurs décennies ?
Constatons tout d’abord qu’il n’a rien perdu de sa musicalité. Skovhus connait et comprend Schubert, et si quelques couplets nous paraissent en manque d’imagination, l’interprétation du texte reste l’un des points forts du baryton. Etonnamment, nous le trouvons plus convaincant musicalement dans les lieder les plus délicats, tels que « Die liebe Farbe » ou « Des Baches Wiegenlied ».
Constatons également que le chanteur se soucie toujours autant de sa prononciation allemande, puisque le texte nous parvient avec une projection transparente et intelligible. Regrettons cependant une tendance à l’empêtrement dans les lieder les plus précipités (« Der Jäger » ou « Wohin? »), ou la quantité de consonnes semble poser quelques difficultés à l’interprète.
Constatons enfin qu’un soin assez minutieux est apporté aux transitions entre les lieder. De nombreux enchaînements attacca relient les pièces les unes aux autres, rendant la construction et la dramaturgie du cycle plus transparente qu’à l’habitude.
Avec ces trois éléments, nos deux interprètes possédaient déjà trois atouts majeurs pour faire de cet enregistrement une réussite. Pourtant, une fois passé l’émerveillement musical auquel la musique de Schubert est si propice, c’est un goût de trop peu, voire même un goût de trop sec qui nous laisse sur notre faim. Si la biographie du baryton affirme qu’il interprète encore aujourd’hui des Wozzecks ou des Amfortas, la Meunière qu’il nous livre fait plutôt pâle figure. Le timbre semble venir régulièrement à bout de souffle, et les tenues dans le piano accusent un tremblement mal contrôlé. La texture de métal noir que nous connaissions n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Le piano de Stefan Vladar est lui aussi source d’insatisfaction, probablement due en grande partie à une prise de son peu flatteuse et à un instrument inapproprié. Le son clinquant du Yamaha CFX sur lequel il joue est tellement éloigné de celui de pianos moelleux et ronds généralement privilégiés pour la musique de Schubert, qu’un pincement nous saisit dès les premières mesures de « Das Wandern ». Pour le reste du cycle, le pianiste n’est pas non plus en manque d’imagination musicale (pensons à « Mit dem grünen Lautenbande »), mais la prise de son le relègue le plus souvent au rang de tapis, loin derrière son acolyte.
Malgré trois belles conditions réunies pour l’enregistrement, l’absence de chair dans cette Belle Meunière nous laisse sur le bord de la route, avec dans la bouche la désagréable sensation d’un goût de trop sec.