Si Nietzsche voyait en Carmen le remède à la maladie wagnérienne, les compositeurs français du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1920 tentèrent pour leur part une réponse un peu plus ciblée : oui, l’influence méditerranéenne pourrait lutter contre l’hydre d’outre-Rhin, mais c’est plus précisément le soleil du Midi de la France qu’il fallait imposer contre les brumes germaniques. Et même si, à sa mort en 1914, Frédéric Mistral fut salué comme un nouveau Siegfried ayant « reforgé l’épée de la race », l’œuvre emblématique de ce combat reste Mireille, de Gounod, d’après Mirèio du plus grand des félibres. Emblématique faute d’autres candidats, du reste, aucune des autres œuvres du poète n’ayant suscité d’adaptation lyrique comparable. Bizet envisagea un opéra d’après Calendau (article de Hugh MacDonald), Charles-Marie Widor en tira un de Nerto, et Séverac n’exauça pas le vœu de Mistral qui souhaitait le voir s’emparer de son Pouèmou dou Rose (voir l’article de Philippe Martel). Dans ce recueil d’actes de colloque initutlé Provence et Languedoc à l’opéra en France au XIXe siècle, Gérard Condé revient sur la genèse de Mireille et montre au passage que la partition refusa les emprunts directs au folklore et réutilisa bien des morceaux composés sur des livrets n’ayant aucun lien avec la Provence. D’aucuns jugèrent l’opéra de Gounod trop parisien, et lui reprochèrent de n’avoir pas assez puisé dans le folklore local, ce qui soulève le problème du statut de la chanson, « objet mémoriel, ethnotype d’une culture régionale en représentation » (Sabine Teulon Lardic), mais comment créer un régionalisme musical authentique, où la chanson populaire ne deviendrait pas un ‘bibelot’ pittoresque et sentimental, arraché de son milieu pour devenir un objet de musée ? C’est la question que pose notamment Katharine Ellis, en montrant comment Séverac y a répondu dans Le Cœur du moulin.
D’autres écrivains auraient pu faire l’affaire. Alphonse Daudet s’essaya au métier de librettiste, avec Les Absents, lever de rideau signé du compositeur nîmois Ferdinand Poise ; il inspira Massenet pour Sapho dont un acte se déroule à Arles (article de Jonathan Parisi), et Gabriel Parès pour Le Secret de Maître Cornille. De son côté, Zola l’Aixois aida Alfred Bruneau à mettre en musique la Provence à plusieurs reprises, notamment dans Naïs Micoulin.
Une autre manière d’imposer le Midi à l’opéra, ou l’opéra au Midi, consistait à donner des spectacles dans les vestiges antiques : Orange, bien sûr, mais aussi Béziers, dont on voulut faire un « Bayreuth français », ou Carpentras. Dans Les Barbares, opéra situé à Orange et écrit pour Organe mais finalement créé à Paris, comme le rappelle Marie-Gabrielle Soret, Saint-Saëns pratique une germanophobie active (voir l’article de Robert Chamboredon) qui n’exclut pas la « mixité langagière » (Sylvie Douche). Pour Béziers, Séverac compose la musique de scène d’un Héliogabale, spectacle de plein air donc forcément méridional, selon lui, et dans lequel il fait intervenir la cobla catalane, « sorte de hautbois rustiques », qui « traduisent musicalement l’âme de ce pays », selon les déclarations citées par Jean-François Lattarico.
Pour le reste, force est de reconnaître que la Provence fait souvent figure de prétexte, dans Les Dragons de Villars (1856), de Maillart (article de Patrick Taieb), comme dans les opérettes méridionales d’Audran comme Les Noces d’Olivette ou Gillette de Narbonne (article de Gilles Satin-Arroman). Même l’iconographie (superbe frontispice de Rochegrosse pour Les Barbares, voir l’article de Christophe Longbois-Canil), les costumes et les décors faisaient le plus souvent l’économie de toute véritable recherche de couleur locale. Et si, comme le laisse penser l’article de Séverine Féron, le seul opéra vraiment provençal était le Belzébuth ou Les Jeux du roi René de Castil-Blaze (1841) ?