Si Le Roi Roger est désormais inscrit au répertoire des plus grandes maisons d’opéra, et si certaines de ses œuvres pour orchestre se sont imposées au programme des concerts, on ne peut pas dire que les mélodies de Karol Szymanowski soient encore couramment interprétées par les chanteurs hors de Pologne. La barrière de la langue y est sans doute pour quelque chose : si les Occidentaux sont prêts à maîtriser le russe ou le tchèque, les opéras polonais sont trop peu donnés pour tenter les artistes de s’initier à l’idiome de Moniuszko. Heureusement, il ne manque pas d’artistes de talent pour nous faire entendre cette musique, et il existait déjà au moins une intégrale des mélodies de Szymanowski : 4 CD parus en 2004 chez Channel Classics, avec notamment Piotr Beczala et Juliana Gondek. Le label Dux poursuit de son côté une entreprise parallèle lancée en 2007 avec premier un volume de « Szymanowski Songs » confié la soprano Anna Mikołajczyk, et poursuivi en 2013 avec la soprano Dagmara Świtacz. C’est à présent le tour du ténor Rafał Majzner.
Evidemment, les mélodies avec orchestre ont jusqu’ici davantage eu la faveur des interprètes : les envoutants Chants du muezzin amoureux fascinent évidemment par leurs mélismes orientaux, au même titre que les Chants d’une princesse de conte de fées. Même dans les œuvres pour voix et piano, bien d’autres compositions de la maturité ont une séduction plus immédiate que les pièces de jeunesse réunies dans ce disque : toutes les pages qu’on entend ici ont été écrites entre 1900 et 1905, autrement dit par un compositeur qui cherche encore sa voix, Szymanowski étant né en 1882, et ce n’est peut-être pas par là qu’il convient de découvrir son œuvre.
Dommage que Dux n’ait pas jugé opportun de faire figurer dans le livret d’accompagnement les textes et leur traduction (au moins en anglais) ; au prix de quelques efforts, on peut les trouver sur Internet, bien sûr, mais pour un compositeur dont la musique a encore besoin d’être soutenue pour intéresser davantage l’auditeur hors de Pologne, il aurait été confortable de les avoir immédiatement sous la main. La tâche est encore compliquée par un problème aussi dans la numérotation des plages : on constate un décalage entre ce qui est indiqué et ce que l’on entend, car les Trois Fragments op. 5 occupent en fait les plage 8, 9 et 10, immédiatement suivies par les Quatre Mélodies op. 11 ; Le Cygne, annoncé en plage 10, occupe la plage 7…
Rafał Majzner possède un joli timbre, mais le ténor semble souvent atteindre les limites de son instrument, avec des tensions et un aigu poussé qu’on aimerait plus assuré, avec un rien moins de vibrato parfois. L’interprète semble investi et soucieux de traduire la mélancolie et les tourments dont on devine qu’ils s’expriment dans plusieurs de ces mélodies aux harmonies déjà audacieuses et imprévisibles. La pianiste Katarzyna Rzeszutek le soutient de son mieux, mais il n’en reste pas moins que l’on réservera ce disque à qui souhaiterait connaître le jeune Szymanowski (et qui ne possèderait pas encore d’autre version des mêmes pages).