« Rendre justice à ces deux recueils monumentaux en un programme d’une heure est une véritable gageure » note Paul Agnew. Et à l’impossible nul n’est tenu, pas même lui, qui aurait dû se faire une raison. Réduire ainsi les vingt-neuf pièces du VIIe Livre à sept et les vingt-six du VIIIe Livre à seulement quatre, c’est surtout un crève-cœur pour le mélomane et sans doute aussi pour les artistes, car ces enregistrements ont été réalisés sur le vif dans le cadre de l’intégrale des madrigaux donnée en concert par Les Arts Florissants. L’éditeur aurait pu consentir à un effort, ne serait-ce que pour célébrer dignement le 450 e anniversaire de la mort de Monteverdi. Deux principes auraient guidé cette impitoyable sélection. D’une part, alterner les « œuvres phares » avec de moins connues ; d’autre part, illustrer au moins une fois chaque innovation formelle ; en vérité, seul ce dernier principe a été respecté, le disque retenant une écrasante majorité de pages très fréquentées.
L’exercice s’avère d’autant plus cruel que des seize pièces à deux voix du VIIe livre, véritable corne d’abondance, n’ont été retenues que la lecture, certes impeccable, de Vorrei baciarti et une version trop lisse d’Interrote speranze, qui souffre d’un manque d’engagement, un choix d’autant plus déroutant que Paul Agnew et Zachary Wilder, dotés de couleurs vivantes et complémentaires, rivalisaient d’intelligence expressive dans les six autres duos pour ténors. Chez Miriam Allan, la volupté ne réside pas dans le grain, mais dans le geste, les micros flattant un contrôle souverain de l’émission (Con che soavità) quand l’acoustique de la salle soulignait la monochromie de l’instrument. Le disque nous permet aussi de mieux apprécier l’infinie variété d’éclairages et le luxe d’intentions avec lequel Lucile Richardot détaille une Lettera amorosa ruisselant de cet or souvent invoqué par le poète.
L’élan qui traverse Al lume delle stelle et nous propulse de l’ombre à la lumière confirme ce que nous savions grâce aux deux premiers volumes de madrigaux : Paul Agnew excelle dans l’écriture polyphonique, quoique après un échange statique des mornes Tirsi et Clori, les danseurs aient plutôt le jarret mou et le pied lourd. Excellente idée, en revanche, à mettre au crédit du musicien qui s’appuie sur un Confitebor terzo alla francese de la Selva Morale et Spirituale, que de faire entrer en premier le soprano solo dans Dolcissimo usignolo, accompagné par les cordes, puis d’introduire progressivement les autres voix, au fil du texte. Nous ne saurons jamais avec certitude si c’est ce que voulait Monteverdi en recommandant l’adoption du « style français », mais le résultat est splendide.
En revanche un trio terne et le chant éthéré de Hanna Morrison ne rendent pas justice au Lamento della Ninfa qui exige un tout autre investissement. Il Combattimento di Tancredi également et la proposition de Paul Agnew arrive trop tard, vocalement et plus encore esthétiquement. Aurait-il les moyens de ses ambitions, l’ancien pilier du Consort of Musicke n’aurait sans doute pas abordé autrement ce joyau incandescent qu’il prive de contrastes (pas seulement dans le concitato) et de cette urgence théâtrale qui en fait tout le prix. Le temps semble s’être suspendu dans les années 80 pour le ténor écossais, qui, apparemment, n’a rien entendu ou voulu entendre de la révolution initiée il y a près de vingt-cinq ans et toujours incarnée par Rinaldo Alessandrini, ses (anciens) compagnons (La Venexiana, La Compagnia del madrigale) et leurs émules. La confrontation s’avère d’ailleurs édifiante avec le nouvel enregistrement du Concerto Italiano (Night. Stories of lovers and warriors) qui revisite, entre autres choses, Il Combattimento.