La jeune mezzo pétersbourgeoise Marina Prudenskaya fait actuellement une belle carrière internationale, dans les plus grands rôles du répertoire : Vénus de Tannhäuser ou Azucena au Staatsoper de Berlin, elle retrouvera cet été le rôle de Waltraute à Bayreuth, avant d’être l’une des Amnéris de l’Aïda programmée par Placido Domingo dans les stades du monde entier. Pour ce qui semble bien être son premier disque en solo, elle s’est courageusement attaqué à un territoire assez peu exploré, surtout hors des frontières russes : les mélodies de Rimski-Korsakov. Alors que les opéras du compositeur commence à prendre le chemin des salles d’Occident – on espère que le mouvement ne s’arrêtera pas après une année faste marquée par de nouvelles productions du Coq d’or, de La Fille de neige et de Sadko –, ses « romances » restent rares en dehors des récitals de chanteurs venus de l’Est. Quelques exceptions cependant : Natalie Dessay a chanté « Le Rossignol et la rose », et elle est loin d’être la seule soprano à avoir inclus dans son programme ce qui reste sans doute la plus célèbre des mélodies de Rimski.
Parmi les autres titres les moins méconnus, on trouvera aussi sur ce disque « Ne chante pas, la belle », également interprété par des artistes occidentaux. Peut-être pourrait-on y adjoindre « L’âme s’élevait paisiblement » et « Le cortège aérien des nuages ». Après, on s’aventure en un terrain où le mélomane français a rarement mis le pied. Cela dit, il doit bien y avoir une raison si les mélodies de Rimski-Korsakov sont un peu moins données que celle de Tchaïkovski ou de Rachmaninov, et cette raison est sans doute le talon d’Achille du présent disque. Pour une mélodie enjouée comme « Plus beau que le chant de l’alouette », pour une page au rythme marqué par une certaine saveur populaire comme « Mon enfant sauvage », combien d’expressions d’une mélancolie un peu monotone ? Même les mélodies évoquant la mer, pourtant grande source d’inspiration pour le compositeur, n’y échappent pas totalement. L’oreille se dresse dès que l’expression d’une émotion plus tumultueuse vient trancher sur toute cette tristesse distinguée. La menace est ici l’uniformité, à laquelle nous arrachent heureusement les beaux mélismes du « Chant hébreu » (qui rappelle un peu le tube susmentionné, cette « Romance orientale » titre sous lequel est également connu « Le rossignol et la rose »).
Le timbre de Marina Prudenskaya est chaleureux, la voix est bien conduite et la diction soignée. Autrement dit, la chanteuse n’est pas en cause, et l’on admire entre autres choses l’aplomb avec lequel elle lance des aigus diaphanes pour « Le Rossignol et la rose ». Son pianiste, Cord Garben, tient fort dignement sa partie, mais lui non plus n’en peut mais. Ce disque doit peut-être se siroter par petites doses, pour mieux ressentir l’ivresse que peut procurer une page comme « Switezianka », où l’on retrouve les accents voluptueux de certaines héroïnes d’opéras rimskiens.