Parallèlement à la composition du Prophète, dont il était question dans la précécente chronique, Meyerbeer s’attèle dès 1836 à un autre projet qui aboutit à la signature d’un contrat l’année suivante, prévoyant notamment que le principal rôle féminin serait tenu par Cornélie Falcon, qui venait de triompher en Valentine des Huguenots. Las, rien ne se passe jamais comme prévu. L’opéra, baptisé « L’Africaine » devait être prêt pour le début de la décennie suivante, mais la Falcon perd entretemps sa voix et la première version du livret déplaît au compositeur qui remise donc son ouvrage, occupé par ailleurs et parti à Berlin.
De longues années plus tard, Meyerbeer tombe sur l’un des grands monuments de la littérature portugaise, Os Lusìadas de Luìs de Camões, qui célèbre notamment les découvertes de Vasco da Gama. Le compositeur se souvient alors de cette ébauche de livret qu’il n’aimait pas et dans laquelle il n’était absolument pas question de Vasco da Gama. Il reprend donc le tout, en fait modifier plusieurs pages par Scribe, son (patient) librettiste, véritable couteau suisse du synopsis. De L’Africaine, l’œuvre se transforme en Vasco da Gama. Mais décidément, rien n’y fait, le projet est à nouveau mis de côté. Tenace, Meyerbeer ne cessera pas d’y revenir et de le peaufiner, jusqu’au début des années 1860, aidé par Scribe puis, à la mort de celui-ci, par Fétis. En 1863, la partition est enfin stabilisée et Meyerbeer décide finalement de revenir au premier titre de L’Africaine.
Malheureusement, il ne verra jamais la première, puisqu’il meurt durant les répétitions le 2 mai 1864. Super production impériale avec Napoléon III dans la tribune et buste du compositeur sur scène, la première de L’Africaine est un triomphe bien éphémère. L’œuvre est tombée après quelques reprises initiales dans un long sommeil et n’a pas été reprise à Paris, par exemple et sauf erreur, depuis 1902. Avant qu’un remarquable enregistrement récent ne réhabilite Vasco da Gama, quelques tentatives ont remis sur pieds le dernier opéra de Meyerbeer, parfois en italien, avec un Riccardo Muti fiévreux et à peine trentenaire à Florence en 1971. Placido Domingo a lui aussi beaucoup défendu l’œuvre et chanté le rôle de Vasco à plusieurs reprises, comme dans cet enregistrement vidéo qui reprend plusieurs années après sa création à San Francisco l’une des productions légendaires de cette Africaine avec Shirley Verrett dans le rôle titre. Voici donc Placido Domingo dans le tube pour ténor de cette riche partition, « Ô Paradis ».