Comment a-t-on pu croire que l’opéra allait s’éteindre ? Rétrospectivement, vu depuis notre XXIe siècle commençant, le genre semble se porter plutôt bien, du moins si l’on en juge par le nombre annuel de créations proposées ici et là. Dans un monde idéal, les premières données à Paris, Madrid ou New York devraient être suivies de nouvelles productions dans toutes les métropoles où l’art lyrique a droit de cité. Si ce n’est plus le cas comme ce l’était jadis, cela tient peut-être aux partitions composées, mais il se pourrait bien aussi que les livrets y soient pour quelque chose. Comment écrit-on aujourd’hui un livret d’opéra ? Et surtout, comment on écrit-on un bon ? Voilà le genre de questions que se posait Aude Ameille dans sa thèse de littérature comparée, soutenue en juin 2011, et transformée en volume à présent publié par les Classiques Garnier. Cet embarras de richesses qui est aujourd’hui celui de l’opéra, on peut en juger grâce à la « Liste des créations lyriques depuis 1945 » figurant en annexe : 220 pages pour répertorier la plupart des opéras créés en Europe et en Amérique, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’à la fin de l’année 2016, dont les derniers mois incluaient encore une part d’incertitude quand les épreuves du livre ont été composées (à ce jour, Fin de partie de Kurtag n’a toujours pas été créé). Même si l’on en retranche les œuvres bien antérieures dont la première a été très retardée – comme Treemonisha de Scott Joplin, redécouvert en 1972 – il reste une masse impressionnante d’opéras nouveaux, dont l’énorme majorité ont sombré dans l’oubli. Cette annexe constituera sans doute un précieux outil de travail pour bien des chercheurs à venir.
Malheureusement, l’embarras de richesses vaut aussi pour la thèse proprement dite, pour laquelle Aude Ameille s’est livrée à un copieux travail de dépouillement des sources disponibles. Confrontée à toutes ces lettres où compositeurs et librettistes croisaient le fer, à toutes ces interviews ou notes d’intention livrées en pâture au public avant une première mondiale, elle semble pourtant avoir éprouvé quelque difficulté à faire le tri dans cette masse et à véritablement imposer des idées personnelles sur le livret d’opéra en tant que texte (plus ou moins) littéraire. Peut-être le flou du titre de l’ouvrage le laissait-il pressentir, qui s’efface derrière celui de deux œuvres de théâtre musical dues à Ligeti, Aventures et Nouvelles Aventures.
Après un long prologue retraçant l’évolution du genre après 1945 (rejet de l’opéra par bon nombre de compositeurs, puis arrivée en force des metteurs en scène, et enfin retour en grâce de l’art lyrique à partir de la création en 1978 du Grand Macabre du susdit Ligeti), Aude Ameille présente une classification des différents types de livret. « A qui confier le livret ? » montre que celui-ci peut être écrit par le compositeur lui-même ou par un librettiste extérieur. « Quelle source adapter ? » accorde la place d’honneur à ce qu’il est convenu d’appeler « l’opéra littéraire », toujours largement majoritaire, auquel s’ajoute le livret comme collage de citations diverses ou le livret entièrement original. « Quel sujet aborder ? » égrène « quelques thèmes de prédilection » (biographies de personnages célèbres, événements d’actualité, grands mythes, inspiration extrême-orientale et méta-opéras). « Quel style adopter ? » s’interroge enfin sur les nécessités d’un texte destiné à être chanté et donc très partiellement compris par les spectateurs.
A la lecture, on se demande s’il n’aurait pas fallu tailler dans ce matériau surabondant pour se focaliser sur un compositeur ou sur un librettiste en particulier (W.H. Auden est omniprésent dans le livre, et peut-être aurait-il constitué un sujet d’étude amplement suffisant, ayant travaillé pour Britten, Stravinsky ou Henze, entre autres), sur un type de livret en particulier – les pages concernant le passage d’un film à un opéra s’avèrent très intéressantes, par exemple. Le gigantisme du corpus est également source d’imprécisions. Montségur, opéra de Marcel Landowski, est évoqué deux fois (p. 37, mal orthographié, et p. 156) mais n’est pas repris dans l’index. Par ailleurs, on lit deux fois dans l’ouvrage que Four Saints in Three Acts de Virgil Thompson aurait été, en 1934, le premier opéra américain : pourtant, le Met de New York proposa en 1910 son premier opéra composé par un Américain, The Pipe of Desire de F.S. Converse, et l’on avait pu voir dès 1845 à Philadelphie Leonora de William Henry Fry, opéra lui-même précédé en 1843 par André de F. Cioffi, donné à La Nouvelle-Orléans. Espérons maintenant qu’Aude Ameille trouvera, hors du cadre contraignant de la thèse, d’autres occasions d’exploiter les connaissances accumulées pour cette recherche.