Arthur Honegger, facile. Othmar Schoeck, en cherchant bien. Mais après ces deux noms, qui hors de Suisse peut citer d’autres compositeurs helvètes ? On remerciera donc le label (suisse) Divox de se consacrer à la défense du répertoire national, et de nous faire découvrir Joachim Raff (1822-1882). Malgré les efforts de divers éditeurs, comme CPO, ou comme Chandos qui a enregistré ses symphonies dirigées par Neeme Jarvi, c’est presque exclusivement la musique orchestrale, ou de chambre, qui a été explorée. Reste à enquêter sur la musique vocale de Raff, à qui l’on doit six opéras, des cantates, des pièces pour chœur et des mélodies. Le présent coffret de deux CD pourrait ainsi contribuer à l’exploration des lieder de Raff, dont il propose deux cycles intégralement enregistrés pour la première fois, Sanges Frühling, recueil de 30 mélodies composées entre 1855 et 1863, et Maria Stuart, douze lieder autour du personnage tragique de la reine d’Ecosse.
Pour le choix des textes, de trop rares Eichendorff, Heine et Goethe surnagent au milieu d’un océan de noms infiniment moins illustres. Raff s’affranchit néanmoins sans peine des contraintes strophiques pour oser des compositions variées où l’on relève souvent les audaces harmoniques de l’accompagnement (« Elfenschiffer ») et la virtuosité exigée du pianiste (« Die Winde wehen so kalt ») : sur ce plan, Jan Schultsz se montre parfaitement à la hauteur et apporte aux chanteurs tout le soutien voulu. On appréciera la mélancolie des « Ade » répétés dans « Der Ungetreuen », ou l’inspiration nettement schubertienne du « Erstes Müllerlied » (l’un des quatuors à cordes de Raff s’intitule d’ailleurs Die Schöne Müllerin). Parmi les trente pages du « Printemps des chants » se distingue surtout la mélodie la plus longue : avec une durée supérieure à neuf minutes, « Die Hochzeit Nacht » retrace de manière musicalement saisissante une errance cauchemardesque où les atmosphères les plus variées se succèdent, et où plusieurs personnages prennent la parole. Dans le recueil de douze mélodies intitulé Maria Stuart, on retrouve bien entendu plusieurs des textes mis en musique par Schumann dans ses cinq Gedichte der Könign Maria Stuart, mais également d’autres poèmes confiés à une voix masculine.
Pour interpréter toutes ces mélodies, Divox a fait appel à trois chanteurs, ce qui est sur le papier une excellente idée, qui contribue à renouveler l’intérêt de l’écoute. Sur le papier, car encore faut-il que les trois artistes se valent, ce qui n’est hélas pas ici le cas. En 2011, date à laquelle l’enregistrement a été réalisé (pourquoi le disque a-t-il dû attendre cinq ans pour voir le jour ?), la voix de la soprano suisse Noëmi Nadelmann souffrait déjà d’un vibrato prononcé, d’autant plus envahissant qu’il ne s’agit pas d’une de ces immenses voix dramatiques où le phénomène est plus acceptable. Serait-ce la raison pour laquelle cette artiste se serait entre-temps reconvertie dans des rôles de mezzo, comme Carmen en juillet 2014 ? Toujours est-il que l’on en vient bientôt à redouter chacune de ses interventions, véritable point noir de cette gravure, mais par chance moins nombreuses que pour les deux autres chanteurs.
La mezzo slovène Barbara Kozelj est beaucoup plus présentable, même si l’on constate comme une rupture entre ses aigus et son registre grave. Malgré tout, sa prestation possède une dignité qu’on aurait aimé trouver chez la soprano.
La star de cet enregistrement est donc Thomas Oliemans. En 2011, le baryton néerlandais n’en était encore qu’à l’aube d’une carrière désormais internationale. Son timbre clair est de loin le plus séduisant des trois que donne à entendre ce disque, et l’on se réjouit que quelques-uns des lieder les plus inspirés de Raff lui aient été confiés, notamment cette longue « Nuit de noces » dont nous parlions plus haut.