Créée à l’automne 2011 avec Mariusz Kwiecien dans le rôle-titre, diffusée samedi dernier dans les cinémas du monde entier, la production de Don Giovanni signée Michael Grandage avait déjà fait à l’époque l’objet d’une retransmission. A contre-courant de ce qui se fait généralement aujourd’hui, le metteur en scène britannique avait choisi de respecter les indications spatio-temporelles du livret en situant l’ouvrage en Espagne au XVIIIe siècle. Le décor unique est constitué d’une façade d’immeuble vétuste qui occupe tout le devant de la scène. Cette façade peut s’ouvrir en deux sur une cour intérieure circulaire qui devient selon les tableaux, la place de village où s’ébattent Zerline, Masetto et les paysans, l’intérieur du Palais de Don Giovanni ou un cimetière. Ce dispositif ingénieux permet des changements de décor à vue sans solution de continuité. La direction d’acteurs est sobre et efficace.
Pour cette seconde diffusion, le Metropolitan Opera a réuni une équipe entièrement renouvelée qui brille tant par son niveau que par sa cohésion. Kwangchul Youn est un Commandeur au timbre caverneux, impressionnant lors de son apparition dans la scène finale. Matthew Rose campe un Masetto débonnaire à la voix solide et homogène, qualités qu’il partage avec Adam Plachetka, Leporello attachant, truculent et poltron à la fois. Mais la véritable surprise vient du Don Ottavio de Paul Appleby dont le timbre charmeur, le style accompli et le souffle inépuisable captent durablement l’attention. La reprise piano de « Dalla sua pace » est du meilleur goût et son second air, « Il mio tesoro », interprété avec une ardeur toute virile, débarrasse le personnage de sa fadeur habituelle. Ce jeune chanteur au physique avenant a tous les atouts pour devenir un ténor mozartien de premier plan.
Les femmes ne sont pas en reste, Serena Malfi est une Zerline malicieuse au timbre fruité, Malin Byström tire son épingle du jeu en utilisant les quelques duretés de son registre aigu à des fin dramatiques. Son Elvire éplorée et assoiffée de vengeance culmine dans un « Mi tradì » poignant qui la pousse aux limites de ses possibilités. Hibla Gerzmava possède une voix ample et pulpeuse aux aigus cristallins, aussi convaincante dans la véhémence de « Or sai chi l’onore » que dans la mélancolie de « Non mi dir ». On oubliera quelques notes piquées pas très jolies à la fin de ce dernier air pour ne retenir que son incarnation de grande classe.
Enfin remis de ses ennuis de santé, Simon Keenlyside revient sur la scène du Met dans un emploi qui convient idéalement à ses moyens vocaux. Son Don Giovanni hâbleur, manipulateur, séducteur impénitent, domine le plateau de bout en bout. La voix n’a rien perdu de son sex-appeal ni de sa projection pour autant que l’on puisse en juger à travers une retransmission au cinéma. Sa sérénade à la ligne impeccable, d’une séduction irrésistible, son air du Champagne ébouriffant, pris à un rythme d’enfer et sa scène finale spectaculaire montrent qu’il est toujours l’un des deux ou trois meilleurs interprètes actuels du rôle.
La direction précise et énergique de Fabio Luisi contribue à faire de cette représentation une soirée en tout point électrisante.