Depuis plusieurs décennies déjà, les « baroqueux » italiens se sont réapproprié leurs compositeurs nationaux, et ce ne sont plus exclusivement des chefs ou des chanteurs anglo-saxons qui interprètent la musique de Monteverdi ou de Vivaldi. Cela dit, la musique qu’on entendait en Italie aux XVIIe et XVIIIe siècles n’étaient pas écrites que par des Italiens, mais d’avoir été conçue en Italie et pour des Italiens suffisait à la rendre italienne : en témoigne le cas du jeune Haendel, dont les premières compositions romaines se plient à l’italianità en vigueur en son temps, pour ses œuvres sacrées (sur le présent disque, deux cantates et le célèbre psaume Dixit Dominus) autant que profanes (on songe surtout à son Agrippina vénitienne). Entre autres œuvres datant des années 1706-1710, c’est aussi à l’oratorio La Resurrezione ou au Trionfo del tempo e del disinganno que fait penser cette musique. Autrement dit, ce n’est pas du plus mauvais Haendel.
Le Ghislieri Choir & Consort, qui ne saurait masquer son origine italienne même derrière cette appellation anglicisée, nous avait déjà fait très bonne impression dans un disque consacré à Davide Perez. S’attaquant cette fois à un compositeur autrement plus connu, cet ensemble vocal et instrumental sort tout aussi haut la main de l’entreprise. Le chef Giulio Prandi dirige avec une énergie très bienvenue ces pages regorgeant de vie, énergie qui ne nuit heureusement pas à la précision de la mise en place. Ce qu’on admire surtout chez les choristes, c’est l’expressivité de leur articulation du texte, notamment pour le Dixit Dominus. Cette force éloquente de la diction, on ne la trouve pas seulement dans le fameux « Conquassabit », ici particulièrement percussif, mais plus généralement, dans l’ensemble de l’œuvre et dès ses premiers instants. Plusieurs membres du Ghislieri Choir se voient promus solistes pour une phrase ou deux et, sauf peut-être le ténor, se révèlent tout fait convaincants. Les deux sopranos du « De torrente », Mara Corazza et Karin Selva, rivalisent même de suavité. De la mezzo Marta Fumagalli, également issue du chœur, on remarque la robuste prestation dans le « Virgam virtutis », d’une vigueur d’accents qu’on aimerait entendre plus souvent dans ce repertoire.
Pour les deux cantates de longueurs bien différentes (dix minutes pour Ah che troppo ineguali, près d’une demi-heure pour Donna, che in ciel), la soliste est Maria Espada. La soprano espagnole fait montre d’une belle virtuosité, d’autant plus appréciable qu’on ne peut reprocher la voix l’excès de légèreté typique des coloratures. Le timbre est ferme, le grave est présent, qualités indispensables pour que cette musique prenne tout son sens et ne se borne pas à un exercice formel.
C’est finalement avec surprise que l’on découvre la vraie nature de ces trois enregistrements : il s’agit de captations en direct réalisées lors de divers festivals européens, ce qui rend peut-être encore plus admiratif devant leur réussite.