Rares sont les sopranos qui ont mis à leur répertoire les trois reines de la trilogie donizettienne des Tudor, tant ces rôles appartiennent des typologies vocales différentes. De ce fait, plus rares encore sont celles qui les ont interprétées au cours d’une même saison : c’est l’exploit que vient d’accomplir Sondra Radvanovsky sur la scène du Metropolitan Opera de New-York. Malheureusement seule son Elisabetta de Roberto Devereux a fait l’objet d’une retransmission en direct dans les cinémas, ce samedi 16 avril.
Sir David McVicar qui a également signé les productions de Bolena et Stuarda situe l’action dans un décor unique, une grande salle d’apparat aux parois brun et or richement décorées, éclairée par de somptueux lustres et bordée de chaque côté par des colonnades. Au fond, durant l’ouverture, une porte s’ouvre sur un tombeau, celui d’Élisabeth, qui réapparaîtra au cours de la scène finale.
Sans doute éprouvée par ce rôle écrasant – il s’agit de l’avant-dernière représentation – Sondra Radvanovsky accuse une certaine fatigue en début de soirée qui se traduit par un voile sur le timbre et quelques aigus stridents dans son premier air, mais très vite la voix se chauffe, la soprano recouvre peu à peu ses moyens et livre une scène finale hallucinante, tant sur le plan dramatique que vocal : son « Vivi ingrato » parsemé d’admirables sons filés est bouleversant. La cabalette « quel sangue versato » lui arrache des accents déchirants. Théâtralement, l’Élisabeth de Radvanovsky est une vieille femme claudicante, qui, au dernier tableau, comme le fit Gruberova avant elle dans la production munichoise signée Christoph Loy, retire sa perruque, dévoilant un crâne à demi-chauve. L’effet est encore plus saisissant ici car, le teint cadavérique de la reine vêtue d’une simple chemise de nuit blanche, la fait ressembler à une morte vivante. A ses côtés, le Devereux de Mathiew Polenzani paraîtrait presque falot s’il ne livrait une prestation vocale irréprochable. Maîtrisant parfaitement la technique belcantiste. Son interprétation culmine dans l’air «O tu che m’involasti» chanté en voix mixte, sur le souffle, avec un legato parfait qui lui vaut une ovation largement méritée.
Elīna Garanča et Mariusz Kwiecien forment sans conteste le meilleur couple Sarah / Nottingham que l’on ait entendu. Elle, à qui l’on reproche parfois une certaine froideur, s’investit ici totalement dans son personnage comme en témoigne la scène de l’affrontement avec son époux au début du trois, d’une intensité dramatique exacerbée. La voix, somptueuse et homogène sur toute la tessiture, est suffisamment longue pour affronter les aigus meurtriers que comporte la partition. Quant au baryton polonais, excellent acteur, il rend crédible ce personnage de mari trompé et d’ami trahi et parvient à tirer de son timbre naturellement charmeur des accents de colère vengeresse. De plus, ce qui est un atout supplémentaire à l’écran, tous deux possèdent des physiques avantageux.
Maurizio Benini adopte des tempi retenus avec par à-coups, de brusques accélérations. Ce parti pris de lenteur, s’il confère davantage de solennité au dernier tableau, nuit à l’impact dramatique du premier acte qui s’étire en longueur, le duo entre Élisabeth et Devereux notamment. On lui saura gré néanmoins de nous avoir livré une partition complète avec toutes les cabalettes doublées et ornementées.