C’était en 1982, dans le bureau de Gérard Mortier sous les toits pentus de La Monnaie. Etaient présents Sir John Pritchard – alors directeur musical de l’institution – et Luc Bondy, jeune metteur en scène avec un reliquat de cheveux dans le vent. L’objet de la réunion portait sur la distribution de Cosi fan Tutte que le célèbre metteur en scène helvète allait monter deux ans plus tard.
Mortier, habile distributeur s’était arrêté au cas de Despina et proposait à l’assemblée une shortlist de jeunes soubrettes sémillantes. Bondy, qui depuis peu était abonné au câble, avait vu la veille une captation de Bayreuth à la télé et s’était mis en tête d’offrir ce rôle à Martha Mödl, incontournable wagnérienne recyclée dans les rôles de matrones poussives – 70 ans tout ronds à l’époque.
Mortier et Pritchard tournèrent de l’oeil. Mais le metteur en scène était formel. C’est à Mödl que revenait le rôle et à nulle autre. Les négociations furent vaines et Mortier composa d’une main tremblante le numéro de Madame Mödl sur son téléphone à cadran en plastique orange. Martha décrocha, fut surprise, balbutia, puis demanda à voir la partition. Une semaine plus tard, le même téléphone à cadran sonna, Mortier déchaussa ses lunettes, massa ses tempes doucement et lança à sa secrétaire, d’un air ravi : « elle refuse ».
Cette histoire hante les couloirs de la Monnaie. Nul ne jure qu’elle est vraie. Mais Martha Mödl en Despina, en y pensant bien… pourquoi pas ?