Barbe-Bleue est-il en train de retrouver les faveurs du public ? Les représentations de l’une des grandes œuvres d’Offenbach les moins jouées en France se multiplient ces temps derniers. C’est que derrière une intrigue passablement embrouillée se cachent de multiples allusions à une actualité toujours présente, l’exercice du pouvoir, les relations hommes-femmes, le machisme, et la sexualité en général. Tout fonctionne sur des sous-entendus, mais ceux de l’époque d’Offenbach ne nous parlent plus guère aujourd’hui. « Salut à tout’ la boutique ! » lançait Hortense Schneider sous les rires des spectateurs en arrivant à la cour du roi Bobèche. La référence à la cour de Napoléon III était alors évidente, mais ne l’est plus aujourd’hui. C’est donc une de ces œuvres qu’il faut rafraîchir en lui redonnant des repères compréhensibles par le spectateur actuel. Les choix du metteur en scène Frantz Morel À l’Huissier sont à la fois drôles, cohérents et efficaces, encore que déjà eux-aussi un peu datés pour les plus jeunes.
Ce soir, le spectacle a donc été modernisé, et se construit autour de deux entités bien lisibles malgré l’absence de décors : d’un côté, le château de Disneyland, plein de petits Mickey, avec ses courtisans formatés, beigne dans le rouge avec ou sans paillettes. De l’autre, c’est le bleu du King « Elvis » qui domine, « héros d’une jeunesse rebelle, avide de nouvelles sensations ; son palais, entre repère de mafieux et jungle room où sont cachées ses cinq épouses défuntes, est le Graceland de tous les excès ». Ses cinq épouses, soi-disant disparues, ont les traits de Marylin, Audrey Hepburn, Brigitte Bardot, Susan Hayward et Liz Taylor.
Ivan Fidler et Marie Charlet © Photo Jacques Dondeine
Sur le plateau de 140 m² tout en largeur de la salle du Marché Saint-Germain récemment rénovée, avec notamment des fauteuils très confortables, mais sans fosse, l’orchestre a été placé à l’arrière de la scène, encadré d’un praticable et de deux rampes. Quelques éléments (la boutique de la fleuriste, les trônes de Bobèche et de Clémentine) sont complétés en fond de scène par un rideau de fils recevant des projections. Tout cela fonctionne plutôt bien, et permet d’intégrer l’orchestre à l’action.
Le grand moment de la soirée demeure l’apparition de Marie Saadi (Boulotte) en Madonna-Barbarella revue façon Groseille (mère et fille). Elle reprend avec une visible jubilation un rôle qui paraît fait pour elle (voir notre compte rendu de 2012). Sa voix, ample et corsée, toujours aussi à l’aise dans les graves que dans l’aigu, est en effet parfaitement adaptée à cet emploi où brilla Hortense Schneider. Le partenaire de cette dernière était à l’époque le fameux José Dupuis, à la fois acteur et ténor léger, qui créa beaucoup d’œuvres d’Offenbach. Xavier Mauconduit a plus les moyens d’un Hoffmann, mais ne serait une méforme vocale annoncée, campe un Barbe-Bleue tout à fait convaincant à tous points de vue.
Marie Saadi et Xavier Mauconduit © Photo Jean-Yves Grandin
On retrouve avec plaisir des membres de la compagnie Divinopéra, dirigée par Marie Saadi, et notamment Cédric Le Barbier, tout à fait excellent dans le rôle de Popolani. Jean-Philippe Poujoulat (le prince Saphir) et Marie Cordier (Fleurette/Hermia) roucoulent à l’unisson, tandis que les querelles conjugales du roi Bobèche et de la reine Clémentine trouvent en Ivan Fidler et Marie Charlet deux interprètes fort drôles parfaitement distribués. Les cinq femmes de Barbe-Bleue sont également très réussies.
Une mention particulière pour les chœurs, bien mis en scène et tout à fait épatants, notamment ces dames fort amusantes. Un peu plus de répétitions aurait peut-être permis à l’orchestre de faire plus de nuances, et de présenter des plans sonores mieux étagés. La direction de Johannes Le Pennec mériterait d’être allégée et plus primesautière dans les passages concernés.