Jusqu’alors bouée ou objet lumineux destinés à guider le navigateur, la balise est devenue à l’heure des réseaux sociaux le mot français officiellement recommandé pour tag ou hashtag. Derrière ces anglicismes se cache le code utilisé pour ancrer une publication autour d’un sujet précis. Exemple avec dix personnalités et faits marquants de l’année 2018.
Trente ans après avoir signé son contrat avec le label de musique Decca, Cecilia Bartoli n’a rien perdu de sa vitalité, artistique et marketing. Des trois projets annoncés en août pour marquer ce trentième anniversaire, le plus original est sans doute le lancement de « Mentored by Bartoli », un sous-label destiné à soutenir et superviser les nouveaux enregistrements d’artistes exceptionnels avec, pour inaugurer en beauté la série Contrabandista conçu par Javier Camarena comme un hommage à Manuel Garcia (1775-1832). Mais c’est avec son nouvel album Vivaldi que la mezzo-soprano italienne se place sur le devant de la scène. Vingt ans après, Tchetchilia, pour les intimes, réitère ses exploits vivaldiens. Un nouveau diamant s’ajoute à une couronne déjà richement ornée. Une tournée promotionnelle en consacre le succès. Vive la reine !
La Patrie à ses grands musiciens reconnaissante ? S’il n’y avait eu l’exhumation de La Nonne sanglante à l’Opéra Comique, le bicentenaire de la naissance de Charles Gounod serait passé inaperçu. Des douze opéras commentés par Laurent Bury, que nous a-t-on donné à écouter en 2018 exceptée cette tentative méjugée de « grand opéra à la française » ? Philémon et Baucis « offenbaché » à Tours et l’original de Faust mais en version de concert. C’est appliquer à un de nos plus grands compositeurs les principes drastiques du régime DASH. Souhaitons qu’Offenbach et Berlioz, dont on commémore à leur tour les 200 ans l’an prochain, aient droit à davantage de considération.
Après avoir affolé You Tube en interprétant court vêtu une aria de Vivaldi, Jakub Józef Orlinski a consolidé dès janvier sa notoriété naissante par la signature d’un contrat d’exclusivité avec Erato et un premier récital parisien Salle Gaveau. Invité des Victoires de la Musique puis de Fauteuils d’Orchestre, interviewé ici-même par Camille De Rijck, pirouettant, cabriolant, virevoltant tel un Nijinsky hip hop, tout va très vite pour « le contre-ténor le plus prometteur que le baroque nous ait révélé ces derniers mois et qui devrait très vite devenir la personnification de l’artiste du 21e siècle ». Un siècle où, motivé par les impératifs du marketing, le plumage importerait autant que le ramage ?
4. #metoo
Devenu phénomène de société, #metoo, le mouvement dénonciateur du harcèlement sous toutes ses formes, ébranle le monde de la musique classique, non sans dommage collatéraux. Tandis que l’Opéra de Rome absout en décembre Daniele Gatti, mis à pied en juillet du Concertgebow d’Amsterdam, Anne Sofie von Otter pointe dans le Washington Post les conséquences parfois dramatiques d’accusations indifférentes à la présomption d’innocence. Emporté par la vague, le metteur en scène Leo Muscato inverse à Florence la fin de Carmen. Ce n’est plus Don José qui poignarde la cigarière mais cette dernière qui fait la peau à son amant. S’il faut pour condamner les violences sexuelles réviser ainsi les chefs d’œuvres de l’opéra, qu’adviendra-t-il d’un genre dont bon nombre de livrets brutalisent leurs héroïnes, plus rarement leurs héros ?
La mort de Montserrat Caballe à l’âge de 85 ans suscite au-delà des frontières de l’opéra une émotion unanime à laquelle le duo formé par la soprano espagnole et Freddy Mercury au début des années 1990 n’est pas étranger. Dans un hommage d’une amoureuse hauteur de vue, Julien Marion raconte « une des plus belles voix de sa génération, pourtant pas avare en gosiers d’or ». Invité sur France Inter, Stéphane Lissner, lui aussi troublé, s’emmêle les pinceaux en affirmant que Montserrat Caballe aurait servi de modèle à la Castafiore, dont l’apparition dans Les Aventures de Tintin est pourtant antérieure d’un quart de siècle aux premiers succès internationaux de la diva catalane. On ne prête qu’aux riches.
6. #operadeparis
Le départ annoncé en 2021 de Stéphane Lissner, atteint par la limite d’âge, braque une nouvelle fois le projecteur sur l’Opéra national de Paris. Déjà l’annonce d’une prétendue saison anniversaire inattentive au répertoire local avait fait souffler un vent défavorable sur une institution malade de sa propre histoire. Des mouvements sociaux, des productions controversées, un taux de fréquentation en berne, notamment dans les places de catégories supérieures, achèvent de plomber le bilan. Résultat : les candidats à la succession ne se bousculent pas au portillon. Même le favori des turfistes, Christophe Ghristi, s’empresse de démentir la rumeur : « Cité à mon corps défendant dans un récent article du quotidien Le Monde, je tiens à déclarer que le seul futur qui vaille à mes yeux est aujourd’hui ma présence au Capitole de Toulouse … ». Les paris demeurent ouverts.
Aux records déjà détenus – longévité (plus de 55 ans de carrière), nombre de rôles (150), cumul des fonctions (chanteur, chef d’orchestre, directeur artistique…), record d’audience (les Trois Ténors) et d’albums vendus (les Trois Ténors encore) – Placido Domingo a ajouté cette année de nouveaux exploits : premier chef d’orchestre espagnol à diriger un opéra au Festspiele de Bayreuth ; premier artiste à donner à son nom à un airbus A350 de la compagnie Iberia ; et fin novembre, célébration de sa 50e saison au Metropolitan Opera de New York avec une nouvelle prise de rôle : Gianni Schicchi. « If I rest, I rust » (« Si je me repose, je rouille »), la devise de l’ex-ténor espagnol reste en 2018 d’une actualité étonnante.
L’année démarre bien pour Roberto Alagna. A New York, en janvier, le ténor français réussit le doublé Cavalleria Rusticana / Pagliacci et à Vienne, en mai, les critiques ne tarissent pas d’éloges sur son interprétation du rôle de Samson. Paris, un mois plus tard, succombe à son tour. Roberto Alagna aurait-il atteint une sorte de sérénité, comme il nous le confie alors ? Patatras, la voix dérape lors d’une représentation du Trouvère à la Bastille, en version de concert et décor unique pour cause de mouvement de grève. Deux jours après l’incident, Roberto Alagna annonce qu’il renonce au très attendu Lohengrin de Bayreuth. Emotion, incompréhension voire indignation… Puis, la roue tourne. Après des vacances plus longues que prévues, les retrouvailles avec Samson à New York ne sont pas exemptes d’incertitudes, jusqu’à ce que Puccini in love, l’album enregistré en duo avec son épouse, Aleksandra Kurzak, s’installe au sommet des charts, justifiant le titre donné par Sylvain Fort à son portrait du ténor : « Roberto Alagna, un miracle qui dure ».
9. #Rossini150
Le 13 novembre a marqué le 150e anniversaire de la mort de Gioachino Rossini. Expositions, concerts et autres événements estampillés du hashtag #Rossini150 ont montré la vitalité de la musique d’un compositeur trop souvent réduit à son Barbier de Séville, ouvrage certes génial, mais impuissant à traduire toutes les nuances d’un génie multiple. Les différentes célébrations ont aidé à amorcer un tournant dans l’histoire du Rossini Opera Festival. Les partenariats initiés pour l’occasion offrent de nouvelles opportunités de collaboration, en dehors de la ville de Pesaro et du calendrier estival. Las, la publication du programme de la prochaine édition, la 40e, ne soulève pas l’enthousiasme attendu d’autant que la nouvelle salle destinée à remplacer les tristes et excentrées Arènes de l’Adriatique ne sera toujours pas opérationnelle.
10. #worldcup2018
Du 14 juin au 15 juillet, la planète a tourné rond avant de virer bleue à l’annonce de la victoire de la France contre la Croatie. Pendant ce temps, l’opéra n’est pas resté sur la touche. La veille de la finale à Paris, le concert du 14 juillet sous la Tour Eiffel prend l’allure d’une manifestation de soutien à l’équipe française. Deux soirées de gala en ouverture et fermeture de l’événement réunissent les plus grands chanteurs du monde, sur la Place Rouge à Moscou sous la direction de Valery Gergiev pour lancer les festivités, au Bolchoï en présence de Vladimir Poutine pour marquer la fin de la compétition. Dans l’euphorie de la victoire, Placido Domingo félicite Emmanuel Macron qui, sur le premier but français, explose d’une joie hélas de courte durée. Trois jours après éclate l’affaire Benalla.