Antonino Siragusa, qui a triomphé ce printemps dans Elisabetta Regina d’Inghilterra à la Monnaie puis à Pleyel, retrouve Pesaro et son complice d’alors, Gregory Kunde, pour le spectacle le plus excitant de ce festival, Ermione, au cast luxueux incluant également Sonia Ganassi. Il nous a accordé une interview avant la dernière représentation de la série.
Pouvez-vous tout d’abord nous dire un mot sur Ermione et la production de Daniele Abbado ?
C’est un opéra très difficile, du fait de sa structure même : c’est un opéra qui court vers le drame. Le second acte est du point de vue de la dramaturgie et de la musique extrêmement fort, la scène finale est d’une grande tristesse ! L’aria di sortita, l’air de présentation de mon personnage, Oreste, un peu comme le « A te cara » des Puritani, est très tendu. C’est un air que Rossini a également utilisé dans la Donna del Lago, un demi ton ou un ton au-dessous. L’approche du rôle lui-même n’est pas aisée car il ne faut pas tomber dans le piège que Rossini a tendu. La musique est en effet est très romantique, notamment le duetto initial avec Ermione, musicalement suave, très doux. Mais le personnage d’Oreste est loin d’être un personnage très doux, c’est un personnage d’amoureux fou. L’histoire d’Ermione est avant tout un cercle amoureux : Oreste est amoureux d’Ermione qui est amoureuse, elle, de Pyrrhus, qui est amoureux d’Andromaque… Au final ce cercle vicieux aboutira à ce qu’aucun des personnages n’obtiendra ce qu’il désire. Ermione en perdra la raison. Je pense que la mise en scène transcrit très bien tout cela, notamment la scène finale particulièrement forte et crue : le corps de Pyrrhus, égorgé, est exposé au regard de tous. Le pauvre Grégory est ainsi accroché tous les soirs, et tous les soirs il supplie : « Faites moi descendre ! » (rires). Les décors et la mise en scène de Daniele Abbado sont très élégants et retranscrivent parfaitement le dramatisme de l’œuvre. Je trouve la première scène des prisonniers avec Astyanax très belle. Puis des grands panneaux descendent pour couvrir la prison, formant un grand plan incliné… C’est d’ailleurs un challenge de rester sur nos pied tant la pente est forte ! C’est en tout cas très intelligemment fait en n’utilisant qu’un seul dispositif scénique. Je ne connaissais pas l’œuvre auparavant. La première fois que l’on m’a demandé de participer à la production, c’était pour interpréter le rôle de Pyrrhus. Mais je ne me sentais pas prêt pour ce rôle. Si ma voix tend davantage maintenant vers le lyrique, je ne suis pas encore un barytenor ! Au final on m’a proposé le rôle d’Oreste qui me convient mieux. C’est une partition extrêmement tendue et difficile mais la réaction du public semble indiquer que je m’en sors plutôt bien !
Vous êtes un ténor plutôt spécialisé dans le répertoire rossinien, avec une voix claire, à l’ « émission haute ». Comment envisagez-vous l’évolution de votre voix ?
La saison dernière j’ai débuté en Arturo de I Puritani, notamment à Munich avec Edita Gruberova, et dans La Fille du régiment. Je suis né avec une voix de ténor rossinien bouffe, dont le répertoire habituel est Le Barbier de Séville, L’Italienne à Alger ou La Cenerentola. En 1998, il y a donc 10 ans déjà, le Festival Rossini à Pesaro m’a été invité à chanter ce qu’on appelle les « Operine minore ». J’ai ensuite débuté dans les operas seria de Rossini avec Semiramide, puis avec Elisabetta Regina d’Inghilterra, en Norfolk ici même à Pesaro en 2004, avec déjà Sonia Ganassi et Daniele Abbado ! Enfin en 2007, j’ai chanté dans ma première Donna del Lago sous la direction de Maestro Zedda. J’ai reçu du Festival une proposition pour Guillaume Tell, mais faut que j’y réfléchisse calmement car le rôle d’Arnold est très difficile… c’est déjà une écriture pré-verdienne ! Ce n’est pas pour tout de suite donc, mais cela va dans le sens de ma carrière : je ferai probablement également mes débuts dans Rigoletto, ma voix est en train de prendre cette direction en tout cas… Je ne voudrais pas pour autant abandonner Rossini !
Comment êtes vous « tombé » dans l’opéra ?
Je viens en fait de la musique « légère », de la variété. Je suis guitariste à la base, diplômé en guitare classique. J’ai commencé à travailler en 1980 : deux ans de suite j’ai accompagné une chanteuse italienne à succès, j’ai fait des tournées… Et puis j’ai découvert l’art lyrique à 24 ans… donc assez tard… j’avais déjà ma barbe mais encore des cheveux à ce moment là (rires) ! C’est mon père qui m’a dit un jour en plaisantant : « mais pourquoi tu ne passerais pas une audition ». Et j’y suis allé… et ce professeur de chant m’a écouté et à la fin m’a dit « vous avez de l’or dans la voix ! Il faut vraiment que vous chantiez ! » (rires). Et j’ai commencé à chanter avec énormément de passion… car comme je vous le disais je suis guitariste et je suis habitué à prendre ma guitare et en sortir des sonorités, mais que le son puisse sortir de là [il montre sa gorge], pour moi c’est incroyable !
Avez-vous des modèles particuliers ?
Un des modèles que je cite toujours est Alfredo Kraus pour sa grande intelligence artistique [quand je lui indique que Gregory Kunde a répondu exactement la même chose l’année dernière à la même question, Antonino Siragusa éclate de rire en disant que Grégory est vraiment son meilleur ami !]. Je définirais Alfredo Kraus comme un aristocrate du chant : sa voix peut plaire ou ne pas plaire, mais techniquement c’est quelqu’un qui a continué de chanter à plus de 70 ans, La Fille du régiment notamment dans la tonalité originale ! Je pense que ses choix de répertoire ont été une de ses armes majeures pour durer. Un autre modèle est aussi évidemment Pavarotti. Parce qu’il personnifie le chanteur italien, la voix italienne. On ne peut pas le confondre : même en fermant les yeux on le reconnaît instantanément. Une grande technique, une voix solaire. J’ai été un grand ami de Giuseppe di Stefano. J’ai remporté le concours qui porte son nom il y a de nombreuses années. Avec « Peppino » comme on l’appelait c’était une grande amitié. Il a fait l’histoire de l’opéra, notamment par sa rivalité avec Mario del Monaco. Il a chanté merveilleusement pendant au moins 10 ans.
Votre biographie montre que vous avez interprété les plus beaux rôles du répertoire rossinien et belcantiste, dans les maisons d’opéra les plus prestigieuses… Qu’est ce qui vous reste aujourd’hui à accomplir ?
Pour moi le rêve serait d’interpréter La Bohême… Malheureusement ma voix n’est pas adaptée pour ce rôle… Peut-être un jour… C’est un opéra que j’adore qui m’émeut profondément. Quand j’entends mes collègues ténors chanter Rodolfo, je suis au bord des larmes… J’aimerais tant pouvoir le faire ! Mais ca ne restera peut-être que du domaine du rêve !
Propos recueillis par Antoine Brunetto