Le grand public l’a découverte en masterclasses avec Renée Fleming, en 2019. Personnalité faites de mille éclats, Axelle Fanyo est la fraicheur et l’énergie de la jeunesse et en même temps la grande maturité dans ses propos lui confère un regard toujours renouvelé sur son art et sur elle-même. En ce qui la concerne, la pandémie a été l’occasion de se remettre en question tant sur le plan personnel que sur le plan artistique.
1. Comment avez-vous vécu sur le plan personnel la période de la pandémie ? Quelles conséquences a-t-elle eu sur votre travail ?
Étrangement, cette période m’a permis de prendre du recul par rapport au milieu de l’opéra et à mon travail. Avec toutes ces annulations et ces reports, j’ai compris que très peu de choses dépendaient de moi et de mon travail. Je me répète souvent ces derniers temps, la même phrase : « ce qui est pour toi, est pour toi », dans le sens où si tu dois vraiment mener un projet, il se fera quoiqu’il se passe. Donc la seule chose que je pouvais faire, dans cette mise en parenthèse forcée, c’est accomplir un travail sur moi, sur mon instrument, Personnellement la pandémie m’a forcée à vraiment me regarder dans le miroir, au sens propre et figuré. J’ai enfin pris le temps de comprendre ce qui me faisait du bien, et ce dont j’avais besoin pour trouver mon équilibre à la fois physique et mental et pour être mieux avec les autres. Pour développer, j’ai changé mes habitudes alimentaires, je me suis remise au sport (vive le pilate), et par conséquent j’ai perdu pas mal de poids. Ce n’était pas du tout le but recherché, juste un résultat dans ma démarche de bien-être physique et mental. Ayant développé beaucoup d’anxiété face à l’incertitude de la situation, j’ai appris des techniques de relaxations et de méditations qui m’aident encore à l’heure actuelle, en particulier avec cette reprise très chargée. Si l’anxiété m’a un moment gagnée, l’énergie ne m’a jamais quitté, elle me vient d’une profonde croyance que dans la vie il y a toujours une raison de croire que la lumière se trouve derrière une porte dérobée. Le jeu de la vie est de trouver cette porte. Et il faut accepter que le chemin qui se trouve derrière cette porte n’était pas forcément celui que l’on voulait emprunter. Mais c’est parfois la meilleure des choses qui pouvaient nous arriver. Et c’est précisément ce qu’il s’est passé pour moi pendant la pandémie. J’ai compris que je suis une artiste curieuse qui aime explorer plusieurs répertoires. Et j’ai profité de cette période pour trouver ce qui convient le mieux à ma voix et surtout comment on habite les personnages, comment on habite les mots et comment rattacher tout cela a une expérience personnelle, et établir ainsi des liens intimes avec l’œuvre et le personnage. Et cette proximité avec le personnage me permet de résoudre les difficultés vocales. J’ai un timbre particulier tout en rondeur, chaleur, et en même temps il y a quelque chose de fin, de perçant. Et cette particularité je la cultive en laissant ma voix sortir avec le moins entrave possible et surtout veiller à ce qu’elle soit toujours très bien soutenue, j’ai donc travailler le souffle, l’endurance. J’ai également exploré plus avant la dimension colorature de ma voix, la richesse dans l’aigu et je me suis mis donc à étudier Donna Anna par exemple, pour moi j’étais une Donna Elvira, dans la tessiture la personnalité, et finalement, je me sens tellement bien dans Donna Anna !! J’ai également travaillé Louise de Charpentier. Ma voix est une voix très élastique, très malléable. C’est pourquoi, je me vois bien dans les rôles mozartiens, Anna, la Contesse, Vitellia. Je me vois également dans le Marguerite de Faust. En fait, j’ai envie de chanter des rôles de mon âge, de jeune soprano lyrique, et non sous prétexte que j’ai une couleur ou une teinte ronde, chaude, grave, d’aller vers des répertoires plus lourds. J’ai d’ailleurs des perspectives de propositions en ce sens à l’étranger pour 2023. Et j’ai aussi interprété le baroque avec Christophe Rousset et Hervé Niquet que je remercie vivement et qui m’a beaucoup appris sur ma voix et mes envies. Et je me rends compte que c’est un répertoire que j’ai envie de servir. J’adorerais chanter Alcina par exemple. Au cours du confinement, je suis donc sortie de ma zone de confort, pour explorer d’autres possibilités, attirée sans doute par des profils de personnages que l’on peut autant incarner que chanter. Sur mon travail j’ai réalisé à la reprise de mes activités artistiques à quel point garder un rythme élevé de travail était nécessaire, pour l’endurance, la santé de la voix, son bon développement, et bien sûr la qualité du travail. J’ai aussi compris qu’il était très important de s’organiser, et d’avoir le plus d’avance possible sur un projet. Car souvent tout s’enchaîne, et on n’a pas le temps d’approfondir autant qu’on voudrait. Donc les périodes doivent aussi servir à préparer un maximum de choses en avance tout en prenant du temps pour soi et pour nos proches. Et j’ai la chance que mon époux soit pianiste accompagnateur. Son regard, ses conseils, sa présence ont donc été très importants dans ce moment difficile pour moi.
2. En avez-vous tiré des enseignements particuliers, d’ordre personnel ou artistique ?
J’ai surtout compris que j’étais une artiste qui avait besoin du public pour pleinement se réaliser. Pendant le deuxième confinement, j’ai été très chanceuse et j’ai fait pas mal de projets enregistrés, des concerts retransmis à la radio ou à la télévision. Mais j’ai compris par la même occasion que j’étais incapable d’atteindre mon plus haut potentiel sans l’énergie du public. Quand on est seul filmée, il y a un espèce de surconscience de soi et de ce que l’on fait, qui à mon goût freine certains élans, une certaine spontanéité. On est dans une recherche de perfection parce qu’on sait que la prestation va être fixée, figée, écoutée, comparée, ce qui empêche selon moi le complet lâché-prise qu’on ne peut trouver que lorsqu’il y a un public. Avec le public, c’est un moment suspendu, unique, une magie qui n’existe que dans cet instant là et qui va mourir une fois que le concert s’achève. C’est un moment qu’on ne revivra pas, car il est unique. C’est un partage complet, total, qui fait qu’on n’est plus dans cette espèce de cérébralité, cette intellectualisation des choses tournée vers soi quand on est seul. On ne pense pas aux difficultés techniques. On est dans la vérité et la spontanéité de l’instant parce que le public est devant nous. Sa simple présence est une énergie qui me transporte et me permet d’atteindre un niveau, non pas technique, mais expressif incroyable. Je considère qu’en concert, en récital, on n’est pas là pour se faire voir, on est là pour dialoguer, échanger avec l’auditoire par le vecteur de la musique et des mots. Il faut avoir conscience de cela. Le public n’est pas là pour regarder quelqu’un se regarder. C’est insupportable. Monter sur scène est une conversation sans parole qui passe par tous les sens. Et ça change tout ! Les intentions de l’interprétation et de l’intensité du son. Les couleurs, les nuances, les odeurs, sont plus intenses, Tout est plus fort, plus puissant sur le plan des émotions, des ressentis. Même les silences du public sont de très beaux moments, avec ce souffle retenu que l’on peut sentir de la scène. Souvent après un concert devant public, les chefs d’orchestres, les collègues, les metteurs en scène me disent « Ah c’était beaucoup mieux qu’en répétition », ou alors « C’était déjà très bien, mais là ça n’avait rien à voir ». Je ne peux pas l’expliquer mais même les ingénieurs du son me disent que ma voix sonne différemment en public « On avait fait le réglage sur ton raccord à la répétition, mais les harmoniques, l’intensité du son n’étaient pas pareils ». Avant la pandémie, être devant le public faisait partie du métier, c’était de l’ordre de l’acquis. Aujourd’hui on mesure à quel point tout cela est précieux et relève de la magie, et quelque part d’un miracle renouvelé, dont on doit savourer chaque minute, chaque seconde, car encore une fois chaque dialogue avec l’auditoire de telle salle, de tel lieux pour tel programme est unique et ne se vit qu’une seul fois.
3. Comment abordez-vous la période « post-confinement » ? Quelles sont aujourd’hui vos projets et envies d’artiste ?
Pour moi, la pandémie a été le prémice d’un renouveau. Et la période actuelle, est comme un retour à la vie, comme si j’étais morte mais que finalement on me donnait une deuxième chance d’exister! Du coup chaque concert, chaque représentation, est un moment de pure joie et d’excitation intense! Je suis avant d’entrer en scène, comme une enfant le matin de Noël, et savoure chaque minute et seconde le moment venu! En tant qu’artiste j’ai toujours désiré l’éclectisme, et j’aime quand ma saison s’articule à la fois autour de productions d’opéra, récitals, projets inédits musicaux et théâtraux. Je suis extrêmement curieuse et j’aime tout tenter, afin de vraiment savoir dans quoi je peux le plus pleinement me réaliser en tant qu’artistes. Les trois concerts qui arrivent illustrent tout à fait de cette transversalité dans laquelle je me sens à mon aise : « La Nuit de la Voix » de la Fondation Orange à l’auditorium de Radio France, le 22 Novembre 2021, où j’aurai le plaisir de chanter avec André Manoukian, Angélique Kidjo, l’ensemble baroque La Tempête et son chef Simon-Pierre Bestion. Encore et toujours le baroque ! Vient ensuite le Récital Wagner avec Tanguy de Williencourt au piano à la Seine Musicale, le 7 Décembre 2021, puis la tournée de concert avec mon trio, le trio Morgen, Chloé Ducray à la harpe, Thibaut Maudry au violon, dans le cadre du Festival « En Voix » dans l’Oise, en Novembre et Décembre). Et je suis surtout impliquée dans un beau projet original qui me tient à cœur et qui m’amènera en une tournée de plusieurs mois, de Janvier à Avril 2022, dans plusieurs maisons d’opéras, Massy, Nantes, Angers, Reims et Tourcoing. Il s’agit du Malade Imaginaire sur la musique de Charpentier, pour la célébration de l’année Molière, sous la direction d’Hervé Niquet avec Le Concert Spirituel, et dans la mise en scène de Vincent Tavernier et sa compagnie Les Malins Plaisirs. C’est un Opera-ballet créé autour de la pièce de Molière qui sera entrecoupée de parenthèses musicales et de séquences dansées. Une sorte de « comédie musicale version baroque », pour reprendre les termes mêmes d’Hervé Niquet. Pour l’instant, je ne peux pas vous en dire plus. Je dois faire des essayages de costumes bientôt, on m’en a promis trois différents !!. Je sais que je dois interpréter trois personnages. Je me souviens de l’audition sous la direction de Vincent Tavernier. Il m’avait demandé à cette occasion de chanter le même air avec au moins sept intentions différentes (vieille femme désabusée, une jeune fille en colère…) J’ai adoré cette audition très créative porteuse d’énergie et d’envies. Je suis ravie d’avoir été choisie !!! Je m’attends à un travail scénique et musical fabuleux sur ce projet. Et j’ai évidemment hâte d’y être ! Par ailleurs, j’ai un beau projet avec Renée Fleming qui va aboutir au début de l’année 2022.Je vous en reparlerai bientôt !
4-Vous venez de participer au concours international Operalia. Comment avez-vous vécu de l’intérieur le concours? Que vous a apporté cette expérience?
C’était assez grisant et excitant de faire partie de cette aventure, de rencontrer tous ces chanteurs incroyables de quatre coins du monde. J’en garde un magnifique souvenir! Rencontrer Placido Domingo a aussi été un grand moment. Il est d’une telle gentillesse, simplicité et générosité. Sa bienveillance, son attention m’a touchée. Il a pris le temps avec chacun des candidats d’écouter, d’échanger, de donner des conseils, de complimenter aussi. Etre sélectionnée pour concourir à Operalia, même si je n’étais pas en finale, est déjà une immense satisfaction et fierté. Si on est choisi pour être dans cette compétition, c’est que l’on est parmi les jeunes qu’on remarque sur le plan international. Et puis j’étais en magnifique compagnie, avec mon amie Marie-Laure Garnier que je connais depuis 17 ans !! Cette expérience vécue en duo nous a permis de passer du temps ensemble, d’échanger sur nos projets, nos aspirations. Et il était surtout très rassurant de voir que les autres candidats avaient les mêmes préoccupations que moi et s’inquiétaient pour leurs voix de l’excès de chauffage dans l’hôtel, du besoin de s’hydrater et du contraste avec le froid extérieur. Il y avait beaucoup de sincérité, de spontanéité et solidarité dans les propos. Personne ne se la jouait « tout va bien, j’ai pas de stress ». On se soutenait, s’entraidait, s’encourageait. L’humanité du concours m’a rassurée sur le tissu humain du métier et m’a redonné foi en ma génération et j’aurais plaisir à retravailler avec ces collègues. Cette expérience m’a permis de réaliser quelles étaient mes limites, mais d’une façon positive. Notamment comme se lancer dans une salle sans l’avoir testé, ce qu’il faut savoir, c’est qu’on ne vous laisse pas tester la salle avant le concours, ce qui m’a clairement desservie. Mon premier air (« Il est doux, il est bon » d’Herodiade de Massenet), était en fait mon raccord, et donc je n’étais pas au meilleur de moi, et ce n’est qu’au second air que j’ai tout donné (Le Freischutz). Je savais donc que le jury composé d’une dizaine de personnes n’irait peut être pas dans mon sens. J’ai aussi compris au contact de certains candidats que j’avais encore besoin de développer mon apprentissage de la scène, et cela m’a permis de comprendre ou je voulais aller en étant témoin de cela, j’ai pris conscience de ce qui me manquais. Ce qu’il faut savoir également c’est qu’il y avait parmi les candidats des artistes qui avaient déjà un début de carrière internationale notamment sur les scènes américaines. C’est sans doute un effet de la pandémie : faute de spectacles, il y a des jeunes artistes déjà installés qui étoffent leur palmarès et comblent les moments de creux avec des concours. J’ai alors vraiment vu la différence entre ces chanteurs qui avaient déjà du métier et qui se sont déjà produits sur des scènes importantes d’Europe et d’Amérique, dans une diversité de rôles et ceux pour qui, comme moi, ce n’était pas le cas! Le lauréat du concours [NB : Prizelvan Ayon-Rivas], il était impressionnant, il n’y avait pas de questionnement, il était là et c’était comme ça. C’était une espèce d’évidence tellement forte qu’on ne pouvait presque pas lutter. Finalement rien ne remplace l’expérience de la scène, c’est là qu’on se forge, que l’on se met à l’épreuve pour devenir meilleur.