Béatrice Uria-Monzon est partout en ce début de printemps. Les médias sollicitent avant tout la marraine de la quatrième édition de l’opération Tous à l’opéra qui se tiendra les 8 et 9 mai prochain, au moment où elle reprendra le rôle de Giulietta dans Les Contes d’Hoffmann à l’Opéra national de Paris. Forum Opera, qui suit de près la carrière de la mezzo française depuis ses débuts, en a profité pour faire avec elle un large tour d’horizon.
Que représente pour vous une opération comme Tous à l’opéra dont vous « marrainez » la quatrième édition ?
C’est avant tout un plaisir ! Je ne suis pas accro aux médias mais je suis heureuse de parler de mon métier, de le faire connaître, d’essayer de contribuer à « décomplexer » le public face à l’opéra. Il faut arrêter avec le syndrôme du « c’est pas pour moi, c’est trop cher, c’est trop compliqué » ! Ce week-end « portes ouvertes » est là pour aider le public à franchir les portes des maisons d’opéra. Il faut répéter qu’aller à l’opéra ne coûte pas plus cher qu’aller à des concerts de musique pop et que la robe longue n’est plus de mise. L’image de l’opéra reste encore souvent caricaturale : dans certains films pourtant de qualité, comme Diva de Jean-Jacques Beneix, ou dans certains spectacles de vulgarisation comme ceux de Marianne James, l’image de la chanteuse d’opéra est complètement simpliste. Il faut arrêter !
Vous pensez que ça marche et qu’une telle opération amène un nouveau public à l’opéra ?
Je pense que la communication autour d’une telle opération peut permettre déjà de faire savoir que l’opéra existe, que les chanteurs d’opéra sont des gens comme tout le monde, et que c’est accessible à tous. Je rencontre depuis longtemps, et avec grand plaisir, des enfants des écoles qui viennent de plus en plus souvent aux répétitions, aux spectacles. Je suis convaincue que l’art est essentiel dans nos vies et dans nos sociétés. C’est vrai aussi du sport mais il y a d’autres problèmes, comme la violence. L’art peut transformer des vies et, sans avoir la prétention d’avoir, moi toute seule, un tel impact, j’ai l’ambition d’aider à découvrir cette dimension là. Même si cet objectif n’est atteint que pour un petit nombre de personnes, c’est déjà cela de gagné.
Pour poursuivre ce but là, vous enregistreriez des CD de chants de Noël, de chants du Sud-Ouest par exemple ou autre chose dans ce goût là ?
Sans aucun snobisme de ma part, je n’en ai tout simplement pas envie parce que ca n’est pas cela qui me fait le plus vibrer. Mais vous savez, j’ai commencé en chantant de la bossa nova et il m’arrive de chanter encore des tangos argentins. Mais c’est autre chose.
Cette envie d’aller vers le public est-elle un des éléments qui explique la régularité de votre présence en France, dans les principaux théâtres de province, alors que vous pourriez choisir de ne chanter que dans les plus grands théâtres du monde ?
Curieuse question ! J’aime mon pays et j’aime y chanter ! On m’a offert de beaux rôles dans ces maisons où il est très agréable, grâce à l’environnement notamment humain, grâce à la taille des salles aussi, de « tester » des rôles. Cela a été le cas à Marseille, où j’ai fait une partie de mes études au CNIPAL, avec Amnéris dans Aïda ; j’y reprendrai du reste Santuzza de Cavalleria Rusticana. Je préfère être un mois à Marseille que deux mois je ne sais où à l’autre bout du monde. Je chante depuis 20 ans et c’est un métier qui est dur, avec de grands moments de solitude et il est vraiment agréable de chanter dans ces maisons familières, avec des conditions de travail très bonnes.
Un mot peut-être sur votre site internet (www.beatrice-uriamonzon.com) qui est très personnel et réussi ?
A l’origine, l’idée était surtout de mettre en valeur la peinture de mon père. Les sites que je voyais par ailleurs ne me convainquaient pas. Je voulais avant tout donner à mon site une dimension artistique et une amie photographe, Sigrid Colomyès, a pris en charge son élaboration avec beaucoup de talent. Elle a obtenu un prix pour ce site et elle en fait désormais beaucoup. Récemment, nous l’avons fait évoluer en y ajoutant beaucoup de musique, d’extraits vidéos.
Vous revenez à Paris pour y interpréter le rôle de Giulietta dans Les Contes d’Hoffmann, à partir du 7 mai. Vous êtes très fidèle à l’opéra de Paris.
Oui en effet. J’y ai beaucoup de souvenirs artistiques, à la fois à Garnier où j’ai chanté Judith en 2007, dans le Château de Barbe Bleue, et à Bastille où j’ai débuté en 1993 dans Carmen. C’est le théâtre où je connais le plus de personnes que j’ai plaisir à retrouver. Ca n’est pas anecdotique du tout, vous savez. La salle de Bastille est particulière c’est vrai, très grande, mais sur le plateau, l’acoustique n’est pas du tout inintéressante. Il y a en tout cas des conditions de travail exceptionnelles et c’est tout simplement une des plus grandes maisons d’opéra du monde. J’ajoute que j’ai eu la chance de chanter régulièrement à l’Opéra de Paris sous toutes les directions et j’apprécie beaucoup Nicolas Joël, depuis longtemps. Il m’a souvent invitée à Toulouse, comme d’autres chanteurs français que l’on retrouve à Paris régulièrement maintenant comme Sophie Koch ou Anne-Catherine Gillet. J’ai travaillé avec lui dans différentes mises en scène qu’il avait conçues et je me rappelle particulièrement une très belle production à Madrid, des Contes d’Hoffmann justement. Je suis très heureuse qu’il me fasse confiance et nous avons récemment signé pour le rôle de Ghitta dans Der Zwerg de Zemlinsky, début 2013.
Comment abordez vous cette nouvelle reprise des Contes ?
J’adore travailler avec Robert Carsen qui est là, avec nous en ce moment. Il est très intelligent, très précis, très exigeant et, par-delà les années il conserve le fil des idées qu’il veut développer. Nous nous connaissons mieux, y compris depuis que nous avons fait Tannhäuser ensemble en 2007, ici même ; il me pousse à en faire davantage, à repousser mes propres limites et c’est vraiment intéressant.
A ce point de votre carrière, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je crois que j’ai été très prudente et que j’ai bien fait. J’ai mis du temps à accepter certains rôles, comme Venus dans Tannhäuser… après avoir refusé Kundry à Hugues Gall. Ca n’est certes pas facile, en particulier avec des directeurs d’opéra qui ne le comprennent pas, mais je n’ai jamais voulu prendre de risque inconsidéré. Sophie Koch a fait le même raisonnement avec à peu près les mêmes rôles que moi, comme Adalgisa, Charlotte, ou certains rôles wagnériens. Le bel canto restera marginal dans ma carrière car les vocalises coloratures ne sont pas ce que je préfère… surtout quand je vois ce que fait Karine Deshayes, absolument exceptionnelle.
Et votre instrument, comment le ressentez-vous ?
Je crois que je suis dans la pleine maturité vocale et j’ai construit ma voix petit à petit, en cherchant d’abord à l’« installer », solidement, sans chercher à la « trafiquer ». Vous savez, quand j’ai débuté, ça n’était pas facile : j’avais une voix large, trop large pour Mozart me disait-on ; mais pas assez virtuose pour Rossini… Verdi n’était pas pour moi, Puccini non plus… Je me suis cantonnée à quelques rôles comme Charlotte, Marguerite de La Damnation, Carmen bien sûr mais aussi quelques Dalila, Béatrice et Benedict. Ma voix aujourd’hui me porte plutôt vers l’aigu, vers le registre de soprano. Je ne construis aucun fantasme sur tel ou tel répertoire et je ne décide rien en la matière : c’est le corps qui décide et il a toujours raison ! Si l’instrument est en bon état, on peut aller plus facilement, de manière plus contrôlée vers l’aigu et c’est mon cas ! Je vais chanter dans les prochaines années des rôles pour soprano, comme Chimène dans Le Cid.
Vous allez également débuter dans Tosca, à Avignon en 2012.
Oui, absolument. Je ne l’aurais pas décidé si cela n’avait pas été à Avignon dans un contexte de confiance, avec Nadine Duffaut à la mise en scène et Alain Guingal à la direction. Quand Raymond Duffaut me l’a proposé, j’ai eu envie de lui faire confiance parce qu’il me connaît très bien mais nous avons décidé ensemble après que je lui ai chanté le rôle, en janvier dernier. Il y a bien quelques passages au deuxième acte qui me font peur mais j’ai encore deux ans pour travailler. Je ne prendrai aucun risque inconsidéré surtout avec un ouvrage comme celui-là où l’on peut se laisser facilement emporter, surtout avec mon tempérament…
Vous vous inscrirez ainsi dans la grande tradition des mezzos ayant chanté Tosca comme Shirley Verrett ou Grace Bumbry…
Oui, c’est un peu la même vocalité en effet. On peut aussi penser à Régine Crespin même si sa couleur de voix était sans doute plus proche des sopranos que la mienne.
Vous reprendrez un autre rôle qui vous va bien, Eboli, en 2012.
Oui, à Vienne, dans la version française en cinq actes, que je n’ai jamais chantée encore. Après que Jean-Louis Grinda m’a offert ma première Eboli à Liège en 1998, j’avais repris ce rôle à Houston, avec Samuel Ramey et Ramon Vargas ; plus récemment à Toulouse, avec Ludovic Tézier. C’est un des seuls Verdi que je puisse chanter. Amnéris à Marseille s’était bien passé, je crois, mais il ne faudrait pas que je chante trop ce rôle ! On m’a proposé Azucena il y a peu de temps encore… mais je me vois vraiment plus en Tosca qu’en Azucena.
Comment travaillez-vous les nouveaux rôles que vous apprenez ? Avec qui travaillez-vous ?
Je travaille beaucoup avec les chefs de chant des théâtres pour apprendre les rôles. Et, sur un plan vocal, je travaille à nouveau depuis quelques temps avec Lionel Sarrazin qui connaît bien ma voix. On a besoin régulièrement d’une écoute extérieure, d’un regard, quel que soit son niveau. Mais le rapport aux professeurs de chant est très particulier, avec une dimension fusionnelle très forte qui pour moi va parfois trop loin. On me demande de plus en plus souvent d’enseigner et cela me fait très peur, tout en m’attirant je dois dire. Trouver le mot juste est extrêmement difficile. Sans doute donner des conseils d’interprétation sur des rôles que je connais bien serait plus aisé et cela me plairait d’y consacrer plus de temps à l’avenir.
Alors que votre répertoire s’est élargi, votre discographie reste encore limitée. Vous n’avez notamment pas enregistré de récital solo. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne l’explique pas. Je le constate et le regrette. On me pose souvent la question du reste et je crois qu’il y aurait un public intéressé qui me connaît depuis des années… Mais je ne sais pas pourquoi aucune maison de disque ne m’a jamais rien proposé. Posez leur la question ! On m’a dit un jour que je n’avais « pas une voix discographique »… mais je ne sais pas ce que cela veut dire et il est bien clair que s’il me fallait perdre mon identité vocale pour ressembler à une « voix standard » et pour vendre, cela ne m’intéresserait évidemment pas. Mais j’ai de quoi enregistrer un ou deux disques dans mon répertoire et je serais vraiment prête à le faire si une maison de disque me proposait de réaliser un enregistrement.
A quoi va ressembler l’été 2010 pour vous ?
Il sera plutôt reposant. Je ne vais pas à Aix, pas à Orange non plus cette année. Après Amsterdam, pour Shéhérazade de Ravel, je donnerai quelques récitals dans ma région, à Saint-Jean de Luz notamment. Je suis attachée à cette ville où mon père avait un atelier et une galerie et où j’ai vécu dans la maison de Ravel à Ciboure. Mon père avait travaillé aussi pour le festival de la Côte basque. Pour les étés futurs, on cherche des œuvres à programmer à Orange avec Raymond Duffaut, mais ça n’est pas facile par rapport à mon répertoire et à ce qui peut convenir au Théâtre antique. Je rêve des Troyens !
Propos recueillis le lundi 26 avril 2010, par Jean-Philippe Thiellay