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Christophe Dumaux : « Je n’ai plus envie de faire mes preuves. Qu’on aime ou pas ce que je fais, tant pis ! »

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Interview
31 octobre 2019
Christophe Dumaux : « Je n’ai plus envie de faire mes preuves. Qu’on aime ou pas ce que je fais, tant pis ! »

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Mais qu’est-il donc arrivé à Christophe Dumaux ? Son Polinesso nous avait littéralement décoiffé la saison dernière à la Philharmonie de Paris et nous brûlions de le réentendre sur scène pour en avoir le coeur net. Or, ses débuts à la Scala dans Giulio Cesare ne font que confirmer la métamorphose du jeune contre-ténor que nous avions rencontré il y a une quinzaine d’années. Nous l’avons retrouvé, entre deux représentations, au Café de l’Opéra pour une conversation à bâtons rompus. 


Que représentait La Scala pour vous avant cette production ?  

C’était l’inaccessible. Je ne m’imaginais pas que je pourrais y chanter ce répertoire, même si la plupart des maisons d’opéra finissent par s’y mettre. Je viens de faire mes débuts au Staatsoper de Vienne qui, lui non plus, n’a pas forcément l’habitude des pièces baroques. C’est incontournable maintenant. Bien sûr, on privilégie des œuvres connues. La dernière fois que Giulio Cesare a été donné à Milan, c’était en 1956, Corelli chantait Sesto. C’est pas mal ! J’aurais aimé l’entendre. Nous avons eu un fort bon accueil du public. J’étais très étonné, car je m’attendais à ce que les contre-ténors, en particulier, soient peut-être hués. Or, ce fut, au contraire, un grand succès. Il y avait aussi la crainte de ne pas se faire entendre dans cette salle. Au parterre, c’est relativement sourd, mais dès qu’on monte un peu, l’acoustique est vraiment agréable. Le décor est assez ouvert au début, ce qui n’est pas évident, mais on sait qu’il y a des points où cela va bien sonner, le point Callas par exemple. C’est fait, j’ai chanté à La Scala ! Puis je reviens l’année prochaine…

Nous allons y revenir. Si vous aviez déjà croisé le Sesto de Philippe Jaroussky et la Cléopâtre de Danielle De Niese, n’était-ce pas votre première rencontre avec le César de Bejun Mehta ?

Non ! J’ai fait mon tout premier Tolomeo avec Bejun, en 2004, à Pittsburg. C’est pour cela que j’avais dit que celui-ci serait mon dernier : quinze ans plus tard, je le rechantais avec Bejun, la boucle était bouclée, mais je suis parti pour en refaire un. 

J’imagine que vous avez arrêté le compteur…

Non, ça m’amuse, je pense qu’à la fin de cette production, j’en serai à ma 139e incarnation, sans compter les générales. Ca me suffit [Rires]. 

Réunir deux tempéraments comme le vôtre et celui de Bejun Mehta dans des rôles antagonistes, c’est a priori explosif… 

Oui, mais en même temps nous n’avons qu’une scène ensemble. Nous avons fait plusieurs productions, mais dans des rôles où nous nous croisions finalement assez peu sur scène, ce qui est frustrant, parce que c’est un contre-ténor que j’adore. J’ai grandi aussi avec ses enregistrements et je me rappelle d’ailleurs son premier disque quand il était encore enfant. Si on me dit : à cinquante-deux ans, tu chanteras encore ainsi, je signe tout de suite ! 

En l’entendant interpréter l’Orfeo de Gluck la saison dernière à Berlin, j’étais aussi impressionné par sa santé vocale…

La voix n’a pas bougé et sa projection est intacte. On se rend compte à quel point les techniques de contre-ténor peuvent être différentes. Je me faisais la réflexion : il ne poitrine jamais, or il est toujours audible dans les graves, c’est assez incroyable. C’est souvent le problème chez les contre-ténors, parfois même dans le médium et il faut poitriner, mais Bejun fait tout en falsetto et la voix sonne partout. 

Alfred Deller avait aussi un falsetto très étendu dans le grave, évidemment il ne faisait pas de scène et n’était pas exactement un chanteur lyrique…

Oui, Deller avait aussi cette particularité. Tout comme beaucoup parmi les premiers contre-ténors. Maintenant la tendance s’inverse. 

Comment faites-vous pour vous renouveler en Tolomeo ?

Ce n’est pas à moi de me renouveler, c’est au metteur en scène. J’ai ma propre idée du personnage, mais je ne veux pas interférer avec le travail du metteur en scène. Qui suis-je pour le faire ? S’il m’interroge, je suis prêt à lui donner ma vision, mais si on ne me demande rien, je me cantonne à mon rôle d’interprète. 

A Glyndebourne, David McVicar vous avait laissé pas mal de liberté, m’aviez-vous dit, et ce Tolomeo vous devait donc beaucoup…

Oui. En fait, il était arrivé et nous avait dit : je ne sais pas ce que je vais faire, mais on va réfléchir et travailler ensemble. D’ailleurs, si nous n’avionx pas eu Danielle De Niese, il n’y aurait pas eu autant de chorégraphies dans cette production. On a pris pas mal de libertés. J’étais jeune aussi, j’avais vingt-cinq ans et j’étais plutôt élastique. Nous avons repris cette production à Glyndebourne l’année dernière et j’ai refait mon flip, mais avec un peu moins de grâce – il y a quand même vingt-cinq kilos en plus ! Pour ce qui est de me renouveler, cela dépend d’abord de ce que veut le metteur en scène. J’ai fait beaucoup de spectacles où Tolomeo est souvent ce petit adolescent, capricieux… Sur cette production, avec Robert Carsen, c’est tout autre chose, déjà j’ai cette barbe [très fournie]…

Effectivement, on pourrait vous prendre pour Jean Rondeau !

C’est ce que Philippe Jaroussky m’a dit, mais j’en suis encore loin, même si je me laisse pousser les cheveux. J’incarne un Tolomeo adulte. Dans la version de Salzbourg, c’était également fort intéressant avec Patrice et Moshe, on allait scéniquement beaucoup plus au fond des choses. C’était différent. Ici, Tolomeo est plus adulte, plus posé. Cléopâtre aussi d’ailleurs. Nous nous le disions avec Danielle, chacun a pris quinze ans, nous n’avons plus la même façon de nous mouvoir sur scène et vocalement nous avons également changé. On vieillit.


Christophe Dumaux (Tolomeo) à la Scala © Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

En même temps, vous revenez à Milan la saison prochaine pour chanter Néron dans une reprise de l’Agrippina que Robert Carsen avait montée à Vienne où le futur empereur se promène en maillot de bain au bord d’une piscine. Quand on a vu comment Mariame Clément vous déshabillait dans le Giasone de Cavalli, ce n’est pas surprenant que vous repreniez le rôle créé par Jake Arditti…

Plus maintenant… Le temps a fait son œuvre !

On va rhabiller Néron alors ? 

Non, il faut surtout que je retourne à la salle de sport. Oui, il y a cette fameuse scène…

Avec une guitare…

Voilà, je serai derrière, je pourrais juste travailler un peu les épaules et le haut des pecs et ça suffira. Les abdos, on oublie.

Blague à part, ce qui m’a surpris, c’est que vous abordiez la partie de Néron : l’alto serait-il devenu mezzo ?

J’ai gagné en aigus, c’est certain, je peux me permettre certaines cadences que je ne faisais pas avant, mais il y aura des transpositions, d’un ton. Le dernier air (« Come nube »), normalement, je devrais le chanter sans transposition. Cela se faisait beaucoup à l’époque. C’est Robert qui m’a demandé si j’étais libre et j’ai répondu que je l’étais…  pour Ottone. Or, il me voulait en Nerone. Je lui ai expliqué que je devais voir avec le chef si je pouvais transposer. J’ai appelé Gianluca [Capuano] et il m’a répondu qu’il n’y avait aucun problème. Cela dit, il y a encore beaucoup de chanteurs qui transposent. Je continue à travailler pour gagner des aigus dans l’optique éventuelle de chanter un jour Néron dans Le Couronnement de Poppée. L’espoir fait vivre…

C’est plutôt tendu, de bout en bout …

Oui, il y a du travail, mais ma voix s’élargit déjà. Il faut se donner des objectifs dans la vie et c’en est un. Après, on n’arrive pas toujours à obtenir ce qu’on souhaite, mais on a au moins le mérite d’avoir essayé.

En effet, votre voix s’est considérablement élargie. En vous écoutant interpréter Polinesso à la Philharmonie de Paris la saison dernière, j’ai été fort surpris : vous n’avez plus du tout la même voix qu’il y a quinze ans. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à l’avoir relevé. Est-ce juste la maturation normale de l’instrument ?

J’ai changé techniquement. Il y a eu une période critique, vers 2008-2009, lorsque j’ai fait mon premier Orlando. Je commençais à chanter dans des salles importantes et comme tout jeune chanteur, je n’avais qu’une envie : me faire entendre. Je poussais, mais pas de manière adéquate. Il a fallu que je retrouve une émission plus dans le masque, que je travaille le mixte et le passage en poitrine. J’ai travaillé pour me faire entendre sans être obligé de forcer sur la voix et de me fatiguer. C’est vrai que pas mal de personnes m’ont dit que la voix avait beaucoup changé. Je n’ai pas non plus chanté de rôles trop lourds, j’ai peut-être gardé quelques cartouches pour ne pas me griller trop vite. Cela va faire dix-huit ans, je suis toujours là, je me sens bien vocalement et j’espère encore être là dans quinze ans. 

Vous avez eu quarante ans ou vous allez les avoir ? Les biographies restent imprécises et mentionnent que vous êtes né en 1979… 

C’est pour bientôt, en décembre. J’aurai donc fait mes débuts à la Scala avant mes 40 ans ! J’en suis content. 

Je vous posais la question parce que David Daniels, alors qu’il avait 43 ans, me disait qu’il se sentait plus fort et plus résistant que dans la trentaine. C’est également votre cas ?

Je pense aussi pour ma part qu’il y a le fait d’avoir des enfants. Cela m’a changé. J’ai pris du poids, j’ai fait une couvade à chaque enfant, cinq kilos par enfant, j’ai pris ainsi quinze kilos. J’ai également arrêté la cigarette il y a cinq ans. Le poids a vraiment fait beaucoup, mais également le fait de me remettre au sport, même si depuis un an et demi c’est plus difficile. Là, c’est ma huitième production en un an. Je vais un peu lever le pied. Le fait aussi de savoir ce que l’on veut vocalement est important. Travailler Polinesso m’a fait beaucoup du bien. Tolomeo, je crois que je vous l’avais déjà dit, c’est fatigant. Il y a tous ces changements de registre, même si on les travaille, ce sont des changements abrupts et tout le monde ne s’appelle pas Franco Fagioli [Rires]. En abordant Orlando au Theater an der Wien, je pensais que je serais épuisé après une représentation, or pas du tout. Même si la partie est grave, elle reste centrale, on est tout le temps sur scène et on n’a pas le temps de rentrer en loge et de chauffer à nouveau la voix, en se demandant si elle est toujours là. C’est cela aussi, je pense, le gros problème des seconds rôles : on est tout le temps en train de se chauffer la voix. Maintenant, j’évite de le faire. Si la voix est là, elle le sera toujours quand on reviendra sur scène une demi-heure plus tard. 

Vous avez plus d’assurance aujourd’hui…

Oui, également, mais je n’ai surtout plus envie de faire mes preuves. Qu’on aime ou pas ce que je fais, tant pis, je me donne et j’y prends du plaisir. 

En voyant ce qu’ose le marketing, même dans le classique, je ne peux m’empêcher de penser que si Christophe Dumaux devait débuter aujourd’hui, on jouerait sur son physique et son allure sportive pour le lancer… 

Je crois que je vois où vous voulez en venir…

Vous y avez échappé.

Oui, parce que je le voulais. Quoique, des metteurs en scène ont exploité une certaine agilité sur scène. Ici, on m’avait redemandé de faire un flip. J’ai dit à la chorégraphe que j’avais passé l’âge. En même temps, il y a quinze ans, on n’en avait pas fait tout un foin. Mais le soir de la première, une dame m’a dit : « c’est incroyable, c’est la première fois que je vois un chanteur faire des pompes en chantant ! » J’ai juste fait deux pompes avant de chanter. A la Scala, le public n’est sans doute pas habitué à voir des mises en scène qui bougent beaucoup. Le statisme m’a toujours ennuyé à l’opéra. Le marketing s’est aussi développé avec les réseaux sociaux, c’est notre époque, tous les jeunes chanteurs sont obligés de passer par-là. Personnellement, cela ne m’intéresse pas. Les réseaux sociaux ne montrent en fin de compte que le bon côté des choses, mais qu’en est-il de la réalité du métier ?

Il y a quinze ans, vous m’expliquiez aimer les rôles de méchant parce qu’ils ont une dimension supplémentaire, davantage de relief. Dans La Morte d’Abel de Caldara qui vient d’être exhumée à Salzbourg, vous n’étiez évidemment pas Abel, mais Caïn… 

En effet, mais finalement, ce qui caractérise ce genre de rôle c’est peut-être tout simplement aussi une certaine humanité et une sincérité. Tolomeo, je commence un peu à saturer, mais Polinesso, en revanche, c’est vraiment jouissif. C’est peut-être aussi parce que j’ai mûri. J’apprécie le fait que le personnage joue un rôle central dans l’intrigue, que l’histoire existe grâce à lui. Musicalement, il est aussi nettement plus riche que Tolomeo. J’adore chanter ce rôle et voir des metteurs en scène comme Christof Loy et David McVicar en faire des choses totalement différentes. 

Le San Giovanni Battista de Stradella, que vous allez donner à Amsterdam en 2020, c’est tout autre chose. Un personnage animé d’une foi ardente, mais tout en intériorité…

Oui, on l’a déjà fait à Salzbourg il y a deux ans, avec le Collegium 1704. Cela change complètement pour une fois. Je peux montrer autre chose en incarnant ce type de personnage. Mais attention, intériorité ne veut pas dire mollesse. La musique de Stradella est magnifique et j’ai toujours rêvé d’en chanter depuis l’album que Gérard Lesne lui avait consacré. J’ai envie de reprendre le programme, on le fera peut-être en tournée. J’aimerais pouvoir faire plus de concerts, autour de Stradella mais aussi de Caldara, et un peu moins d’opéra. Je vais aussi pouvoir chanter Ottone dans Agrippina, un rôle que je n’ai plus interprété depuis maintenant quinze ans. Je reprendrai également l’Orlando de Claus Guth en 2023 et c’est un rôle qui m’intéresse beaucoup. Certainement le plus complexe que j’ai pu interpréter.

En plus, il occupe une place spéciale dans votre mythologie personnelle, c’est celui qui, interprété par James Bowman, vous a révélé les possibilités de la voix de contre-ténor…

C’est vrai. Je trouve aussi qu’il est au-dessus de tout ce que Haendel a fait. Psychologiquement et physiquement, il exige beaucoup. Regarder des vidéos de folie pendant un mois de répétition pour y trouver des idées et nourrir son interprétation, c’était vraiment épuisant. On n’en sort pas indemne. J’aimerais chanter Cesare également. On me l’a refusé plusieurs fois, parce que j’étais trop maigre, pas assez vieux, mais je vais avoir quarante ans et ma corpulence a changé. Je ne l’ai fait qu’une fois, grâce à Jean-Claude Malgoire…

A Tourcoing, avec Sonya Yoncheva …

Oui, c’était avant l’explosion de sa carrière. Je vais interpréter Andronico aussi dans Tamerlano, mais en version de concert. Comme Ottone, dont la musique est superbe, scéniquement, par contre, le résultat est souvent très mou. Même dans Le Couronnement de Poppée d’ailleurs…

Il se fait malmener, c’est le souffre-douleur des autres… 

Oui, mais il doit pouvoir exister, or on en fait souvent une lavette dont les autres profitent.  Ottone est quand même un général d’armée. Il n’a pas seulement ce pouvoir, mais aussi un pouvoir de décision, il est maître de sa vie. Ce n’est pas parce qu’il se fait malmener, qu’il doit être faible. Andronico bénéficie d’une musique magnifique, mais pour le défendre scéniquement, c’est très compliqué. A choisir, je prendrais Tamerlano, même s’il y a moins d’airs et qu’ils sont moins intéressants, hormis « A dispetto ». On s’amuse beaucoup plus à jouer Tamerlano qu’Andronico.

Vous vous êtes bien amusé lors de la reprise du spectacle de Pierre Audi à la Monnaie 

Oui, c’était une belle production, très tournée vers le théâtre. Ottone va aussi me permettre de montrer autre chose. J’ai donné un récital à Göttingen en mai et un critique, qui ne s’était jamais vraiment intéressé à mon travail, était étonné que ma voix soit capable de pianissimi, de mezza voce et qu’elle possède d’autres couleurs. Mais un rôle comme Tolomeo ne me donnait pas l’occasion de le montrer. C’est un défi pour les quinze prochaines années.

Vous aimeriez aborder également des rôles plus lyriques comme Bertarido ?

Bertarido, j’adorerais. Je rêverai de chanter Orfeo également. 

Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ?

Je n’en sais rien du tout. C’est vous le journaliste [Rires]. 

Pourquoi n’aimez-vous pas donner des interviews ? 

Parce que je n’aime pas parler de moi. Tout simplement.

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