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Joan Matabosch : « Ouvrir dès qu’on peut, fermer seulement si on doit »

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Actualité
4 mars 2021
Joan Matabosch : « Ouvrir dès qu’on peut, fermer seulement si on doit »

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Depuis le mois de juillet 2020 et une certaine Traviata, le Teatro real de Madrid est une des seules scènes d’Europe à jouer sans interruption. Opéras, récitals, spectacles de danse… La vénérable institution est plus que jamais au cœur de la vie culturelle madrilène. Son directeur artistique nous explique comment il a fait pour continuer à programmer, alors que les opéras du monde fermaient leurs portes les uns après les autres.

 

Quand et comment avec-vous décidé de rouvrir le Teatro real ?

 

La façon dont la question est formulée est trompeuse. Même au cœur du lockdown, nous n’avons jamais été vraiment fermés. Nous continuions à travailler de chez nous ou ici au théâtre. Les productions étaient annulées au fur et à mesure que les circonstances l’imposaient. Mais nous n’avons jamais mis la clé sous le paillasson en disant : c’est fermé jusqu’à nouvel ordre. Les équipes se sont battues comme des lions, jusqu’à ce que l’éclaircie fin mai nous permettre d’entrevoir le bout du tunnel. La Traviata pouvait avoir lieu, même si ce serait probablement sans la mise en scène de Willy Decker, et à des dates différentes de celles prévues initialement. Nous avons mis en place une version de concert améliorée, les répétitions se sont merveilleusement bien passées, le public a répondu présent avec enthousiasme (la critique aussi), et depuis, notre théâtre a enchainé les productions, pratiquement sans aucune annulation. Et les gens viennent : notre capacité est limitée à 60 % de la jauge, mais tout est vendu.

 

Quelle est votre recette miracle ?

 

C’est d’abord une question de mentalité. Pour moi, un théâtre doit rester ouvert aussi longtemps que possible. Un théâtre fermé perd sa raison d’être à grande vitesse. C’est particulièrement vrai en Espagne, où le sponsoring est autant, voire plus important que le financement public. Quelle entreprise va continuer à soutenir un opéra qui a ses portes closes ? Il y a aussi la question de l’attitude des autorités politiques, qui se sont montrées extrêmement volontaristes, aussi bien du côté de la Communauté de Madrid que du gouvernement central, bien qu’ils soient de couleurs politiques différentes.

 

Concrètement, nous avons mis en place un comité sanitaire, composé d’experts des meilleurs hôpitaux de la région, qui nous ont élaboré un protocole sanitaire de près de 300 pages, avec les règles à suivre dans tous les cas de figure imaginables. Cela va de la politique de testing de tous les membres du personnel à la quarantaine en passant par les accès au théâtre, la façon d’asseoir les spectateurs, la tenue du personnel d’accueil, le nettoyage, la ventilation, etc … Nous suivons bien sûr tout cela a la lettre, et ledit comité se réunit tous les 10 jours pour faire le point. Nous avons également un accord avec un hôpital pour la réalisation des tests et la délivrance des résultats de manière immédiate. En suivant les choses d’aussi près, nous parvenons à maintenir l’activité de manière normale. Quand il y a un cas positif, il est très vite isolé, et nous pouvons affirmer avec quasi-certitude qu’aucune contamination n’a eu lieu dans l’enceinte du théâtre. Evidemment, quand un chanteur étranger arrive ici à Madrid et que je lui déconseille fortement de profiter de la vie sociale de la ville (NDLR : les restaurants, bars et boites de nuit sont tous ouverts), il est un peu étonné. Mais il comprend vite que c’est le prix à payer pour remonter sur scène. Finalement, n’est-ce pas là la vocation d’un chanteur d’opéra ?

 

Quid des grandes distributions orchestrales, comme dans le Siegfried joué actuellement ?

 

Je voudrais saluer l’esprit de coopération des instrumentistes. Au début, cela nous semblait impossible. Pensez-y : 6 harpes, 8 cors, 4 trombones …. comment allions-nous caser tout cela, même si notre fosse d’orchestre est grande et modulable ? Mais nous nous sommes tous assis autour de la table, et chacun a donné ses idées. Le personnel technique a prêté son concours, et finalement la fosse a été élargie aux loges latérales, de façon à ce que tout l’orchestre wagnérien sonne dans sa magnifique diversité. Notre comité sanitaire a bien sûr validé, et les représentations se déroulent avec succès. Pour tout ce qui est à plus petit orchestre, nous prenons simplement la fosse habituelle pour Wagner/Strauss, et nous espaçons les musiciens comme il se doit. Les choses ont aussi été complexes au niveau du chœur : Dans la Traviata, ils étaient placés en rangs à l’arrière de la scène. Si nous voulons les faire bouger, il faut soit qu’ils respectent les distances, soit qu’ils portent un masque. Mais je dois dire que nos metteurs en scène ont joué le jeu, et ont trouve des solutions étonnantes. Certains m’ont même dit que ce challenge était très excitant (rires).

 

On peut imaginer que de nombreux directeurs d’opéra de par le monde vous téléphonent pour demander conseil …

 

Mon protocole sanitaire est disponible, et je l’envoie à tous ceux qui en font la demande. 

Maintenant, je suis bien conscient que toutes les solutions mises en place ici ne sont pas transposables. Beaucoup de choses dépendent par exemple de l’architecture du bâtiment. Nous avons la chance d’avoir un théâtre doté de nombreux espaces ouverts. Ce n’est pas le cas partout. Le travail en sous-sol est très compliqué, notamment parce que la ventilation est un point capital. Et comme je vous l’ai dit, nous pouvons compter sur un soutien total au niveau politique et sanitaire. Ce n’est pas le cas pour tous mes collègues à travers le monde, j’en suis bien conscient. Mais avec de la volonté, ça reste possible. Barcelone, Valence, Séville jouent comme nous. Ils ont annulé certaines choses, mais ils jouent. Je suis convaincu que, si la sécurité du personnel et du public est garantie, les opéras doivent ouvrir. En période de crise, l’art et la culture sont des biens essentiels.

 

Propos recueillis à Madrid, le 3 mars 2021

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