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La critique par les pairs.

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Actualité
20 août 2018
La critique par les pairs.

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Si le journalisme critique en matière musicale s’est développé peu à peu jusqu’à son apogée au XIXe siècle, comme nous l’avons vu, le fameux jugement par les pairs, lui, n’a pas attendu aussi longtemps. Les rivalités de Cour entre faveurs et disgrâce ont alimenté bien des correspondances et autres commentaires très tôt dans l’histoire de la Musique. Bien sûr, il s’agit tout autant de l’influence ou du rejet qu’ont pu susciter tel ou tel compositeur sur un plus ou moins lointain successeur à travers les siècles,  que le regard porté sur le travail de contemporains.

Ainsi, rares sont les compositeurs, en particulier durant le prolifique XIXe siècle, qui n’ont pas commenté les œuvres originales de leurs collègues et de leurs plus ou moins glorieux prédécesseurs. Un créateur peut-il être le critique objectif et éclairé de ses collègues, amis, ennemis ou concurrents, outre celui de ses anciens, modèles ou repoussoirs ? Son objectivité procéderait-elle de son propre talent, de son propre savoir, qui feraient par nature davantage autorité ? Ou bien ne serait-il pas tenté, à travers ses commentaires, de pousser ses propres conceptions, sa vision de l’art musical, sa propre œuvre en somme ? Les témoignages acerbes ou admiratifs des uns vis-à-vis des autres abondent. De la passion dévorante exprimée à genoux d’un Bruckner pour l’œuvre de Wagner ou de Mendelssohn pour Bach jusqu’aux anathèmes définitifs et méprisants d’un Boulez, nous pourrions sans peine alimenter tout un répertoire, parfois cruel et vindicatif, empli de jalousies, de dédain ou d’admirations enthousiastes, garni de tant de passion et si souvent savoureux.

Quelques exemples pêle-mêle de ces jugements, d’abord souvent réservés au secret des correspondances, suffisent à illustrer ce propos, car beaucoup s’en sont tous donnés à cœur joie, pour encenser comme pour débiner.

Tchaikovsky disait de  Moussorgski : « son vocabulaire est laid, mais il est neuf ».

Richard Strauss jugeait avec hauteur Pelléas et Mélisande dès la fin du premier acte : « … Il n’y a rien, pas de musique. Ça ne tient pas, c’est trop humble ».

Boulez voyait surtout dans la Lulu de Berg, qui lui doit tant, une « simulation respectueuse » de la technique de Schoenberg.

Weber ne tarissait pas d’éloges sur la Dame blanche de Boieldieu : « C’est le charme, c’est l’esprit. Depuis ‘Les Noces de Figaro’ de Mozart on n’a pas écrit un opéra-comique de la valeur de celui-ci ». Et on sait l’impact d’un Bellini (Norma ou La sonnambula) sur Chopin.

Correspondant pour Le Figaro, Albéric Magnard, assistant à la première intégrale des Troyens en 1890 à Karlsruhe, écrit qu’il s’agit d’un « chef d’œuvre de l’art lyrique français en notre siècle (…), loin des fadaises qu’on rabâche dans le mausolée de M. Garnier ».

Grand admirateur de Carmen, Brahms ira l’écouter plus de vingt fois et Mahler écrira à son ami Richard Strauss « l’impression exaltante » que lui a procurée sa Salomé.

On pourrait citer des centaines d’anecdotes.

Parfois même, les compositeurs prennent la plume pour contre-attaquer après une critique, y compris pour aider un collègue pris sous le feu des observateurs. Ainsi, dans un numéro du Journal de l’Empire de 1806, le vieux Gossec vole-t-il poliment, mais fermement et avec science au secours de Méhul, malmené pour avoir retiré les violons dans son opéra Uthal.

D’autres critiquent plus frontalement… les critiques. Charles Gounod dans un article au vitriol paru dans la Gazette musicale en octobre 1875, torpille les chroniqueurs. En voici la conclusion : « En résumé, (…) la critique, contemporaine surtout, se trouve dans cette situation (…) d’être une besogne souvent funeste, rarement utile, généralement oiseuse, sectateur et instrument de la vogue, obstacle de succès ; n’ayant en conséquence aucun des caractères ni des résultats d’une fonction réelle et à plus forte raison, d’une mission. Que les docteurs patentés disent ce qu’ils voudront : qu’on prédise, fût-on Mme de Sévigné, que la poésie de Racine ‘passera comme le goût d’un café’ ; qu’on imprime, comme l’a fait je ne sais plus quelle feuille drôlatique, que Gluck ‘aurait dû demeurer rue du Grand Hurleur’ etc. rire n’est pas répondre et plaisanter n’est pas raisonner. Le Temps, cette Raison permanente, finit toujours par assigner aux œuvres leur vrai niveau, et ce n’est assurément pas grâce aux dissertations de la critique, dont les arrêts obscurcissent plus souvent les questions qu’elle ne les éclaire et de qui on pourra dire ce que Proudhon disait des commissions : qu’elles sont ‘le suaire de toutes les idées’ ».

Parmi les griefs des compositeurs vis-à-vis de la critique, la versatilité n’est pas le plus rare. Le même Gounod, dans le même article, rappelle que lors de la fameuse création de Tannhäuser à Paris en 1861 – un des plus grands scandales de l’histoire de la musique à Paris – il avait dit que Wagner était « un soleil qui n’était pas sans taches ». Plus d’une décennie après, Gounod note avec une gourmandise amère qu’à l’époque, on l’avait attaqué pour avoir parlé de « soleil » et qu’à présent on ne lui pardonnerait pas d’avoir osé évoquer des « taches ». O tempora…

Wagner et le wagnérisme ! Voilà d’ailleurs un beau sujet de controverse pour nos compositeurs critiques, comme on le verra souvent. On connaît l’anecdote célèbre (mais sans doute aussi peu authentique que la retranscription 50 ans après de la rencontre Wagner-Rossini en 1860) de Rossini, au soir de sa vie, jouant au piano une partition de Wagner à l’un de ses visiteurs.  Il en résulte une épouvantable cacophonie. « Mais, Maestro, vous jouez la partition à l’envers ! », lui dit son invité.  « Je sais. J’ai essayé dans l’autre sens, mais c’est pire ! ». Plus authentiquement, Verdi, qui s’intéressait beaucoup au phénomène, s’exclame simplement après avoir écouté lui aussi l’ouverture de Tannhäuser à Paris : « il est fou !».  Il donnera un jugement finalement plutôt nuancé de Lohengrin en style télégraphique sur la partition même de l’ouvrage, à une représentation duquel il avait assisté à Bologne en 1871 : « Impression médiocre. Belle musique quand elle est claire et mûrement pensée. L’action est aussi lente que les paroles. D’où ennui. Beaux effets instrumentaux. Abus de notes tenues trop longtemps, ce qui l’alourdit. »


O tempora, o mores… Caricature de Bobb, 1895

Ce thème du wagnérisme qui deviendra tour à tour un anathème ou une louange, n’est qu’un avatar – mais pas le moindre – de la querelle sans cesse renouvelée des anciens (ou prétendus tels) et des modernes (ou prétendus tels), des tenants d’une certaine tradition et de ceux de « la musique de l’avenir ». Ces joutes sont en réalité, comme nous le verrons, autant de prétextes pour exposer ses propres orientations artistiques. Elles ont donc quelque chose en plus car elles sont un témoignage de l’évolution de la conception même de l’art lyrique par ses propres bâtisseurs. Au-delà des comparaisons entre collègues, elles sont aussi des témoignages de l’art de l’interprétation, dont les commentaires occupent une bonne part des écrits laissés par nos compositeurs critiques.

Tous, loin de là, n’ont pas fait étalage de leur appréciation sur leurs pairs et leurs interprètes dans les journaux ou revues qui fleurissent particulièrement à cette époque et qui accompagnent richement la non moins foisonnante vie musicale. Certains, comme Robert Schumann, créent leur propre publication ; beaucoup écrivent dans des périodiques, la plupart se contente de la correspondance, souvent foisonnante. D’autres, comme Berlioz, sont aussi prolifiques dans les journaux que dans leurs lettres.

En concentrant son étude sur les publications officielles et plus particulièrement celles concernant l’art lyrique, Forumopera vous propose un petit feuilleton afin de retracer quelques jugements portés par ces compositeurs sur l’opéra, passé ou présent, sur leurs confrères ou devanciers et leurs interprètes. En commençant bien sûr par quelques géants : Berlioz, Schumann, Debussy, Wagner et Liszt en tête. De quoi faire un vrai « feuilleton » comme Berlioz appelait ses articles parus surtout dans le Journal des Débats.

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