Compositeur prolifique et populaire, Daniel François Esprit Auber connait toujours une injuste traversée du désert. Pour commémorer le 150e anniversaire de sa disparition, nous vous proposons ces 10 extraits difficilement glanés sur la toile, pas toujours d’une grande qualité technique, mais dont nous espérons qu’ils vous aideront à mieux apprécier ce répertoire trop dédaigné.
1. Le 25 août 1830, le Théâtre de la Monnaie affiche La Muette de Portici. C’est la première représentation depuis que l’ouvrage a été interdit par crainte de la réaction du public. A l’acte II, le public a fait bisser le duo « Plutôt mourir que rester misérable », reprenant en coeur le refrain « Amour sacré de la patrie ». Quand le ténor français Jean-François Lafeuillade lance « Aux armes ! » à l’acte III, le public est galvanisé et crie « Vive la liberté » « A bas le roi », « Mort aux Hollandais ». À la fin de la représentation, certains spectateurs continuent de crier « Vive la liberté ! ». À la sortie du spectacle, la foule gonfle : la révolution est lancée. On a souvent lu que la force de révolutionnaire de l’ouvrage avait dépassé les intentions réelles de ses auteurs. C’est oublier les sujets de prédilection habituels de Scribe et le besoin de contourner la censure, et surtout la force de la musique qui sublima le livret. Preuve de cette puissance, l’ouvrage initialement prévu pour une reprise à la Monnaie en 2015 en coproduction avec l’Opéra-comique vit sa résurrection bruxelloise annulée par craintes de nouvelles réactions politiques. Ecoutons ici Alfredo Kraus et Jean-Philippe Lafont.
L’ouvrage récèle aussi de magnifiques moments de poésie, comme le superbe air du sommeil interprété par Nicolaï Gedda.
2. Les vrais chefs d’oeuvre se reconnaissent à ce qu’ils résistent à tous les traitements, qu’il s’agisse de ceux des Warlinakov comme ceux des Tcherniakowki. Au contraire, ainsi revisité, un ouvrage peut même gagner en popularité.
3. La musique d’Auber est souvent comparable à celle de Rossini en termes de virtuosité. Cet extrait de Fra Diavolo, interprété par Philippe Do, en témoigne.
Autre exemple praticulièrement remarquable avec Le Lac des Féées auquel l’incomparable Michael Spyres sait pleinement rendre justice.
4. Manon Lescaut est l’un des derniers ouvrages du compositeur et le premier inspiré du récit de l’abbé Prévost. La postérité a surtout retenu le célèbre « Eclat de rire » où l’héroïne se moque de son soupirant, le marquis d’Hérigny, qui remplace ici les nombreux amants de Manon, interprétée aussi par la Stupenda, Joan Sutherland.
5. Mais Manon Lescaut est surtout un opéra tragique et le compositeur de 74 ans sait y renouveler son style comme on peut le voir au dernier acte (accès directe ici : https://www.youtube.com/watch?v=o7HQrNrk4NE&t=8016s). Elisabeth Vidal interpréta superbement le rôle-titre à Compiègne et à Favart.
6. Auber est aussi l’auteur d’un Gustave III ou le bal masqué qui sera inspirera à Verdi un chef d’oeuvre, Un ballo in maschera. Le livret de l’opéra italien est intégralement pompé sur celui de Scribe. Si l’opéra de Verdi est passé sans problème à la postérité après une période d’oubli dans certains pays, celui d’Auber ne doit qu’au Théâtre Impérial de Compiègne sa brève résurrection, avec un exceptionnel Laurence Dale dans le rôle-titre et sous l’excellente baguette de Michel Swierczewski. Au petit jeu des comparaisons, la grande scène de Gustave, qui précède son assassinat, a notre préférence dans sa version originelle, en particulier sa cabalette pleine de nostalgie (accès direct ici : https://www.youtube.com/watch?v=IA8oFgSCEpw&t=8380s). Appréciez la délicatesse du tempo di mezzo : alors que Gustave chante « »De ce bal qui commence / La joyeuse cadence », la tonalité choisie pour la musique de scène que nous entendons en arrière-plan exprime au contraire la tristesse du roi sous la fausse gaité de ses paroles.
La dernière partie du final de l’acte II est quant à lui particulièrement excitant. Il correspond, dans Un ballo in maschera, à la partie qui suit l’extraordinaire ensemble E sherzo od è follia siffatta profezia et qui, étonnament, est de facture plus conventionnelle chez Verdi : https://www.youtube.com/watch?v=IA8oFgSCEpw&t=4831s.
7. Comme Donizetti, Auber a su adapter ses ouvrages aux goûts d’autres publics. Dans la version italienne de Fra Diavolo, il ajoute des récitatifs en remplacement des dialogues parlés, ainsi qu’une cabalette à l’air de Zerline (Compiègne et Favart la redonneront en adaptation française pour leurs productions respectives de 2006 et 2009), ici interprétée par Luciana Serra.
8. Parmi les défenseurs d’Auber, il faut impérativement mentionner le disque de Paul Paray édité dans la collection Mercury Living Presence qui fut longtemps un must des enregistrement en 33 tours.
9. En 2018, à Liège puis à Paris, salle Favart, Le Domino Noir fit un triomphe. Rendons hommage à Pierre Jourdan qui fut le premier à le remonter à, Compiègne.
10. Saluons enfin la compagnie des Frivolités Parisiennes à qui l’ont doit deux résurrections scéniques récentes : La Sirène (en quasi intégrale chez Naxos) et L’Ambassadrice. Que ces efforts soient le signe d’une prochaine sortie du purgatoire !