Habile homme que Gounod, qui sut en peu de temps trousser sur demande le plus pétillant de ses opéras-comiques malgré les contraintes de l’adaptation moliéresque imposée par Carvalho. Bien sûr, il n’y a dans cette partition aucun des grands airs qui permirent au père de Faust ou de Mireille de devenir un pilier du répertoire lyrique français, encore que la chanson des glouglous ait eu son heure de gloire. Il faut ici saluer le bon goût d’un autre homme, Tobias Richter, qui a su profiter d’une période de travaux pour proposer ce Médecin malgré lui que le Grand Théâtre de Genève n’aurait peut-être jamais accueilli en temps normal. Inauguré récemment avec Alcina, le tout nouvel Opéra des Nations offre des dimensions plus propices à ce genre d’ouvrage.
Habile homme aussi que le chef Sébastien Rouland, qui a su prendre l’exacte mesure de ce petit chef-d’œuvre, dont le pastiche néo-Grand Siècle n’est qu’une des composantes. Le reste s’inscrit en droite ligne dans la tradition de l’opéra-comique français, et c’est l’esprit de La Dame blanche ou de Fra Diavolo qui y souffle. Il convient donc d’adopter un tempo plein de vivacité, faute de quoi le soufflé risquerait fort de retomber : pari tenu à Genève, bien mieux que lors de représentations récentes en d’autres lieux. Sans exiger de prouesses vocales brillantes, l’œuvre n’en exige pas moins de très solides qualités de la part de ses interprètes, notamment en matière de chant syllabique, tendance venant, elle, plutôt de l’Italie. Là aussi, la distribution réunie tient toutes ses promesses.
© GTG / Carole Parodi
Très habile homme que Boris Grappe. Après sa prise de rôle en Wozzeck à Dijon la saison dernière, le baryton passe avec une aisance déconcertante à Sganarelle, offrant un bûcheron plein de verve, tant comme chanteur que comme acteur. Fort habile également, Franck Leguérinel, comédien inimitable qui sait donner au texte parlé toute sa saveur, dans un rôle de barbon qui n’exige pas grand-chose vocalement et que l’on n’entend jamais en dehors des ensembles. Luxe étonnant, Stanislas de Barbeyrac dans un rôle où l’on a coutume de distribuer de petites voix haut perchées, vagues descendantes des hautes-contres à la française : c’est tout le contraire que l’on entend ici, avec un vrai solide ténor pour les deux airs de Léandre. Un peu moins d’habileté à saluer chez Valère et Lucas, confiés à deux artistes du chœur : manque de projection pour Nicolas Carré, beaucoup plus sonore dans le texte parlé, et nasalité pas très agréable du timbre pour José Pazos. Chez les dames, on salue avant tout la brillante Martine d’Ahlima Mhamdi, à la voix imposante et aux graves sonores. Si Clémence Tilquin n’a vraiment guère le temps de laisser entendre son talent, Doris Lamprecht est habile à composer un personnage truculent avec un timbre assez peu suave.
« En habile homme, vous voyez comme il met le doigt au bon endroit », chantent les protagonistes du Médecin malgré lui dans le grand sextuor du deuxième acte : c’est exactement ce qu’a su faire Laurent Pelly, en conférant à la pièce le dynamisme qu’on attendrait au théâtre, avec des solutions ingénieuses pour tous les problèmes qu’elle peut poser au metteur en scène (notamment pour les coups de bâtons du duo initial). Dommage que le rythme en soit un tant soit peu cassé par les changements de décor. Pour le premier acte, pour évoquer la vie domestique du couple Sganarelle-Martine, Chantal Thomas propose une variation sur le capharnaüm déjà vu dans L’Heure espagnole : les objets du quotidien des années 1950-60 – « Mon fridigaire, mon armoire à cuillers… », tout en formica et plastique – sont cette fois attachés à un gigantesque ressort suspendu au-dessus du plateau. Pour passer au salon de Géronte, la lourdeur du dispositif impose apparemment la reprise par l’orchestre de tout le mouvement rapide de l’ouverture, et l’on se demande si elle n’oblige pas aussi les choristes à chanter un peu fort l’intervention des bûcherons et des bergères. Toute l’habileté de Laurent Pelly consiste néanmoins à animer l’œuvre d’une formidable vie théâtrale et à convaincre le public de sa validité pour le siècle à venir.
N.B. : Ce spectacle fera l’objet d’une retransmission sur France 3 le 18 avril à 19h et sera accessible en streaming sur CultureBox: http://culturebox.francetvinfo.fr/live/musique/opera/le-medecin-malgre-lui-de-gounod-au-grand-theatre-de-geneve-237339