Avec Roméo et Juliette, Gounod livra l’autre titre qui allait lui valoir une postérité durable, à parts quasi égales avec Faust. Paris ne l’a plus entendu depuis quelques décennies, et c’est bien dommage.
Composition : avril à juillet 1865
Création : 27 avril 1867, au Théâtre-Lyrique
Cette année-là : Exposition universelle oblige, les grands spectacles se multiplient ce printemps-là. La « Grande Boutique » présente (sans succès) Don Carlos depuis le 11 mars, tandis qu’Offenbach triomphe aux Variétés avec La Grande-duchesse de Gérolstein à partir du 12 avril. Il aura moins de chance avec sa nouvelle tentative à l’Opéra-Comique, Robinson Crusoé, créé le 23 novembre. Le 26 décembre, Bizet voit représenter La Jolie Fille de Perth au Théâtre-Lyrique.
Librettistes : Jules Barbier et Michel Carré, d’après la pièce de Shakespeare
Genre : Gounod avait d’abord prévu deux versions possibles, avec dialogues parlés ou avec récitatifs chantés. Dans Roméo et Juliette tel qu’on le donne de nos jours, ne subsistent plus guère que quelques interjections parlées.
Intrigue : Lors d’une fête, Roméo Montaigu s’éprend de Juliette Capulet, coup de foudre réciproque. Les deux jeunes gens sont mariés en secret par un moine, le Frère Laurent, qui espère ainsi réconcilier les deux familles ennemies. Hélas, Tybalt, cousin de Juliette, tue en duel Mercutio, ami de Roméo : pour le venger, Roméo tue Tybalt et est banni de Vérone. Après une dernière nuit avec son amant, Juliette prend un somnifère qui la fera passer pour morte : elle échappera ainsi au mariage avec le comte Pâris. La croyant réellement décédée, Roméo s’introduit dans le tombeau des Capulet et se suicide. Juliette se réveille et, après un ultime duo, se poignarde.
Personnages : Roméo, ténor ; Juliette, soprano ; Frère Laurent, basse ; Mercutio, baryton ; Stéphano, soprano ; Capulet, basse ; Tybalt, ténor ; Gertrude, mezzo-soprano ; Le duc, basse ; Pâris, baryton ; Grégorio, baryton ; Benvolio, ténor
Les créateurs : Premier Roméo, le ténor Pierre-Jules Michot avait débuté en 1856 au Théâtre-Lyrique, puis chanta quelques années à l’Opéra de Paris, où il fut notamment Raoul des Huguenots et Admète dans Alceste avec Pauline Viardot. De retour au Théâtre-Lyrique en 1865, il y fut Tamino aux côtés de la Pamina de Caroline Miolan-Carvalho, avec Christine Nilsson en Reine de la nuit, et la pauvre Delphine Ugalde (déjà évincée par Mme Carvalho alors qu’elle aurait dû être Marguerite dans Faust en 1859) reléguée au petit rôle de Papagena.
Le tube : La grandiose scène du poison (qui n’est en réalité qu’un somnifère), avec l’air « Amour, ranime mon courage », fut supprimée dès la création car elle exigeait une voix bien plus puissante que celle de madame Carvalho. Absente des enregistrements les plus anciens, elle n’est régulièrement donnée sur scène que depuis quelques décennies. Et dans un autre style, l’opéra compte aussi quatre duos d’amour.
La scie : « Ah, lève-toi soleil », talonné par « Je veux vivre dans ce rêve », que leur célébrité nous a permis d’entendre bramés dans toutes sortes de volapük.
Anecdote : Après avoir triomphé un peu partout dans le monde, Roméo et Juliette quitta le Théâtre-Lyrique pour l’Opéra-Comique en 1873, et finalement pour l’Opéra de Paris, où sa première eut lieu le 28 novembre 1888, avec une distribution de stars (Adelina Patti, Jean et Edouard de Reszke…) et surtout en présence de la fée électricité : pour la première fois, la salle était plongée dans l’obscurité pendant une représentation. Bien délaissé aujourd’hui, Roméo dépassa sa 600e au Palais Garnier en 1963.
CD recommandé : Comme pour Faust, la version sans doute la plus complète (trois heures de musique, contre deux heures vingt-cinq en général) est celle qu’a enregistrée Michel Plasson pour EMI en 1995 ; aux côtés de Roberto Alagna, le Roméo de sa génération, il est tout de même permis de se demander si Angela Gheorghiu est vraiment le personnage (en 1984, le même chef, chez EMI aussi, avait sous sa baguette Alfredo Kraus et Catherine Malfitano). Si vous cherchez des voix et n’êtes pas trop regardant sur le français, Franco Corelli et Mirella Freni vous combleront peut-être (EMI toujours, dirigé par Alain Lombard). Ah, si Alain Vanzo avait pu graver une intégrale de studio !
DVD recommandé : Roberto Alagna tout jeune et Leontina Vaduva captés à Londres dans la très classique production de Nicolas Joël restent une valeur sûre (1994, Opus Arte). Si vous aimez le grand spectacle pseudo-futuriste, vous pouvez jeter un oeil à la production de Vérone (2011, Bel Air Classiques).