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Olivier Py : « L’opéra français mérite toujours qu’on le ré-estime ! »

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Interview
8 avril 2019
Oivier Py : « L’opéra français mérite toujours qu’on le ré-estime ! »

Infos sur l’œuvre

Détails

A l’occasion de la reprise de sa mise en scène de Manon à l’Opéra National de Bordeaux (depuis le 5 avril) et à l’Opéra-Comique (du 7 au 21 mai), Olivier Py explique sa lecture de cette figure féminine emblématique, et ses souhaits de réalisation professionnelle.

Après Genève en 2016, allez-vous suivre la reprise de Manon à Bordeaux et à Paris ?  
Absolument ! A l’heure actuelle, j’ai eu de très bons retours des répétitions gérées par mon assistant, à Bordeaux. Je suis relativement confiant, d’autant que c’est une production que j’aime beaucoup et dont je suis particulièrement fier. Je suis certain qu’on va retrouver cette Manon aussi belle voire magnifiée. 

Apporterez-vous des ajouts ou des modifications à cette Manon, déjà donnée en 2016 à Genève ?
Non pas spécialement. La seule chose qu’il faut noter ici, c’est le changement de cast.  Cela nécessite d’être un peu souple pour s’adapter aux nouveaux artistes, et il est vrai qu’avoir une nouvelle Manon et un nouveau Des Grieux oblige à repenser certaines choses. Mais dans l’absolu, la production sera la même et c’est davantage le jeu d’acteur qui changera et non la mise en scène.

Le roman de l’Abbé Prévost porte une certaine obscurité, notamment via cette brutalité faite aux femmes. Souhaitiez-vous l’accentuer dans votre mise en scène de l’opéra ?
Il est vrai que quand on relit le roman, même encore aujourd’hui, on peut constater qu’il est toujours d’une violence inouïe. L’opéra, quant à lui, édulcore un peu l’œuvre de l’Abbé Prévost. Cela vaut beaucoup pour le personnage du frère mais aussi pour Des Grieux. Là où dans le roman, il est vraiment un fils de riche insupportable et odieux, il est finalement assez enjolivé dans l’opéra. Dans cette mise en scène, on essaye vraiment de retrouver toute cette complexité que peut porter l’œuvre originale. D’ailleurs, d’une manière générale, un opéra, on connaît le thème c’est certain. En revanche, on ne connaît pas forcément très bien le roman original. Il y a eu des dizaines d’adaptations de Manon, jusqu’à ce qu’en définitive, il n’y ait plus grand chose à voir avec le sujet même de la Manon. Son nom a véritablement débordé. Dans le roman, Manon c’est pratiquement le synonyme de la prostituée du XIXesiècle. Et pour le comprendre précisément, il faudrait prendre conscience de la place des femmes à cette époque et surtout la place des femmes non-mariées. Manon sert à décrire toutes ces femmes, et finalement, elle en est l’emblème.

Même si l’opéra édulcore la violence du roman, traduit-il pour autant, cette condition féminine ? 
Quand on étudie l’opéra à la loupe, on remarque certains clins d’œil et on peut observer, dans la partition, des restes du livret qu’il faut arriver à faire entendre. Mais sincèrement, l’œuvre littéraire est très crue sur cette condition. Ces femmes sont violées, vendues, détruites et elles se vengent comme elles peuvent.

Le langage de Massenet permet-il néanmoins, selon vous, de retranscrire cette cruauté ?
Oui, même si, dans les faits, sa musique est faussement joyeuse. Il faut faire entendre la note mineure qui vient briser l’éclat de la fête ou de la sentimentalité qu’on peut trouver dans cet opéra. Il y en a moins que dans les travaux de Gounod, mais elle est quand même bien présente dans Manon. Ensuite, il y a une dimension spirituelle dans l’œuvre de Massenet qui est peut-être plus forte que dans le roman. Je crois que la conversion de Des Grieux, ou du moins, cette volonté de vivre près de Dieu est beaucoup plus sincère dans l’opéra que dans l’œuvre de l’Abbé Prévost. Le combat entre la spiritualité et, le désir et sa volonté d’absolue, est beaucoup plus forte dans l’opéra. Et à mon sens, tout cela est très bien raconté par la musique de Massenet qui, en soit, est particulièrement forte. 

Estimez-vous que Manon est un ouvrage lyrique difficile ? 
Ce qui est difficile, pour un metteur en scène, dans ce type d’ouvrage, ce sont les petits éléments comiques. Non pas comiques parce qu’ils seraient drolatiques, mais parce qu’ils sont théâtraux, parlés. 

Pour quelles raisons ? 
Parce qu’on ne peut pas exactement jouer comme au théâtre. A l’inverse, on ne doit pas non plus faire du « mauvais théâtre ». Il y a des recommandations et des indications sur la partition, ce qui implique le fait que nous ne sommes pas tout à fait libres de faire interpréter de la manière dont on voudrait, ces passages parlés. Elles ne sont pas spécialement nombreuses dans Manon, mais elles ont un rôle phare. Elles doivent apporter du concret, et dans certains cas, de l’érotisme. Tout cela, il faut arriver à le faire passer avec des chanteurs qui ne sont pas forcément habitués à parler à pleine voix. Le parlé-chanté est en soit, une réelle difficulté qu’on retrouve également dans Carmen et beaucoup d’opéras de cette époque. D’ailleurs, si on reprend Manon à l’Opéra Comique, ce n’est pas pour rien ! 

Manon nécessite un travail d’acteur important…
Complètement, d’autant que l’œuvre ici est recentrée sur quatre personnages.

Vous connaissez bien l’Opéra de Bordeaux et l’Opéra Comique ? 
Dans un cas comme dans l’autre, c’est la première fois que j’y travaille. En revanche, je suis allé de nombreuses fois à l’Opéra de Bordeaux. C’est l’opéra que je considère comme le plus beau théâtre du monde ! 

Et Marc Minkovski …
… mon vieux complice ! Nous avons fait beaucoup d’opéras ensemble, sans compter les reprises. On a une complicité particulièrement fructueuse d’autant que, quand nous échangeons sur des œuvres, nous ne sommes pas toujours d’accord. Nous pouvons nous disputer sur certains points, mais tout cela se fait en toute amitié, et chacun se limite à la légitimité de son rôle. J’adore travailler avec lui, c’est toujours passionnant ! Et puis nous avons en commun cette passion pour la musique française qui n’est pas forcément partagée par tout le monde dans le monde de l’opéra.

C’est d’ailleurs avec lui que vous aviez réussi le challenge de monter Les Huguenots 
Tout à fait ! C’était d’autant plus un challenge qu’à l’époque, personne n’en voulait et tout le monde disait que Meyerbeer c’était long et ennuyeux, que le public allait partir, etc. Mais nous avons fait un triomphe avec Les Huguenots, et ce fût un projet réalisé main dans la main. 

Y-a-t-il d’autres chefs que vous appréciez ? 
Oui, j’ai notamment beaucoup aimé travailler avec Philippe Jordan et Alain Altinoglu. Ce sont des chefs qui aiment le théâtre et qui savent aussi que j’aime la musique. Notre dialogue excède nos pupitres respectifs et ça, c’est quelque chose d’heureux. Je peux leur parler de musique et ils peuvent me parler de théâtre.

Avez-vous rencontré des chefs portant peu de crédit au théâtre ? 
Oui cela a pu m’arriver. Après il faut dire que c’est vraiment spécifique d’être un chef d’orchestre d’opéra, c’est un véritable métier. La personne doit simultanément avoir un œil sur l’orchestre et un œil sur le plateau, ce qui implique un minimum de savoir faire. A titre d’exemple, il faut savoir accompagner un baisser de rideaux : ce n’est pas le rideau qui va tomber sur la dernière résonance d’un point d’orgue. C’est le chef qui va le faire. Donc pour cela, il faut vraiment avoir un double regard, et tout le monde ne l’a pas forcément. 

Qu’est-ce que vous aimeriez mettre en scène ? 
J’attends toujours de pouvoir faire un Ring parce que j’aime Wagner über alles !
Mais bien évidemment, il y a des projets plus petits que le Ring que j’aimerais mettre en place. Je n’ai jamais fait un Haendel de ma vie par exemple, et je trouve que c’est tout à fait dommage. Et puis la Passion selon Saint Matthieu, j’adorerais pouvoir l’aborder. C’est une musique que j’adore !

Vous citez des œuvres du répertoire allemand, et non français. 
Figurez-vous que j’ai d’abord eu un penchant pour l’opéra allemand. J’ai commencé par ça, et ça a été, pendant très longtemps, ma plus grande passion. Il se trouve que j’aimais aussi la musique française, mais à mon époque, apprécier l’opéra français était un phénomène un peu bizarre. Quand on disait qu’on aimait Berlioz, on passait toujours pour un fou furieux. Aujourd’hui, tout le monde aime La Damnation de Faust, et finalement, c’est une œuvre qui est montée partout. Il y a trente ans, ce n’était vraiment pas le cas. C’est comme Meyerbeer finalement ! Lui avait totalement disparu de la circulation. L’opéra français mérite toujours qu’on le ré-estime, parce que les Français ne lui portent pas beaucoup de considération. Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas, et je ne comprendrai jamais ! C’est un mystère, d’autant qu’il y a tellement de belles choses, y compris dans le XXesiècle. Je me suis battu des années pour monter un Dukas par exemple. Ariane et Barbe Bleue, c’est une des plus belles œuvres du XXe, qui n’a absolument rien à envier à Berg ou à Strauss. 

Quels sont vos projets en cours ?
Une opérette dont j’ai écrit la musique et que je monte au festival d’Avignon cet été ! Sur la saison prochaine, je dois faire un Wozzeck à Athènes, et je remonte l’opéra de Jarrell dont j’avais écrit le livret.

Siegfried, nocturne qui avait été créé à la Comédie de Genève ? 
Oui ! Angers-Nantes me propose d’en refaire une mise en scène, et je suis vraiment heureux de revenir sur cette œuvre, d’autant que j’aime particulièrement la musique de Jarrell.

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