Les fruits de la maturité ont une saveur incomparable. Apre et sans fioriture, sa version du Stabat Mater de Pergolesi avec les Talens lyriques et Christopher Lowrey se hissait au sommet d’une discographie pourtant pléthorique. Avec Il Giardino Armonico cette fois, Sandrine Piau rend au théâtre une Scena di Berenice de Haydn souvent figée dans le marbre et aujourd’hui zébrée de fulgurances inouïes (L’addio chez Alpha). Avant de la retrouver chez Strauss, Berg et Zemlinksy (Clair-obscur, à paraître toujours chez Alpha), suivez l’artiste funambule au fil de ses réponses au questionnaire de Proust.
1. Le principal trait de mon caractère ?
L’opiniâtreté.
2. La qualité que je préfère chez un ténor ?
La musicalité !
3. La qualité que je préfère chez une soprano ?
La musicalité …
4. Ce que j’apprécie le plus chez mes collègues sur scène ?
L’esprit d’équipe.
Rien ne me destinait à être soliste dans ma formation musicale – tout d’abord comme harpiste au CNSM de Paris puis comme étudiante chanteuse dans les chœurs de Philippe Herreweghe et ensuite avec Arts Florissants et William Chistie. Et je suis sans doute façonnée par cela.
On n’existe jamais seul, ni sur un plateau, ni dans la vie, d’ailleurs.
Le luxe absolu : quand chacun parvient à exprimer ce qui lui est propre dans une pensée collective.
5. Mon principal défaut ?
L’impatience.
6. Mon occupation préférée dix minutes avant de monter sur scène ?
Ne PAS être occupée.
(Je suis notoirement bavarde et plutôt sociable, mais j’ai besoin de ce temps » arrêté » juste avant cette énergie magnifique du spectacle).
7. L’opéra que je préfère ?
Ça dépend des moments ….mais je suis émue par le propos et la musique du Chevalier à la Rose de R. Strauss, transportée par la douleureuse cruauté d’Alcina de Haendel et émerveillée par la fantaisie du Songe d’une nuit d’été de Britten.
8. L’opéra qui me casse les oreilles ?
Elektra !
9. Le dernier rôle que je voudrais chanter ?
Le rôle de ma vie… La vie. Blague à part : un rôle qu réconcilie ma voix de « jeune première » avec la maturité de la femme que je suis devenue … Une enchanteresse sans âge, forcément : Alcina !
10. Le pays où je désirerais vivre ?
Un pays sans masque.
11. La couleur que je préfère ?
Celle de la mer : le bleu, à l’infini.
12. Mon air préféré ?
Un air triste. Celui ou tout bascule, où l’on pense que tout est fini. Pamina : « Ach ich fühls » ; Morgana : « Credete al mio dolore » ou Alcina: « Ah mio cor » … Après, c’est la résillience ou la mort.
13. Mon disque de chevet.
Les leçons de ténébres de Couperin.
14. Mes compositeurs favoris à l’opéra ?
Mozart, Haendel, Strauss, Britten.
15. Mes Lieder ou mélodies préférées ?
Quand poème et musique me touchent pareillement : « As imperceptibly as grief » ( A. Previn /Dickinson), « Les heures » (Chausson /Camille Mauclaire), « Abendrot » (Strauss/Eichendorff), « Sanglots » ( Poulenc / Apollinaire).
16. Mes héros favoris dans l’opéra ?
Ceux qui n’en sont pas ! Golaud (Pelléas), Bajazet (Tamerlano).
17. Mes héroïnes favorites dans l’opéra ?
Celles qui en sont ! Et qui payent le prix fort dans une société où l’héroisme est un attribut masculin. Cléopâtre, Alcina : des femmes de pouvoir ou de séduction dont la part la plus intéressante – la fragilité – provoque la chute.
18. Mes metteurs en scène préférés ?
Pierre Audi, Robert Carsen, Pierre Constant, Cristof Loy, Olivier Py.
19. Mes peintres favoris ?
Chagall, Modigliani, Basquiat.
20. Mes héros dans la vie réelle ?
Mes proches.
21. Mes héroïnes dans l’histoire ? l’Histoire avec un grand H ?
Simone Veil, une guerrière face à la barbarie et une guerrière dans ses combats politiques.
Delphine Seyrig : actrice, muse, engagée, mais ne renonçant pas à sa feminité pour mener ses combats. (J’aime beaucoup « les insoumises »)
22. Mes prénoms favoris ?
Ceux de mes enfants.
23. Ce que je déteste par-dessus tout ?
L’intégrisme .
24. Personnages d’opéra que je méprise le plus ?
Aucun.
25. Mon pire souvenir sur scène.
J’hésite … Quand un partenaire vous confond avec un punching-ball ou quand la mise en scène est d’un vide sidéral. Ça fait mal dans les deux cas.
26. Mon meilleur souvenir sur scène.
Impossible de répondre. Beaucoup d’émotions rares au fil du temps : La Flûte enchantée avec Jean-Claude Malgoire et Pierre Constant (lumineux et généreux) ; Alcina avec Christophe Rousset et Pierre Audi (intense jusqu’au point de rupture).
27. Le don de la nature que je voudrais avoir ?
L’optimisme.
28. Comment j’aimerais mourir ?
Vite !
29. État d’esprit actuel ?
Courage à temps partiel et quête de bonheurs essentiels !
30. Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence ?
Procrastination et rêverie.
31. Ma devise ?
Ma nouvelle devise : « Courage, fuyons ! » Du genre « bélier qui fonce dans la mêlée », je me rends compte depuis un an que le courage réside parfois dans le « lâcher prise ».