A peine si on le reconnaît, chapeau melon, bras croisés, regard incisif, sur l’affiche de l’exposition que lui consacrent la BnF et l’Opéra national de Paris à l’occasion du centenaire de sa mort. Sur cette photographie, datée des années 1870-1880, Saint-Saëns est loin de l’image du compositeur officiel de la 3e République, telle que l’a figée la postérité dans un bronze verdâtre. Jusqu’à son nez apparemment moins proéminent que n’aiment le rappeler les innombrables caricatures épandues au fil de sa longue carrière, celle modelée en terre-cuite par Kotra après 1901, où l’on voit le musicien lyre à la main, appuyé sur un tas de partitions et couronné de l’auréole suggérée par son patronyme, n’étant pas la moins amusante.
Caricature de Saint-Saëns par Kotra © bnf
C’est le premier mérite de cette rétrospective installée au Palais Garnier du 25 juin au 10 octobre 2021 : montrer les innombrables visages d’un compositeur que l’on a tôt fait de réduire à quelques pages célèbres et un seul opéra – Samson et Dalila – alors que son catalogue en compte treize.
L’opéra justement occupe une place privilégiée au sein d’un parcours qui, de l’enfant prodige au doyen de la musique française, veut ébranler les idées reçues. Les Barbares, Ascanio et Henri VIII ont droit à leur propre espace où l’on peut voir notamment les maquettes en relief de leurs décors. Pourquoi ces trois-là plus que d’autres ? Parce qu’il s’agit des trois seuls créés sur la scène du Palais Garnier (respectivement en 1901, 1883 et 1890). Pour l’anecdote, Ascanio dirigé par Reynaldo Hahn en novembre 1901 sera le dernier de ses ouvrages lyriques que Saint-Saëns verra sur scène, avant son départ pour Alger où il meurt le 16 décembre 1921.
Plus loin, Dejanire, une tragédie de Louis Gallet pour laquelle le compositeur au faîte de la gloire écrivit en 1898 chœurs et ballets avant de la transmuter plus tard en drame lyrique, permet d’évoquer le Festival de Béziers, envisagé à l’époque comme le « Bayreuth Français », ancêtre des manifestations musicales en plein air dont nos étés désormais se repaissent. L’occasion aussi de rappeler la relation ambiguë qu’entretint Saint-Saëns avec la musique de Wagner, d’abord admiratif jusqu’à se voir qualifié par ses contemporains de « wagnérien » puis rétif lorsqu’il estima à juste titre envahissante la place occupée par le compositeur allemand au détriment des musiciens français.
Dans le corner inévitablement réservé à Samson et Dalila, le profil hiératique de Blanche Deschamps-Jehin par Marie Fournets-Vergnaud accapare le regard. Ce contralto, né à Lyon le 18 septembre 1857 et mort à Paris en juin 1923, est surtout connu pour avoir créé le rôle d’Hérodiade de Massenet, celui de Dalila ayant été d’abord pensé pour Pauline Viardot dont le salon est évoqué au début de l’exposition. Saint-Saëns y côtoya le Tout-Paris intellectuel et artistique dans les années 1850, avant de s’imposer une vingtaine d’années plus tard comme le chef de file de la musique française.
Saint-Saëns, photographie de Paul Berger, vers 1915 © bnf
En guise de contrepoint sonore, de brefs extraits musicaux sont diffusés çà et là dans des conditions éprouvantes – mais à quoi sert le partenariat conclu par l’Opéra national de Paris avec Devialet, dont la boutique a pourtant pignon sur les marches du Palais Garnier ? Des extraits de L’Assassinat du Duc de Guise, film muet sur lequel Saint-Saëns a déposé en 1908 quelques pages de musique, sont à peu près les seules images d’archive proposées. Était-il si difficile de projeter des captations d’opéras dans un auditorium que l’on aurait installé à cet effet ?
Dans ces conditions, que retenir de l’« esprit libre » de Saint-Saëns – nom donné à l’exposition – si l’on n’est pas déjà un tant soit peu familier de sa musique ? Peut-être une autre image : non celle du compositeur dans la force de ses ambitions, tel que le présente l’affiche ; non les nombreuses photos de l’académicien bougon à l’hiver de sa vie, le visage dévoré par une barbe blanche qui le pose en clone du Père Noël ; non le compositeur caricaturé avec son appendice nasal démesuré ; mais le musicien au piano, peint en grand format par Paul Mathey, les mains posées sur le clavier, la quarantaine puissante, absorbé dans cette musique dont il est aujourd’hui un de nos plus grands représentants et qu’il convient de continuer de redécouvrir*.
Saint-Saëns par Paul Mathey © Ville de Dieppe – Bertrand Legros
* Après Les Barbares, Proserpine, Le Timbre d’Argent et Ascanio, le Palazzetto Bru Zane annonce la parution prochaine de La Princesse jaune, en plus de l’exhumation de Phyrné (à Rouen dans quelques jours) et Déjanire (à Dortmund en novembre prochain)
Exposition Saint-Saëns, un esprit libre
25 juin – 10 octobre 2021
Palais Garnier
Entrée à l’angle des rues Scribe et Auber, Paris 9e
Tous les jours 10h>17h
Plein tarif : 14€ – Tarif réduit : 10€
Entrée gratuite pour les moins de 12 ans et demandeurs d’emploi – réservation recommandée sur bnf.tickeasy.com et via le réseau FNAC
Port du masque (à partir de 11 ans) obligatoire pour accéder à l’ensemble des espaces.