On ne présente plus Viorica Cortez qui triompha dans les rôles de mezzo sur les plus grandes scène du monde à partir du milieu des années 60, avant de se consacrer à l’enseignement. On connaissait moins bien sa soeur cadette, Mioara, découverte en ce qui nous concerne à l’occasion d’un récent récital parisien. Viorica et Mioara exceptionnellement réunies ont bien voulu nous recevoir pour un entretien sur leurs carrières respectives. Au rez-de-chaussée de l’immeuble, une boulangerie annonce « la meilleure baguette de Paris ». Heureux présage !
© Jean Michel Pennetier
Il y a quelques mois, votre sœur et vous avez offert un concert assez extraordinaire au Temple de Pentemont. Après de telles carrières, qu’est-ce qui vous pousse toujours à vouloir vous dépasser, à chanter et à retrouver le public ?
Viorica. C’est une toute autre raison. En vérité, on n’a plus vraiment envie de faire des choses de ce genre : dans la famille, on a chanté toute notre vie depuis qu’on était petite. A la fin de sa vie, ma fille Catalina, qui avait eu beaucoup d’activités très diverses, était imprésario. Elle avait vécu toute sa vie dans le théâtre. Elle avait beaucoup de facilités pour parler avec les directeurs d’opéra, les responsables de casting, pour défendre l’intérêt des jeunes et celui des théâtres aussi. Elle savait très bien concilier les deux. Son rêve était de faire ce concert. La maladie l’a emportée il y a cinq ans, alors on l’a donné sans elle. C’était en premier lieu notre devoir envers Catalina. Comme nous étions toutes deux en forme et que ma sœur, qui habite Montréal, était à Paris, c’était le moment. C’est pour ça que nous lui avons dédié « Ridomani la calma » ce soir-là.
Vous venez d’une famille de musiciens ?
Maman m’a mise au monde quand elle avait 17 ans : elle était donc très jeune. Elle n’a pas eu le temps de faire des études. Elle chantait du Schubert, du Brahms, sans savoir qui c’était car elle était si jeune. Elle jouait du piano, de l’orgue, de la guitare. Elle avait appris tout cela grâce à notre père : son université, c’était papa ! Nous, ses trois filles, nous chantions tout le temps. Notre grand-père Cortez était une grande basse chantante de l’époque. Il s’est produit à Kiev, à Odessa. Les articles du temps écrivaient qu’il avait une voix douce, et ambitus très grand. Quand il lançait un aigu, les lampes clignotaient ou s’éteignaient !
Nos parents, papa surtout, avaient des rêves de nous emmener à Vienne, à Paris… C’était un grand monsieur très franc et très humain. C’est un grand humaniste aussi. Les communistes nous ont tout pris. Ils ont même confisqué la retraite de notre père. La famille n’avait plus rien, mais on a survécu grâce à maman qui a travaillé comme un bœuf. Un jour elle nous a dit « j’ai eu des rêves pour vous. Et comme je ne pourrai plus les réaliser, je vous demande une seule chose : de vous aimer énormément et de vous voir une fois par an au moins ». C’est comme ça que moi, Mioara et notre autre sœur qui est pianiste, on se voit pendant les Pâques, tous les ans. Voilà, c’est en souvenir de ce qu’ils nous ont donné parce que quand on était petits, on n’a jamais souffert, on n’a jamais su à quel point c’était difficile ! On n’avait rien, ni jouet, ni rien, on chantait. Chez papa, c’était un cénacle musical, littéraire, poétique. Il y avait du monde, ses amis, et on faisait de la musique. Il y a eu des poésies qui ont été écrites sur notre famille, mais qui ne sont pas éditées. On était heureux, on faisait de la musique, voilà.
J’ai fait le conservatoire de la ville où nous habitions, Iași. A 17 ans, j’étais soliste et je débutais avec la XIe symphonie de Beethoven. J’étais encore au lycée. Quand j’ai eu terminé, on m’a demandé de rejoindre l’Académie de musique de Bucarest. Je ne voulais pas partir, parce que Catalina était petite et je me disais : « J’ai ma maison, j’ai ma petite fille, j’ai tout. Pourquoi partir ? ». A Bucarest, j’ai travaillé 5 ans avec les mêmes professeurs. En 1964, j’ai gagné le premier prix au Concours international de chant de Toulouse. Le président du jury était Emmanuel Bondeville (nous nous sommes mariés des années plus tard). Au Capitole de Toulouse, ils m’ont tout de suite proposé Samson et Dalila, après c’était Don Carlos puis Carmen.… Je leur disais à chaque fois « vous êtes fou, je suis soliste de concert ». Bien sûr, j’avais été préparée pour l’opéra au conservatoire, et j’ai toujours mené une double carrière, mais je ne voulais pas vraiment partir de chez moi. Pourtant, ça s’est fait comme ça.
Il était donc possible de sortir de la Roumanie pour chanter à l’étranger.
Oui, je pouvais sortir… puisqu’ils me prenaient tout ce que je gagnais ! Quand on revenait de l’étranger, dans les 24 heures, il fallait rendre son passeport et remettre tout l’argent qu’on avait à une sorte d’impresario qui, en fait, ne faisait rien. Et un jour je me suis fâchée et je suis partie, tout simplement parce que j’en avais assez. J’ai tremblé jusqu’au dernier moment : est-ce que je pars ou non ? Car si tu pars, tu me reviens plus. Ma fille, je ne l’ai pas vue pendant 6 ans, entre ses 10 et 16 ans, quand elle avait le plus besoin de moi. C’était dur pour une mère, vous comprenez ? Il faut beaucoup de force. Si remettais les pieds en Roumanie, adieu passeport et adieu carrière. En 1969-1970. j’ai fait la Venus de Tannhäuser à l’Opéra de Bucarest. Pendant les répétitions, je n’étais déjà plus là dans ma tête : j’ai fait la première et après je suis partie. Je ne suis revenue qu’en 1975, avec un passeport français, parce qu’entre temps j’avais obtenu la nationalité française.
Miora, vous êtes la petite sœur de Viorica, et vous avez un parcours similaire mais différent.
J’ai également fait des études au conservatoire, entre 1965 et 1973, avec un excellent professeur, Aneta Pavalache, qui était première soliste à l’opéra de Iași. Elle était soprano comme moi et son répertoire allait de Konstanze dans Die Entführung aus dem Serail à La Traviata, en passant par Gilda, Madama Butterfly, Aida ou Lucia de Lammermor. Elle est venue s’établir en France à partir de 1986. Ensuite, j’ai été admise au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan, entre 1972 et 1973. Dans le même temps, j’ai gagné un grand concours à la Scala et j’ai même reçu une bourse du théâtre. J’ai travaillé sous la direction de la soprano Rosetta Noli. C’était très rare pour une non-italienne. Au bout d’un an, mon visa expirait. Alors je me suis posé la question de rester pour de bon à l’étranger. J’en ai discuté avec Viorica bien sûr, qui à l’époque était souvent en Amérique. Je ne voulais pas quitter mon jeune fils, le laisser seul à la maison pour ne plus le revoir avant de nombreuses années. Parce que j’avais ma famille à Iași, je voulais retourner là-bas. Le directeur de l’Académie de musique m’a dit « c’est dommage alors que tu pourrais chanter dans le premier opéra de notre capitale ». J’ai passé le concours d’entrée de l’Académie de musique de Bucarest et j’ai fini première dans toutes les disciplines. Je me suis perfectionnée avec un autre soprano renommé, Arta Florescu, entre 1973 et 1978. Quand je me suis présentée à elle comme Miora David, car c’était le nom de mon mari, mais elle m’a dit : « Dis-moi la vérité, tu es la sœur de Viorica ? ». Je lui ai répondu que j’étais sa petite sœur. Elle s’est exclamée : « C’est ça le miracle ! ».
Viorica. Arta Florescu c’est une grande dame de l’art lyrique qui était amie avec mon mari M. Bondeville. Elle venait souvent dans le jury à Toulouse. C’est une femme exceptionnelle, elle parlait un français merveilleux, et elle était d’une extraordinaire culture musicale. On a eu la chance l’avoir comme professeur jusqu’à la fin.
Mioara : Avec Arta Florescu, j’ai appris un style de cantilène très différent de celui que j’avais pratiqué avec Aneta Pavalache. Elle m’a insufflé du tempérament. Elle suivait ma voix note à note et j’absorbais tout ce qu’elle me disait. Je me suis ensuite produite à l’étranger, notamment avec la troupe de l’opéra, mais les choses étaient beaucoup plus difficiles à cause des problèmes de passeport. Et puis mon fils restait en otage.
C’est assez extraordinaire quand on prend un peu de recul de voir tous ces chanteurs que la Roumanie a donné à l’art lyrique : puisqu’il y a vous deux, Cebotari, Cotrubas, Miricioiu, Vaduva, Gheorghiu, Slatinaru, Petean, Agacha, Moldoveanu… Plus de femmes que d’hommes finalement.
Viorica : Miricioiu et Vaduva ont fait de très belles carrières. Il y a peu de Manon ou de Juliette comme Leontina. Ces artistes ne sont plus jeunes maintenant. L’école de chant est restée encore d’un haut niveau, mais je ne sais pas, j’ai l’impression que les hommes sont davantage attirés par le « business » que par l’envie de chanter. Et puis, ce n’est pas facile aujourd’hui pour un jeune de faire carrière.
Mioara : Tu fais la carrière pour le plaisir, parce que tu l’aimes ce travail !
Viorica : Oui, mais il n’y en a plus beaucoup qui le font par plaisir. Surtout les jeunes qui, après une année d’étude, voudraient faire la couverture de Paris Match !
On a également l’impression qu’aujourd’hui certaines carrières sont prématurément écourtées. Or, c’est quand même incroyable de voir la façon dont vous chantez aujourd’hui, comme on a pu s’en rendre compte à l’occasion de ce dernier récital.
Viorica. D’abord on s’amuse ! Ensuite, ce qui compte, c’est la technique. La méthode complète. Nous, je crois qu’on mourra avec notre voix !
Mioara. Faire tous les jours des exercices, ça, c’est très important. Exactement comme un athlète. C’est ce qui conforte la technique, le contrôle du souffle, la position de la voix, un support intelligent, sans blocage. Ca devient un automatisme et tu peux chanter pianissimo, fortissimo, tout ça sans problème, avec la voix toujours bien placée.
Viorica. Mais quand ta voix répond à toutes tes commandes, tout ce dont tu as envie, c’est qu’elle te suive. Ça veut dire que tu es un vrai chanteur qui sait chanter. Quand je pense à certains ténors que j’ai reçus pour des cours chez moi, des chanteurs avec des voix du tonnerre, splendides, mais qui « gueulaient »… Je leur disais « Quel dommage ! Dieu et ta maman t’ont donné énormément de choses, mais tu ne sais pas quoi faire avec ». Un ténor qui ne sait pas chanter piano, ce n’est pas un chanteur. Je le disais gentiment. Et il y a l’interprétation : une fois, j’ai eu un chanteur qui avait été engagé pour chanter Don José. Il connaissait toutes les notes mais il n’arrivait pas à rentrer dans le rôle. On n’avait que quelques heures. J’ai fait sa Carmen, je lui expliquais ce qui se passait dans ma tête et dans celle de Don José, et à la fin il a pu faire une composition très convaincante. Certains m’ont écouté et ils ont fait carrière. Certains n’ont pas écouté, ils ont disparu. Qu’est-ce que vous voulez ? C’est un métier merveilleux mais exigeant. Et il faut l’aimer.
Autour de vous, Viorica, il y a beaucoup de photos d’artistes. Quels sont ceux avec lesquels vous avez préféré chanter ?
C’est difficile à dire parce que j’ai commencé jeune. A mes débuts, j’ai chanté Dalila avec Mario Del Monaco, qui lui-même était en fin carrière. il interprétait Samson. C’était quelque chose de spécial, un vrai coq, mais il était très aimable avec moi. C’était à Naples, au moment où j’ai décidé de ne plus revenir en Roumanie. Ensuite, j’ai chanté avec quelqu’un que j’aimais énormément, Franco Corelli, avec qui je me suis produite aux Arènes de Vérone dans Aida. Il m’appelait Vioricina. Il m’aimait beaucoup parce que je le faisais rire. Nous parlions et il se détendait. C’était un artiste qui avait des problèmes avec ses nerfs et qui pouvait se faire siffler quand ils ne tenaient pas. C’était un ténor extraordinaire, vigoureux et viril, magnifique. J’aimais également beaucoup Domingo, Pavarotti, Aragall, Carreras, qui était de la génération plus jeune… Chacun à leur manière, ils étaient tous exceptionnels. Richard Tucker, avec lequel j’ai débuté dans Carmen au Met, n’était pas très séduisant, mais quels aigus splendides ! Vickers était un acteur extraordinaire. Quand je chantais « Mon cœur s’ouvre à ta voix », il était sur moi et on faisait notre duo, en s’embrassant. Il fallait savoir chanter, parce qu’avec lui on ne blaguait pas. Il était très exigeant, mais très grand seigneur aussi. Alfredo Kraus, je l’adorais parce que c’était un grand monsieur. Ensemble, on a chanté La Favorita et Werther. C’était d’une beauté…. Il a un jour déclaré à la Radio Télévision Espagnole qu’il avait aimé toutes ces Charlotte, mais qu’une lui avait apporté un je-ne-sais-quoi de plus : j’étais sa partenaire préférée dans Werther. Moi je sais pourquoi. D’habitude, dès le premier acte, toutes les mezzos chantent en donnant beaucoup de voix. Elles oublient que Charlotte n’a que 16 ans : c’est une petite jeune fille, presque encore une enfant. Je la montrais presque inexistante. Au deuxième acte, elle est mariée, elle a pris de l’assurance, et au troisième acte, c’était le « boom » ! Au dernier acte, nous pleurions tous les deux. C’était extraordinaire. J’ai également adoré chanter avec Montserrat Caballé : on a fait énormément de choses ensemble.
A ce propos, que pensez-vous de la polémique à propos de Placido Domingo ?
C’était mon chéri quand je chantais avec lui. Et on a fait vraiment des scènes d’amour et tout ça… Jamais, il ne s’est permis le moindre comportement inadéquat avec moi, ni avec ses collègues, à ma connaissance. C’est vrai que des femmes se précipitaient à sa loge. Je regrette que les Américains ne comprennent pas la notion de présomption d’innocence et qu’il se voie renvoyé ainsi du Metropolitan. Quand je lis « Il me caressait chaque fois qu’il passait par là », je peux vous dire qu’on faisait des choses bien plus drôles, sans se formaliser, car on était comme des frère et sœur.
Et en ce qui concerne les metteurs en scène ?
Viorica. J’ai adoré travailer avec Jorge Lavelli. Quelqu’un de merveilleux. La Star, de Zygmunt Krauze, au Théâtre de la Colline, c’était une expérience incroyable. Je ne comprends pas pourquoi ça n’a pas été redonné : ça devrait être un classique. J’ai des photos du spectacle, mais je ne crois pas que ça ait été filmé hélas.
En combien de langues avez-vous chanté ?
Viorica. 6 ou 7, je pense.
Mioara. 4 ou 5
En dehors du Requiem de Verdi que vous avez évoqué, avez-vous eu l’occasion de chanter ensemble en dépit de vos différences de situation vis-à-vis du régime communiste ?
Viorica. On a fait Carmen à Marseille, Il Trovatore, Orphée et Eurydice, Le Martyre de Saint-Sébastien, la IXe Symphonie de Beethoven, le Requiem de Verdi, un récital de temps à autres… Pas mal de choses, mais c’était occasionnel.
Mioara. J’étais première soliste à la Philharmonie de Iași mais mon cœur était pour le lyrique. Je commençais mon travail à l’opéra de la ville, puis dans tout le pays. J’ai enregistré des disques, fait des concerts… Petit à petit, j’ai eu le droit d’aller à l’étranger. J’ai chanté La Bohème à Bologne, le Requiem de Verdi à Nice, à Marseille… Les directeurs m’ont proposé des contrats. Ils me demandaient de revenir, parfois quelques semaines après seulement, et ça c’était impossible : il fallait deux ou trois mois pour obtenir un visa, quand on l’obtenait ! Le problème, c’est que les artistes restés en Roumanie n’étaient jamais sûr d’obtenir le visa, jusqu’au dernier moment. C’était en fait impossible de s’engager à coup sûr pour la saison suivante, ce qui rendait difficile une carrière internationale. Bien sûr j’ai chanté dans les pays du bloc de l’Est : Tchécoslovaquie, Bulgarie… Et j’ai chanté également souvent en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grèce, en Suisse, au Luxembourg, et plus tard au Japon où j’ai donné des dizaines de master classes…. Au Japon, ils ont beaucoup de voix et ils travaillent très dur. J’ai d’ailleurs enregistré un CD là-bas. J’ai même reçu une médaille de la part du Premier ministre, Tsutomu Hata.
Votre répertoire est vaste !
J’ai beaucoup chanté Verdi : le Requiem, Ballo in maschera, Il Trovatore, Aida, Ernani, Otello. J’ai eu un prix pour Mefistofele de Boito où j’ai fait les deux rôles de soprano, Margherita et Elena. J’ai également interprété Puccini : Tosca, Mimi, Turandot, Liu. Des choses très diverses : la Venus de Tannhäuser, Norma, Santuzza, Giulietta dans les Contes d’Hoffmann, Euridice, Felice dans I Quatro rusteghi, Iphigénie en Tauride, Martha dans Tiefland, Micaela, Donizetti… J’en oublie bien sûr. J’ai fait beaucoup de lied et de mélodie également. J’ai fait le rôle-titre de la Phèdre de Marcel Mihalovici, quand l’ouvrage a été créé enfin en Roumanie.
Quelle est la situation actuelle en Roumanie ?
Viorica. C’est beaucoup mieux quand même. D’abord, avant on ne pouvait même pas respirer tellement c’était dur. Maintenant, on a gagné notre liberté : c’est énorme parce que chacun peut s’exprimer. Qu’il ait tort ou pas, chacun a le droit de penser et de s’exprimer comme ici. La Roumanie reste toujours un pays francophile, et on fait partie de la communauté des pays francophones. Les jeunes apprennent encore le français, même si l’anglais est la langue la plus étudiée à cause de la technique et des affaires.
Mioara. Les choses sont plus compliquées au Canada, qui est pourtant un pays merveilleux. Mon second mari est ingénieur et toute sa famille, les parents, les sœurs, les petites, tous sont partis à une époque au Canada. Alors un jour, il est parti aussi, et vous savez que dans la Bible il est dit que la femme doit suivre le mari… J’ai donc suivi mon époux à Montréal, et j’y vis depuis 15 ans. J’y ai donné quelques concerts, mais on m’a expliqué qu’il n’y avait pratiquement plus de public pour l’opéra et le classique. C’est fou d’avoir chanté tout autour du monde et de se retrouver dans un pays où c’est à ce point difficile. J’ai obtenu depuis la nationalité canadienne, mais c’est encore plus dur pour les non-canadiens. J’ai enseigné au conservatoire de Iași jusqu’en 2004. J’ai également commencé une fois au Canada mais la plupart de mes élèves ne cherchaient qu’à imiter Céline Dion ! Avec Viorica, nous continuons à enseigner chacune de notre côté. Nous avons donné des master classes en Roumanie, à Teskan, avec Jean-Philippe Lafont.
Votre mari, Viorica, était également compositeur.
Il avait écrit un Antoine et Cléopâtre qui a été créé à Rouen, puis donné à l’ORTF. M. Bondeville n’était pas rouennais, mais il était normand, du pays de Flaubert et de Corneille. C’était Paul Ethuin qui dirigeait, un très grand chef, très réservé. Il n’a pas fait une grande carrière internationale parce que ça ne l’intéressait pas. Quand on répétait juste avant la première, j’avais 39 de fièvre et il était impossible d’imaginer une remplaçante. C’était un rôle extrêmement difficile qui avait été écrit pour moi, et que j’étais la seule à connaître. Au début du dernier acte, j’étais submergée entre la sueur et les larmes. Ethuin m’a dit « Maintenant, tais-toi et chante ». Il était rude ! J’ai commencé à rire tellement la situation était folle, et finalement tout s’est bien terminé. J’en ai enregistré un extrait dans un disque consacré à l’opéra français. Nous avions enregistré tout l’album en trois jours !
Que signifient vos prénoms ?
Mioara. Viorica, c’est une fleur du printemps, Mioara c’est un petit agneau qui vient juste de naître. C’est aussi abrégé en Mioritsa. Quand j’ai débuté en Italie, comme il y avait trop de voyelles dans mon prénom on m’appelait Micara.
Vous avez toutes les deux chanté du lied, mais c’est un répertoire encore plus menacé.
Viorica : Vous savez, ce n’est pas nouveau hélas. Il y a quelque chose comme 25 ans, j’ai fait un récital à la Scala de Milan. Les italiens de l’époque n’étaient pas habitués à ce type de programme. Certains criaient : « Et les airs alors ? ». J’ai répondu : « Si vous êtes sages, et si vous écoutez ce que mes professeurs m’ont appris, alors je vous chanterai des airs d’opéra ensuite. Mais écoutez-moi d’abord ce que j’ai à vous offrir ». Alors ils se sont calmés et quand j’ai terminé, ils ont commencé à réclamer des bis. J’ai fait 8 airs d’opéra. Ils ont demandé du Puccini, et je leur ai dit « Je regrette, il n’a rien écrit pour les mezzos ». A la fin, le pianiste n’avait plus rien. J’ai pris sa place, je me suis mise au piano et j’ai chanté de la musique, des mélodies roumaines, des romances gitanes où je m’accompagnais en sifflant ! C’était drôle, ce n’avait pas été facile, mais c’est bien le tempérament des Cortez !
Et c’est un sacré tempérament ! Merci mesdames pour ce merveilleux moment.
Propos recueillis le 17 novembre 2019 à Paris.