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Yusif Eyvazov : « Si tu crois en ta voix, n’abandonne jamais »

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Interview
7 février 2019
Yusif Eyvazov : « Si tu crois en ta voix, n’abandonne jamais »

Infos sur l’œuvre

Détails

Yusif Eyvazov n’est pas seulement Monsieur Netrebko. A 41 ans, le ténor azerbaidjanais commence à cueillir les fruits de longues années de galère. Il donne son premier récital solo à Paris, Salle Gaveau, jeudi 7 février. 


L’opéra est-il populaire en Azerbaïdjan ?

Oui absolument. Il n’y a qu’une maison d’opéra en Azerbaïdjan mais nous avons une grande tradition lyrique depuis le 19e siècle. L’opéra en lui-même a été détruit plusieurs fois puis reconstruit. Il aurait aujourd’hui besoin d’une rénovation. Nous avons aussi des œuvres lyriques composées par des musiciens azerbaidjanais : Uzeyir Hajibeyov, Muslim Magomayev…

Les avez-vous déjà chantées ?

Intégralement jamais, seulement des airs. J’ai inclus dans le programme de mon récital, salle Gaveau, deux romances de Qara Qaraev, un compositeur azerbaidjanais, sur des vers de Pouchkine, en russe donc.

Comment êtes-vous devenu ténor ?

Oh mon Dieu ! C’est une très longue histoire. Je n’ai jamais pensé devenir ténor. Quand j’étais jeune, j’aimais la musique, comme beaucoup d’adolescents et je voulais juste étudier pour devenir chanteur pop. C’était mon rêve. Quand je suis arrivé au conservatoire, j’ai été forcé de chanter des partitions classiques. J’ai commencé à écouter cette musique, à l’apprendre et j’ai découvert un monde merveilleux. Je me suis aussi familiarisé avec la voix de grands ténors : Placido Domingo, Luciano Pavarotti, Jussi Björling…

Vous n’aviez alors aucun doute sur votre tessiture ?

Non, aucun, j’ai toujours été convaincu d’être ténor mais je pesais seulement 55 kilos… Bref, j’ai commencé à écouter ces chanteurs fabuleux et je me suis dit : « je ne veux plus chanter de pop. Je veux consacrer ma vie à cette belle musique qu’est l’opéra ». Je ne savais pas si j’y parviendrais. Il est impossible au début de ses études de savoir si vous pouvez faire du chant votre métier, si vous aurez des engagements, du succès. Il y a une grande part de risque. Il m’a fallu beaucoup, beaucoup d’années d’étude avant de monter sur scène.

Combien d’années ?

Beaucoup, pratiquement 14 ans. J’ai commencé à étudier à l’âge de 20 ans. Mon professeur en Azerbaïdjan m’a alors conseillé d’aller en Italie : « Si tu veux chanter de l’opéra », m’a-t-il dit, « pars en Italie, vis là-bas, mange leur nourriture, parle leur langue, imprègne-toi de leur culture, sois italien parce que l’Italie est la patrie du bel canto ». J’ai fait mes bagages, je suis parti à Milan et il m’a fallu quatorze années pour monter sur une scène d’opéra. Certains trouvent leur voix naturellement, dès le début de leurs études et commencent à chanter rapidement. Tel n’a pas été mon cas. J’ai d’abord eu de gros problèmes. Vraiment… J’ai changé souvent de professeurs. J’ai étudié avec de grands chanteurs, Franco Corelli par exemple mais ça ne m’a pas aidé. J’étais trop jeune. Je ne comprenais pas ce que je devais faire avec ma voix. On me donnait à chanter Mozart, Il Barbiere di Siviglia, des partitions trop légères pour moi. J’étais certain que ma voix n’était pas telle que la pensaient mes professeurs mais je ne pouvais rien faire. J’étais trop jeune. J’ai passé ainsi beaucoup beaucoup d’années à me battre et, en 2010 finalement, j’ai pu faire mes débuts au Bolchoï dans Tosca. Un grand théâtre, un grand orchestre…

… et un grand rôle !

Le rôle de Cavaradossi n’est pas si long. Ce n’est pas des Grieux (ndlr : Manon Lescaut de Puccini) ou Radamès (ndlr : Aida).

Que s’est-il passé durant ces longues années d’étude ?

Rien. J’étudiais à Milan et en parallèle, je travaillais comme un serveur, comme traducteur pour gagner ma vie, payer mon appartement, voyager pour passer des auditions… Cette période a été très difficile mais j’ai eu la chance de rencontrer des personnes merveilleuses qui m’ont aidé à développer ma voix.

Comment avez-vous trouvé votre vraie voix ?

Je ne l’ai pas trouvée immédiatement. Quand j’ai commencé à chanter sur scène, ma voix n’était pas celle que j’ai aujourd’hui. Mon développement a été tardif et long. Par exemple, il y a trois ou quatre ans, je me cherchais encore. J’écoutais mes enregistrements pour essayer continuellement de m’améliorer. Encore aujourd’hui, lorsque je m’écoute, beaucoup me disent « tu es très bien » mais, moi, je continue de m’interroger : « et si je changeais ça, et si j’essayais autre chose… ».

Que voudriez-vous changer aujourd’hui ?

Je suis encore en train de travailler pour dépenser moins d’énergie et avoir plus de résultats. C’est le plus précieux et le plus important. Il est très facile de chanter fort, de crier mais ce n’est pas ce que demande le public. Pour chanter Otello, Il trovatore, La fanciulla del west, vous ne devez jamais outrepasser vos moyens naturels. Je cherche donc à ne pas dépasser mes limites et je recherche plus de beauté. Certains chanteurs ont une voix naturellement belle : Luciano Pavarotti, Placido Domingo, José Carreras. J’ai rendu ma voix belle. Je ne peux pas dire qu’elle l’est. Je dois chanter de telle manière qu’elle le devienne.

Que vous a appris votre épouse, Anna Netrebko ?

Beaucoup pensent que j’étudie avec elle. Ce n’est pas vrai. Elle a sa manière, j’ai la mienne. Mais chanter auprès d’elle sur scène m’a énormément aidé à comprendre pas mal de choses : comment capter l’attention du public, comment bouger sur scène, comment être un grand professionnel. C’est ce que j’ai appris, en étant à côté d’elle. Les débuts ont été difficiles. Commencer à chanter avec une partenaire aussi extraordinaire, vous imaginez ! Et, en plus, être son époux. Un autre ténor n’aurait pas attiré l’attention de la même manière. Mais maintenant, c’est OK.

Et vous, que lui avez-vous appris ?

Elle m’aime et répète que chanter avec moi est confortable. D’accord. Mais je ne pense pas que j’ai pu lui apprendre quoi que ce soit car elle est une chanteuse tellement formidable, vraiment une grande artiste. C’est merveilleux de chanter ensemble parce que nous sommes un couple dans la vie et nous n’avons pas à jouer. Par exemple, quand nous chantons la fin de Manon Lescaut, nous pleurons vraiment tous les deux. C’est pourquoi nous sommes si crédibles. Et le public dans la salle pleure aussi car il perçoit qu’il s’agit de vrais sentiments.

Avez-vous parfois des avis artistiques divergents ?

Evidemment. Nous discutons et très souvent, nous ne sommes pas d’accord. Il y a beaucoup de choses qu’elle ne perçoit pas de la même manière que moi. C’est très bien ainsi, nous nous complétons.

Et au sujet des mises en scène ?

Peu m’importe qu’une mise en scène soit moderne ou classique, pourvu qu’elle ait du sens. Bien sûr, je les préfère classiques. Mais si un metteur en scène vous explique sa vision et vous convainc de son bien-fondé sans nuire à la musique et l’histoire, nous l’acceptons. Evidemment, il ne faut pas rester figé dans la tradition mais quand on représente sur scène des choses horribles, ce qui malheureusement, arrive souvent…

Ne pouvez-vous pas imposer votre point de vue ?

Non…

Même en étant aussi connus ?

Nous pouvons discuter avec le metteur en scène et trouver un arrangement. Souvent le metteur en scène comprend que les artistes ne se sentent pas à l’aise avec un parti pris mais nous ne pouvons pas changer les décors. Quand nous arrivons en répétition, les décors sont déjà en place. Tout est prêt. Si vous n’êtes absolument pas d’accord avec une production, il ne vous reste qu’à partir. C’est ce qu’a fait par exemple Anna avec l’horrible production de Manon Lescaut à Munich. Horrible… J’étais tout à fait d’accord avec elle. Tout le monde dans ce cas comprend. Vous êtes artiste, vous devez être libre.


© Tatiana Juraszek

Il se murmure que vous allez chanter ensemble Siegfried.

Siegfried ? Anna et moi envisageons de chanter ensemble Tristan und Isolde mais pas Siegfried. Ce n’est pas pour maintenant, juste un projet…Un projet énorme. Nous avons le temps. Déjà nous devons l’apprendre car la partition est gigantesque. Nous commencerons vraisemblablement par le 2e acte en version de concert. Nous avons besoin de temps. Anna va chanter Lohengrin cet été à Bayreuth. Je n’ai jamais chanté de répertoire allemand. Je ne suis pas aussi doué qu’Anna. Elle peut chanter merveilleusement dans n’importe quelle langue. J’ai besoin d’étudier davantage.

Et le répertoire français ?

Bien sûr ! J’envisage Carmen et Werther. Ce sont des partitions magnifiques.

Et l’opéra russe, que vous n’avez jamais chanté ensemble ?

Anna a interprété beaucoup d’opéras russes : Eugène Onéguine, La Fiancée du Tsar… De mon côté, je viens de chanter mon premier opéra russe il y a quelques semaines : La Dame de Pique au Bolchoi. Cette musique est géniale. J’ai adoré la chanter. Il s’agit d’une des œuvres que je préfère dans mon répertoire. Nous envisageons bien sûr ensemble un opéra russe. D’ailleurs le programme de notre prochain concert, à Francfort en avril et à Hambourg en juin, sera entièrement russe : Iolanta, La Dame de Pique

Et à Paris, en mai ? 

Nous n’avons pas encore complètement décidé mais le programme sera principalement italien. Salle Gaveau le 7 février, je chanterai pour la première fois l’air de Lenski dans Eugène Onéguine. La première partie de ce récital sera complètement russe avec deux airs d’opéra. Dans la seconde partie, je commencerai avec du bel canto italien puis « La Fleur » de Carmen et sans doute « Nessun dorma ». Le récital Salle Gaveau est très important pour moi car j’ai 41 ans maintenant et c’est mon premier récital solo.

Le premier, vraiment ?

Oui, le premier. Je n’ai jamais fait de récital solo. C’est très difficile car vous devez capter l’attention du public pendant presque deux heures et lui donner tout ce qu’il attend. C’est une étape importante dans ma carrière.

Vous avez aussi invité un jeune chanteur…

Oui, j’ai lancé un petit concours sur Facebook pour aider les jeunes chanteurs à démarrer leur carrière. Il est si difficile aujourd’hui de trouver un agent et de signer des engagements. J’ai reçu plus de 400 extraits musicaux. J’ai retenu quatre chanteurs, deux barytons et deux sopranos car quatre récitals sont prévus, un à Paris et trois en Allemagne. Chacun d’eux chantera avec moi dans une de ces villes. Demain, c’est Juan Carlos Heredia, un baryton mexicain qui vit à Los Angeles. Ensemble nous interpréterons le duo de Don Carlo. Il a une très belle voix. Il a participé à Operalia, le concours de chant de Placido Domingo. J’aime cette idée d’aider de jeunes artistes. Je pense la réitérer.

Quel message voulez-vous transmettre à ces jeunes chanteurs ?

Ne renonce jamais. Chanter est très dur. Vous devez toujours travailler sur et contre vous-même. Aucun micro ne peut vous aider. Quand vous arrivez sur scène, vous êtes nu. Alors, si tu crois en toi, si tu crois en ta voix, n’abandonne jamais.

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