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Alasdair Kent : « Je pense que ma voix convient particulièrement à la musique française »

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Interview
19 juillet 2024
Après Achille dans Iphigénie en Aulide au Festival d’Aix-en-Provence, Alasdair Kent aura plusieurs occasions de chanter en France la saison prochaine.

Infos sur l’œuvre

Détails

Après des études à la Western Australian Academy of Performing Arts, vous recevez en 2016 le prix « bel canto » de la Joan Sutherland & Richard Bonynge Foundation. Racontez-nous votre rencontre avec Richard Bonynge.

Ce fut un grand honneur de rencontrer le maestro Bonynge. J’ai été heureux qu’il me choisisse comme lauréat du prix « bel canto ». En tant qu’australien et chanteur belcantiste, Richard Bonynge et Joan Sutherland ont toujours été une grande source d’inspiration. Le maestro s’est montré aimable et très précis dans ses conseils. Sa première recommandation a été de m’inciter à choisir un répertoire spécifique. Je lui ai chanté Mozart, Rossini, Meyerbeer et l’air, magnifique, de Gérald dans Lakmé. Il a particulièrement apprécié mon Mozart et a insisté sur le fait que le chant belcantiste doit découler d’une émission vocale fondamentalement saine, soutenue, et non forcée. Chaque fois que je chante, je m’efforce d’atteindre l’excellence technique sur laquelle il avait alors mis l’accent.

Achille, dans Iphigénie en Aulide au Festival d’Aix-en-Provence 2024, fait figure d’exception française dans votre répertoire essentiellement italien.

A mon avis, bien qu’Iphigénie en Aulide soit un opéra en français, sa musique n’est pas typiquement française. Gluck, bien sûr, est né en Allemagne, a grandi en République tchèque et sa carrière s’était déroulée principalement en Autriche et en Italie jusqu’à peu de temps avant la création d’Iphigénie en Aulide. Il reste d’abord connu comme un réformateur de la musique italienne. Bien que je puisse déceler quelques traces de style français dans l’aria d’Achille au premier acte, l’influence italienne est très claire. Par exemple, dans l’aria du troisième acte, ou dans l’aria avec chœur du deuxième acte qui conduit très logiquement vers le grand opéra français plusieurs décennies plus tard. La tessiture élevée d’Achille convenait manifestement à Joseph Legros, qui a créé le rôle, et dont les succès, avant de travailler avec Gluck, ont été obtenus dans les opéras de Rameau. Cette pièce, ce rôle, sont donc le résultat d’un mélange d’influences, un peu comme la distribution de la production d’Iphigénie en Aulide au Festival d’Aix-en-Provence.

La langue chantée française n’est-elle pas plus difficile à maîtriser que l’italienne ?

Je suis très à l’aise en italien, et estime maîtriser assez bien l’allemand et le français. J’aurai de nombreuses occasions de parler français au cours de l’année à venir, car j’ai plusieurs engagements en France : Il turco in Italia à Lyon, Mitridate à Paris, Semiramide à Rouen et à Paris. Je chante aujourd’hui beaucoup Rossini et Mozart, mais je veux élargir mon répertoire de part et d’autre de ces deux compositeurs. Je compte ajouter progressivement des opéras romantiques français, comme Les Pêcheurs de perles et Lakmé. La saison dernière, outre mes débuts dans Gluck, Haydn et Salieri, j’ai chanté mon premier Rameau – Thespis dans Platée –et j’ai l’intention dans les saisons à venir d’interpréter de plus en plus de musique baroque française. Comme pour la quasi-totalité de mon répertoire actuel, les rôles y sont presque impossibles à distribuer en raison de leur tessiture extrêmement élevée.

Ce qui m’intimidait auparavant n’était pas la langue française, mais plutôt le style extrêmement spécifique de la musique baroque française. En travaillant avec Emmanuelle Haïm et Christophe Rousset, j’ai profité de leurs connaissances et de leur enseignement. Je pense que ma voix convient particulièrement à la musique française, qui exige un contrôle de la dynamique, y compris dans l’aigu, une grande sensibilité et une large palette de couleurs vocales. Puis, bien sûr, la langue française est si belle que la chanter est vraiment un privilège.

Votre carrière européenne débute à Pesaro en 2017. Qu’avez-vous appris sur les bancs de l’Accademia Rossiniana que vous ne saviez déjà ?

J’ai participé à l’Accademia l’année qui a suivi la triste disparition du grand Alberto Zedda. Mon maître a donc été Ernesto Palacio. Ernesto a eu une carrière fantastique en tant que ténor lui-même, puis manager et enfin impresario. J’entends encore le son de sa voix lorsque j’essayais de chanter une note aiguë sur une voyelle fermée : « Perché ti complichi la vita ? ». Je venais de terminer mes études à l’Academy of Vocal Arts aux États-Unis, et le fait d’être immergé dans le monde de l’opéra en Europe continentale deux mois durant m’a aidé à réaliser combien il était important de maîtriser la langue, en l’occurrence italienne. Depuis, j’ai eu le privilège de chanter avec de grands chanteurs et chefs d’orchestre italiens, tant en Italie que sur les scènes du monde entier. Cela n’a fait que confirmer à quel point il est important, dans ce répertoire, d’avoir une maîtrise conversationnelle de la langue. Le récitatif sec doit être une conversation entre les personnages. Il n’y a pas d’autre solution que de savoir parler la langue pour la chanter.

Il y avait également beaucoup de discussions stylistiques à Pesaro, par exemple sur les notes aiguës interpolées : où, quand, si, combien, etc. Les chanteurs et le public aiment les notes aiguës, mais elles doivent avoir un sens musical dans le contexte de la phrase, de l’aria et de l’opéra. C’est pourquoi l’étude approfondie d’un style authentique de chant rossinien a été un des grands apports de mon séjour à l’Accademia.

Un ténor de votre calibre se caractérise par une agilité et une aisance dans l’aigu supérieures à la moyenne. S’agit-il de qualités innées ?

J’aimerais dire que l’art de la colorature s’apprend, mais je ne connais aucun chanteur dans ma catégorie qui n’ait eu au départ des capacités naturelles. Tel est mon cas. J’ai toujours disposé d’agilité et d’aisance dans l’aigu. Je pouvais triller dès mon plus jeune âge. Cela dit, ces facilités doivent être soutenues par une technique. Même si le don est inné, il faut entretenir son jardin, tailler les plantes et arracher les mauvaises herbes. En ce qui me concerne, le répertoire est mon grand professeur. Je prends une phrase, je la chante, j’analyse ce qui doit être amélioré, j’essaie de le faire mieux, je peaufine et je recommence. C’est ainsi que je pratique. Quiconque suit mon compte Instagram sait que pour travailler ma voix, j’utilise à peu près n’importe quelle phrase difficile, qu’elle soit pour ténor ou pour soprano. Le chant colorature se caractérise non par une force extrême, mais par une liberté extrême. Je dois donc constamment travailler pour réduire la tension et l’effort, tout en conservant le soutien physique si important. Il s’agit d’un exercice de funambule, qui consiste à chanter, ni trop, ni pas assez.

Alasdair Kent © Olivia Kahler

Beaucoup d’amateurs d’opéra, excédés des dérives du regietheater, disent préférer une bonne version de concert à une mauvaise mise en scène. Partagez-vous cet avis ?

Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il est préférable d’avoir du bon plutôt que du mauvais ! Mais il y a de mauvaises productions traditionnelles tout comme il y a de mauvaises productions modernes… Et de mauvais concerts ! Je pense que, dans la vie et certainement à l’opéra, il est facile de tomber dans le piège de la nostalgie, penser que tout était mieux autrefois. Mais s’il nous était donné de revenir en arrière et revivre dans le passé, ressentirions-nous la même chose ? L’opéra a changé, l’opéra doit changer. La seule constante dans la vie est le changement. Je ne pense pas que la solution soit d’arrêter toutes nouvelles productions, d’empêcher les metteurs en scène de réinterpréter les œuvres, etc. Il y a de très bonnes productions modernes qui révèlent certains aspects insoupçonnés de grands chefs-d’œuvre pourtant connus, ou qui rendent un opéra plus frais, ou plus pertinent, qui stimulent le drame. Je pense que les comédies de Rossini peuvent bénéficier d’un regard renouvelé. Il y a à Zurich une production d’Il turco in Italia par Jan Philipp Gloger dans laquelle j’ai chanté en 2023 merveilleusement drôle et fraiche. Cela dit, la glorieuse Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle, que j’ai chantée à la fois au Bayerische Staatsoper et au Deutsche Oper am Rhein, est toujours d’actualité depuis sa création en 1971. Quant au charmant Barbiere di Siviglia de Ruth Berghaus au répertoire du Staatsoper Unter den Linden et que j’ai chanté à l’Oper Köln, il a été créé en 1968. Les deux sont donc importants. Je pense que nous devons être ouverts à la possibilité de nouvelles choses, de nouvelles interprétations, même si toutes ne sont pas nécessairement de grands succès. Cela fait partie du processus créatif. Et, bien sûr, certains de ces opéras que nous chantons depuis des centaines d’années n’ont pas tous été des succès lors de leur création !

Toutefois, en tant que chanteur, j’avoue ne pas aimer les réinterprétations qui prennent trop de libertés avec le texte. Nous sommes suffisamment comédiens pour pouvoir dire une réplique de différentes manières, certaines très éloignées du contexte, à condition que la vision du metteur en scène soit suffisamment solide et que nous ayons bénéficié de la préparation nécessaire. Cela peut fonctionner de manière fantastique. Mais il est parfois très difficile et très frustrant de faire quelque chose sur scène qui n’a absolument aucun rapport avec le livret. Dans le pire des cas, cela peut invalider des mois de préparation musicale. D’une manière générale cependant, la diversité reste importante : les productions traditionnelles luxuriantes autant que les relectures révolutionnaires et audacieuses, et les opéras – des raretés assurément – en version de concert. Il y a une place pour chacune de ces formes.

Être chanteur d’opéra est un dur métier – un sacerdoce, disent certains. Qu’est-ce qui vous motive et vous aide à rester motivé ?

Être chanteur d’opéra n’est pas un métier difficile – c’est une combinaison de plusieurs métiers difficiles ! Il y a les répétitions, les représentations, l’étude et la pratique, et les diverses choses que nous devons faire pour rester en forme. C’est ce que la plupart des gens considèrent comme le travail de chanteur d’opéra. Mais il y a beaucoup d’autres aspects que le public ne voit peut-être pas – les relations commerciales, les voyages, la logistique, les visas, les impôts, la résidence, la promotion, les médias sociaux… La liste est vraiment longue. Construire et maintenir une carrière à l’opéra est une entreprise colossale. Il faut donc vraiment aimer ça ! Pour moi, l’amour réside dans la musique et dans les gens. J’éprouve un plaisir immense à travailler avec des collègues fantastiques et à voir tout ce qu’ils apportent d’unique à nos représentations communes. Et surtout, je sais à quel point la musique est importante dans la vie de notre public. C’est un moyen d’exprimer la joie, le chagrin, la nostalgie, toutes les émotions qui sont au cœur de l’être humain. Si le chant lyrique est une sorte de sacerdoce, alors ce dont nous, chanteurs, prenons soin est le cœur de nos spectateurs. C’est un cadeau précieux et une responsabilité particulière.

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