Nommé à l’issue du conseil des ministres du 24 juillet 2019, Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris à partir de 2021, nous a reçu à la Canadian Opera Company de Toronto, alors qu’il assume une double fonction : directeur préfigurateur à Paris – chargé de mettre sur pieds la saison 2021/2022 en un temps record pour une des premières scènes mondiales – et directeur général de la COC.
Entre la Canadian Opera Company d’il y a 10 ans et celle que vous laisserez demain qu’est-ce qui a changé ?
Ce n’est sans doute pas à moi de le dire, il faudrait poser la question aux équipes et aux spectateurs. Je suis arrivé ici à cause du théâtre. Je trouve que c’est une salle magnifique avec une acoustique extraordinaire. A l’époque, en 2008, on souhaitait bâtir un projet tourné également vers l’international : c’était ce qu’on m’avait demandé de développer. Je suis arrivé alors que mon prédécesseur était décédé inopinément, la COC s’était retrouvée sans directeur pendant un an. Le projet était donc de faire venir des gens qui n’étaient jamais venus et faire de cette maison une destination de choix pour les artistes qui chantent aussi à Chicago ou à San Francisco. Sondra Radvanovsky [croisée en coulisses avant l’interview] a été la première. Elle a fait ses débuts en Aida. C’est à ce moment-là que le public a commencé à comprendre ce qui allait se passer, qu’on allait tenter des choses un peu différentes. Faire venir ces artistes était une chose, mais il fallait aussi leur donner l’envie de revenir. Tel était le projet. Après 11 ans, je pense qu’on s’en est bien sortis.
L’Amérique du Nord c’est un équilibre budgétaire différent du monde européen subventionné : en quoi cette expérience du mécénat sera-t-elle utile demain à Paris ?
À Paris les choses ont changé également. Quand j’y travaillais aux côtés de Gerard Mortier, les subventions couvraient deux tiers du budget. Ce n’est plus tout à fait le cas. Le mécénat est beaucoup plus important, les recettes de billetterie aussi. Il faut espérer que la subvention de l’Etat reste stable. Les enjeux semblent plus compliqués maintenant. L’équilibre est plus fragile et cela demande d’être bien plus vigilant sur les recettes.
Avec vos fonctions supplémentaires à Santa Fe vous avez une connaissance des artistes nord-américains : qu’apportez-vous dans vos valises ? Avez-vous des nouveaux talents à faire découvrir ?
Je pense que oui. Evidemment quand on gère l’Opéra de Paris, il faut s’intéresser aux talents du monde entier avec une attention toute particulière aux chanteurs français. On ne peut difficilement prétendre au statut de première compagnie mondiale si on ne cherche pas le talent partout où il fleurit. Je voudrais que Tamara Wilson, qui chante en ce moment Turandot ici à Toronto, et Russell Tomas fassent leurs débuts à Paris. Reste à trouver le « bon rôle » pour que cela se produise dans les meilleures conditions.
C’est l’ambition pour Paris ? Être la première compagnie mondiale ?
Si on le dit, on ne l’est pas. Il faut juste « faire ». Si c’est un truc de marketing… ça veut dire qu’on a déjà quelque chose à prouver.
Si je vous dis « Ping, Pong, Pang »… en revenant en Europe, vous affranchirez-vous de certaines polémiques très nord-américaines?
Pas de polémique ! La dynamique est complètement différente ici. En arrivant d’Europe il y a dix ans, je ne l’aurais pas compris non plus. C’est un pays d’immigration où il y a eu une prépondérance d’immigrants européens. Ce n’est plus vrai maintenant. Le Canada s’interroge sur comment ont été traités les immigrants d’Asie, notamment pendant les guerres mondiales. En conséquence, il faut être autrement sensible aux histoires qu’on met sur scène : comment, pourquoi et que racontent ces histoires ? « Que n’ont pas le droit de raconter certaines histoires ? » en l’occurrence. C’est une problématique très complexe de ce côté-ci de l’Atlantique. Ce n’est même pas pour être politiquement correct, c’est pour établir un discours avec un public qui ne vient pas encore à l’opéra. Turandot est un très bon exemple : son Pékin n’existe pas, c’est très différent de Butterfly qui est très, très précis. En vérité, je n’ai pas souhaité ce changement de nom, mais Bob Wilson voulait se montrer sensible à cette dynamique qu’il a perçue et dont certains des membres du cast d’origine asiatique se sont émus. On a voulu essayer, et voilà, on a essayé. De l’autre côté de l’Atlantique, on perçoit ce genre de changement de manière plus dramatique, mais ici beaucoup de monde l’a compris. Je ne pensais pas que c’était nécessaire mais Bob y croyait très fort, alors je l’ai laissé faire.
Alexander Neef (© Canadian Opera Company)
Vous discutez avec les metteurs en scène donc, vous participez au processus créatif ?
Oui et même beaucoup. Idéalement avant qu’on commence à penser à une nouvelle production. A la fin, c’est moi qui suis responsable de ce qui se passe sur scène. Je veille à ce que les artistes n’aient pas à faire des choses qu’ils ne veulent pas faire, et je me garde de dire à un chef comment il doit diriger. Mais je discute des conceptions et des idées et ensuite je prends ma décision : je les engage ou pas mais il faut qu’existe un respect mutuel entre la compagnie, le directeur et les artistes invités pour établir le meilleur dialogue possible sur l’œuvre.
Sans transition, question sur Paris : est-ce que vous allez effectuer votre prise de fonction de manière anticipée ?
Je n’ai aucune autre information. Dans tous les cas j’ai encore deux saisons à assurer à Toronto… et une fille à l’école ici.
Votre première saison s’annonce particulière : fermeture partielle ou totale des deux salles pour travaux, délais courts pour la mettre sur pied.
Ce n’est pas trop tard. Certains artistes ont suivi de près ce qui allait se passer à Paris et ont gardé un peu de place pour nous. On n’aura jamais tout le monde mais nous n’aurons pas de distributions de deuxième catégorie. On s’est mis au travail très vite en août. Cette première saison commence à prendre forme.
Vous arrivez déjà à imprimer votre marque ?
Oui. Evidemment, ça fait un peu peur que rien ne soit prêt avec si peu de temps pour se retourner, mais en même temps c’est une opportunité et je l’ai saisie.
Les chanteurs français auront une place particulière dans vos saisons ?
D’une manière générale, il faudra que j’aie une conversation avec les artistes français établis pour monter un projet à long terme et décider de ce qu’on va faire ensemble jusqu’en 2022/23. C’est ce que j’ai fait ici, j’ai demandé à mes artistes phares : « quels sont les rôles qui sont intéressants pour toi ? Voici les pièces qui sont nécessaires pour moi ici. » C’est comme ça que je construis mon projet à long terme. Ça crée une connexion entre les artistes et la compagnie alors que nous n’avons pas d’artistes permanents. Cette continuité est très importante pour moi. Toutefois, l’Opéra de Paris ne doit pas présenter que des stars et doit permettre à des talents émergents de devenir les stars de demain, parce que justement, ils chantent à l’Opéra de Paris.
Vous prenez le temps de faire passer des auditions ?
C’est la partie du poste de directeur qui me fait le plus plaisir. Travailler avec les artistes, l’atelier lyrique ici par exemple. Et j’auditionne beaucoup par curiosité. Il faut rester curieux. L’opéra c’est beaucoup de choses mais ça existe parce que les gens chantent. Même si ce n’est qu’un ingrédient de l’opéra, c’est l’un des principaux.
On vient de croiser la directrice de l’opéra de Seattle, Christina Scheppelmann, en visite chez vous pour la première de Rusalka ce soir, est-ce que vous avez le temps de rendre visite aux maisons voisines ?
Ici, je voyage beaucoup. La saison est beaucoup plus courte alors j’en profite. Ce sera plus difficile à Paris même si tout est plus proche : je pourrai toujours sauter dans un train pour aller à Londres. Oui, je reste en contact avec mes collègues, pas seulement parce que je monte une coproduction avec eux mais juste pour échanger.
Quelles sont vos premières orientations pour votre saison inaugurale à Paris ?
Je ne veux pas de saison thématique. Déjà, c’est impossible quand vous montez vingt titres, sauf si l’on se place sous un slogan très général [NDLR : on se souvient du « Croiser, oser, rêver » de Stéphane Lissner]. Les gens pensent que la dramaturgie est la base de tout, or c’est l’exact contraire : on programme et après on dessine sa dramaturgie. Programmer une saison c’est déjà arriver à se sortir des aspects pratiques : disponibilités, envies des uns et des autres etc. et je ne vous parle même pas des aspects financiers. A la fin c’est comme ça que ça passe et donc ça ne sert pas à grand-chose d’imaginer une situation idéale si c’est pour tout déconstruire parce qu’on n’a pas les moyens. J’essaie donc de faire avancer ces parallèles : quelle reprise on veut faire, quelle nouveauté, qu’est-ce qu’on ne veut plus faire, qu’est-ce qu’on n’a jamais fait. Le processus est permanent. L’aspect artistique est ce qui fait le plus plaisir dans ce métier mais ça demande du temps et je le prends, sans quoi on ne fait pas un travail de qualité.
Vous parliez des compositeurs français et de l’histoire de l’Opéra de Paris : cela pourrait être un pilier de votre programmation ?
Je n’aurais pas dû dire ça, je ne vais plus jamais m’en sortir… même si je programme tout une saison de répertoire français…
C’est le moment de corriger…
C’est une question d’identité quand on est l’Opéra de Paris, une des plus vieilles compagnies au monde. Il faut avoir une conscience de cette histoire et de ce qu’elle peut vouloir dire aujourd’hui : d’où vient la maison, qu’est-ce qu’elle a fait. Ensuite on fait vivre ce passé selon les possibilités et sans oublier de regarder vers l’avenir. Bien sûr, il faut faire résonner l’histoire de l’institution avec l’actualité du monde. Je m’intéresse beaucoup aux œuvres qui ont été créées à l’Opéra de Paris et après je regarde : est-ce qu’on peut, est-ce qu’on veut remonter cette œuvre ? Et après : pourquoi et comment ?
Cette idée que l’art lyrique, ce répertoire n’est pas une masse inerte qu’on programme parce que la musique est belle, mais bien parce qu’il résonne avec notre époque, vous y tenez ?
C’est une grande question et notre situation est particulière. On a accès aujourd’hui à toute l’histoire du genre. Ce qui n’était pas tout à fait vrai il y a 25 ans. Donc on peut revisiter les œuvres. On ne joue pas Rigoletto parce qu’il y a « la donna e mobile » dedans. On le joue parce que c’est une œuvre profonde qui a marqué son public à l’époque. Mais moi je n’emploie pas les artistes du 19e siècle, je n’ai pas le public du 19e siècle non plus. L’abus de pouvoir dans le Roi s’amuse qui intéressait Verdi à l’époque est toujours un axe pour mettre cette œuvre en scène. Pourtant, je suis persuadé que le public d’aujourd’hui va beaucoup plus s’intéresser au sort des femmes dans cet opéra, et à la manière dont les hommes les traitent. Il faut avoir cette réflexion et ensuite beaucoup d’options sont possibles. Ce qui m’intéresse si on redonne Rigoletto, c’est de marquer le public comme cela a été le cas à la création et de le marquer non pas par les « tubes » mais par sa force dramatique. Ensuite je discute avec le metteur en scène et le chef : « qu’est-ce qu’on fait pour créer cette sensation chez le public ? ».
Votre exemple est intéressant, Seattle vient juste de le faire (voir notre critique) et les réactions du public américain sont surprenantes pour un européen…
La relation du public est différente ici. Déjà on voit les œuvres moins souvent dans cette partie du monde. Les tubes reviennent tous les 5, 6, 7 ans. A chaque fois que je les programme, je sais qu’une partie du public ne les a jamais vus. A Paris ce sera bien différent.
Justement, à Paris il y a un public de fidèles, qui vient très souvent… Comment en prend-on soin ?
Vous savez le problème avec le public c’est qu’il n’existe pas. Ici, je dis qu’il y a 2000 publics chaque soir. Evidement il faut s’intéresser au public mais je pense que le plus important est de bien faire passer le message artistique de la compagnie et après… on déteste ou on adore. Mon ennemi c’est l’indifférence. Ce n’est pas que je veux provoquer. Mais il faut avoir un point de vue et je pense que le public européen s’attend beaucoup plus à ce « grand tumulte » que le public ontarien, que certaines propositions laissent confus. Je prends le public au sérieux et je lui confie un rôle. Le spectacle ne se fait pas si le public ne participe pas.
Quelle participation alors pour le public ?
De s’investir intellectuellement. Je dis toujours « ici, ce n’est pas un musée mais ce n’est pas une école non plus. » On ne va pas leur montrer comment était l’opéra à l’époque et on ne va pas « enseigner l’opéra » non plus. C’est un spectacle vivant, donné par des artistes du 21e siècle pour un public du 21e siècle. La plus belle chose pour moi dans l’opéra c’est que nous n’avons pas d’interprétations standardisées comme dans le Musical. On redonne les œuvres parce qu’on croit qu’il y a des choses à trouver. Pas nécessairement différentes mais parce que notre perception des œuvres change. Certaines œuvres vont sortir du répertoire, d’autres reviennent et c’est comme ça qu’on garde le genre en vie.
Justement quelles œuvres voulez-vous voir dans votre première saison ?
Il y en a beaucoup. J’ai été surpris quand j’ai regardé la liste du répertoire qui est prêt à être repris, bien sûr par la richesse du catalogue mais surtout par quelques béances. Je ne peux pas vous dire encore ce qu’on va programmer dans la première saison mais je vous donne un exemple : Turandot n’a pas été donnée à Paris depuis 2004, de mémoire. Cela m’a surpris. Je ne parle même pas du répertoire français… ce sont de belles opportunités.
Avez-vous choisi le futur directeur musical de l’ONP ?
Pas encore. J’ai des pistes mais je ne sais pas quand je serai en mesure de l’annoncer et il n’y a pas d’urgence pour moi. On l’annoncera au bon moment quand le choix sera fait. Pas de précipitations. Pour le moment je veux avoir un dialogue avec l’orchestre. Il est en train de s’établir. Je vais partir de là. Philippe Jordan a fait un travail extraordinaire avec les musiciens pendant dix ans. Il faut prendre soin de ce qui a été construit et écouter les musiciens sur ce qu’ils pensent de l’avenir. Il y a une question d’identité et de plaisir à descendre en fosse, surtout quand vous le faites aussi souvent : se sentir heureux et motivé, soir après soir.
On parle de la qualité de vie au travail, appréhendez-vous les chantiers internes qu’il vous faudra mener à l’ONP (réforme des statuts etc.) ?
Heureusement – et ce n’est pas pour éviter votre question parce que cela va devoir se faire –, heureusement mon statut de directeur préfigurateur est exclusivement centré sur l’artistique et la programmation des saisons futures. Et là, comme nous l’avons évoqué il y a un peu urgence. On va commencer avec ça. C’est important pour la maison de comprendre quel sera le projet artistique qui est en train de se construire, et, pour les personnels d’y participer au fur et à mesure. Le projet pourra rassurer chacun sur l’avenir. Après il y aura d’autres chantiers, c’est évident.
Vous avez senti de l’inquiétude dans vos premiers échanges avec les personnels ?
Ce n’était pas de l’inquiétude. C’est une très grande maison et j’ai ressenti un soulagement suite à l’annonce de ma nomination. De même pour moi, j’ai accepté de venir à Paris, avec seulement deux ans de préavis, parce que je connaissais des gens sur place, même si cela fait dix ans que je suis parti. Sans quoi je n’aurais pas accepté. Ils me connaissent un peu, je les connais un peu et nous mettons en place une belle dynamique. Ça aide quand on doit programmer rapidement.
On sent dans vos déclarations depuis votre nomination une envie de rompre avec l’image du « Mortier Boy ». Est-ce bien le cas ?
C’est quelqu’un qui m’a fait beaucoup confiance au moment où mon CV ne montrait rien de de ma capacité à faire des castings ou à travailler dans l’opéra en général. J’ai une très grande estime pour cet héritage mais comme pour Mahler et la tradition, je pense aussi qu’il faut changer. D’ailleurs, si Gerard Mortier était encore là, il ne ferait surement pas les choses de la même manière. C’est ça l’esprit de Gerard Mortier : on lui rend hommage en avançant. Ce que je ne renierais pas de ce qu’il m’a appris pendant dix ans, c’est qu’au-delà de la programmation, de l’artistique et de l’esthétique il faut apporter tout son soin aux artistes. On aime Mortier ou pas, mais il aimait les artistes et il aimait l’opéra. Le poste de Directeur n’est pas un poste politique. Il faut le faire avec compétence mais surtout avec amour.
Vous avez aussi déclaré que vous ne faites pas ce métier dans les mêmes conditions que lui pouvait le faire…
Oui et aujourd’hui nous sommes beaucoup moins libres financièrement, nous en parlions auparavant. Le rôle de l’Opéra de Paris a changé dans ce contexte. Il faut mettre en balance les aspects. L’opéra doit jouer un rôle dans la cité mais on n’est plus dans une situation où avec deux tiers du budget venant de l’Etat tout allait bien. Il ne faut pas le dire trop fort hein ! Et puis, j’ai réfléchi à ce que disait Verdi à propos de Paris : « La Grande Boutique ». Et en fait j’aime beaucoup cette idée. C’est quelque chose qui rassemble. Ce n’est pas négatif. Je ne me sens pas obligé de suivre une seule esthétique, je peux laisser le tout ouvert, comme une boutique où chacun vient trouver ce qu’il cherche tout en se laissant tenter.
Le répertoire sera donc assagi ?
Depuis le mandat d’Hugues Gall, l’Opéra de Paris dispose d’un répertoire conséquent dans lequel on peut puiser. L’Opéra de Paris a toujours été une maison de répertoire. Je vais m’attacher à faire de ce répertoire une permanence. Ce n’est pas négatif de pouvoir revenir voir le même opéra tous les deux ans. Ça fait partie de la mission d’une institution aussi grande que l’Opéra de Paris. C’est une permanence culturelle où à tout moment les gens peuvent venir rencontrer le genre Opéra ou le genre Ballet. Bien sûr, nous aurons des projets phares. Mais je ne veux pas que le public ne pense qu’aux huit ou neuf nouvelles productions. S’il y a une reprise, il y a une raison qui la rend importante. Ce n’est pas pour rassurer les gens qu’on le fait. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’audace se cantonnerait à un répertoire rare. Avec une vingtaine de titres par saison, il y a de la place pour tous les projets.
En termes de politiques tarifaires, qu’aimeriez-vous arriver à faire ?
C’est encore un peu trop tôt pour le dire, pour être honnête. Je me concentre avec mon équipe sur le projet artistique.
On a vu ces dernières années une pratique particulière : l’augmentation du prix des places en fonction de la présence de stars dans la distribution. Validez-vous cette pratique ? Que faire en cas d’annulation de la star ?
C’est une question très délicate. Il n’y a pas de bonne solution. Les artistes sont des êtres humains, ils peuvent tomber malades même si on n’espère pas trop souvent. A la fin, il faut vendre des places, c’est important pour l’équilibre économique de la maison. On est dans la même logique que les compagnies aériennes. On vend plus cher parce qu’on peut le faire, c’est une question de marché, et ça nous sert à financer le projet artistique global. Je n’en suis pas trop fier, mais oui, on augmente les prix quand la demande est forte. Ça me désole quand on vend Wozzeck deux fois moins cher que Traviata, parce que l’Opéra semble envoyer un message sur la valeur des œuvres. Mais il y a des nécessités économiques qu’on ne peut pas complètement ignorer. Je serai heureux d’avoir à nouveau cette conversation avec vous quand j’aurai les mains un peu plus libres. L’Opéra de Paris vend environ 900 000 billets par an : on a de la marge pour essayer d’autres politiques tout en garantissant qu’on va bien encaisser 80 millions pour assurer le fonctionnement de la maison et de l’artistique. Ce n’est pas rien.
Est-ce que vous avez des souhaits pour améliorer la qualité acoustique des salles ?
Bon, j’ai une très bonne acoustique ici à Toronto, mais je ne suis pas insatisfait de Bastille. Pour une salle de cette taille, ça marche quand même plutôt bien. Les travaux qui arrivent ne sont pas prévus pour cela de toute façon. Il s’agit d’entretenir un outil qui a 30 ans et qui offre des possibilités techniques importantes.
Dernière question plus légère, vous serez le premier directeur de l’ONP présent sur Twitter : comptez-vous maintenir ce lien direct avec le public ?
Le plus possible. Je compte être très présent. C’est important pour tout le monde qu’on voie le « patron ». Il faut être accessible au public, aux personnels et aux artistes. Avec 20 opéras et 12 ballets… c’est un défi mais ce travail ne me fait pas peur. Pour Twitter je ne sais pas encore. L’enjeu sera plus important… je suis en train de réfléchir. Si on s’expose, il faut assumer. Ici aussi ça m’arrive avec le courrier des spectateurs. En tant que personne de la vie publique, on ne peut pas demander trop de protection, il faut assumer ce qu’on présente et il faut discuter avec tout le monde. On ne peut pas se cacher dans son bureau.
Propos recueillis à la Canadian Opera Company de Toronto le 12 octobre 2019.
La Canadian Opera Company en quelques chiffres :
– Premier producteur d’opéras au Canada et l’un des plus importants en Amérique du Nord.
– Première salle jamais construite au Canada dédiée à l’art lyrique : le Four Seasons Centre, inauguré en 2006.
– 142 572 spectateurs en 2016/2017 dont près de 100 000 rien que pour l’opéra.
– Six productions scéniques par saison et 70 concerts gratuits au Four Seasons Centre.
– Premier Ring de Wagner en version scénique du Canada représenté en Septembre 2006.
– Le COC Ensemble Studio forme les jeunes pousses lyriques depuis 1980. Ben Heppner y a été formé.
– 4 nouvelles commandes d’opéra depuis 2015 : Pyramus and Thisbe (2015) de Barbara Monk Feldman ; Hadrian (2018) de Rufus Wainwright ; The Old Fools (en commande) d’Ana Sokolovic ; La Reine-Garçon (en commande) de Julien Bilodeau.