Alexandra Lacroix est une lionne. La rencontrer, c’est faire l’expérience d’une détermination sans faille au service de projets originaux et passionnants, et ce, dans la pire période qui soit pour des créateurs de formes nouvelles comme elle. C’est le temps hélas des vaches maigres, l’ère post covid des coupes brutales budgétaites entraînant des annulations de projets ou de (co)productions dans les théâtres, maisons d’opéra et festivals. Mais, n’ayons aucune crainte, elle se battra jusqu’au bout pour construire l’avenir sur scène de la musique et de l’opéra. Si ce dernier est sommé de se renouveler pour ne pas disparaître, nous pouvons compter sur Alexandra Lacroix pour lui tracer de nouvelles voies.
Qu’elle écrive le livret d’un nouvel opéra, Carmen, cour d’assises, d’après Bizet avec la complicité de la compositrice singapourienne Diana Soh, qu’elle a mis en scène en mai au TAP de Poitiers (qu’on découvrira au Théâtre de la Ville de Luxembourg et à l’Opéra de Bordeaux en janvier 2024) ou qu’elle prépare un nouvel opus pour l’Opéra de Reims pour février 2024, Belboul, un opéra imaginé à partir d’une partition peu connue de Massenet, dont elle assure encore le livret et la mise en scène, avec la complicité de la compositrice iranienne Farnaz Modarresifar, Alexandra Lacroix multiplie les actions. Scénographe, dramaturge, fondatrice et directrice artistique de la Cie MPDA depuis 2007, elle s’est toujours passionnée pour la mise en scène de la musique. Interroger, réécrire les oeuvres et renouveler l’écriture de la scène, cela a toujours relevé de l’évidence pour celle qui a complété sa formation à l’Opéra Garnier, au TNS ou aux Amandiers de Nanterre, avec des mentors tels que Stéphane Brawnschweig, Katie Mitchell ou Marie-Louise Bischofberger, entre autres lieux et artistes.
Elle a depuis créé près de 25 spectacles avec sa compagnie ou pas, enchaînant les collaborations artistiques riches avec des compositeurs (Alexandros Markeas, A. Sarto, Marta Gentilucci), et des formations qui comptent tels l’Orchestre de Chambre de Paris, l’Orchestre Pelléas, les ensembles Aedes, Ars Nova et Spectra pour ne citer qu’eux. L’objectif est resté le même à travers toutes ces années : rechercher une nouvelle façon d’appréhender l’espace, le public, en interrogeant dans des spectacles forts et poétiques la mise en corps et en mouvement des musiciens comme des chanteurs. Malgré des bâtons financiers dans les roues de spectacles aux budgets désormais insuffisants (en termes de possibilité de répétitions par exemple), il s’agit toujours pour l’indomptable patronne de la Cie MPDA, dont le travail avec d’autres collaborateurs est présenté au Festival d’Aix-en-Provence comme dans la plupart des grands théâtres français et européens, de créer de nouveaux récits (comme imaginer le procès de Don José après la mort de Carmen dans Carmen, cour d’assises), d’innover sur scène en travaillant la notion de spatialisation du son, des voix, des corps, des instruments, tout en cherchant de nouvelles relations d’inclusion du public et de son propre vécu au spectacle.
Ce sont bien les nouveaux chemins de l’opéra contemporain qu’il faut défricher pour notre temps. Alexandra Lacroix n’a-t-elle pas écrit et mis en scène (grâce au réseau ENOA alias l’European Network of Opera Academies initié par Bernard Foccroulle au Festival d’Aix), Be my Superstar, a contemporary tragedy, un opéra sur le harcèlement avec le compositeur Simon Vosecek ? Elle a mis en scène La Princesse Jaune et autres fantasmes d’après Camille Saint-Saëns en novembre 2022 à l’Opéra de Limoges (qui reprendra en avril 2024 Carmen, cour d’assises), après avoir initié Persées en 2021, mêlant mélodies persanes de ce même Saint-Saëns et récits de réfugiés afghans et iraniens. Avide de casser les cadres et les normes établies, elle se prépare à présenter Entre nous, les saisons, dans une forêt d’Île-de-France le 21 juillet, un spectacle associant performeurs, grimpeurs et musiciens sur les Quatre Saisons de Vivaldi, avec l’ambition d’embrasser l’aspect vertigineux des enjeux climatiques. Un spectacle qu’elle conçoit à la croisée des frontières des styles et des disciplines et qui sera également visible dans l’Auditorium du Carreau du Temple à Paris le 15 septembre 2023.
S’imprégner d’autres disciplines, d’autres pratiques pour les essayer, repenser les combinaisons et les structures, apprendre à composer (et coproduire des spectacles) selon des champs d’expertise qui lui sont plus ou moins éloignés, voilà qui n’est pas pour déplaire à l’infatigable artiste associée de l’Opéra de Limoges, qui entend ne rien céder sur son exigence artistique musicale et visuelle. A l’entendre, il n’est rien d’impossible pour qui sait s’adapter sans transiger, tout en cherchant à nouer un contact sincère et fort avec le public. C’est sûr, l’avenir de l’opéra ne se dessinera pas sans Alexandra Lacroix.