Vous teniez le premier rôle dans Télémaque et Calypso de Destouches l’année passée, puis dans Acis et Galatée de Handel à Toronto. Et maintenant, vous vous apprêtez à prendre le rôle de Dardanus dans l’opéra du même nom de Rameau. C’est une bonne période, n’est-ce pas ?
Oui, je dois dire que les choses s’accélèrent un peu ! On est sur une pente ascendante en termes de sollicitations, cela me permet de progresser de rôle en rôle, ce qui appelle en retour des sollicitations. C’est un cercle vertueux ! C’est aussi parfois de la chance, lorsque j’ai l’occasion de remplacer des chanteurs indisponibles, c’est ainsi qu’on m’a donné ma chance avec Télémaque… Je suis très heureux de franchir les différents stades d’un début de carrière qui se passe très bien. Mes débuts à l’Opéra Comique, en Thélème dans Les Fêtes d’Hébé plus récemment, ont été un moment très marquant. Je suis très heureux et cela ne pourrait pas mieux se passer !
Qu’avez-vous retenu de cette expérience à l’Opéra Comique, dans Les Fêtes d’Hébé ?
Chanter à l’Opéra Comique est évidemment un privilège immense ! Quand on pense à toutes les œuvres qui y ont été créées, ou à certaines productions cultes comme celle d’Atys de Lully de 1987. Et pour Les Fêtes d’Hébé, j’avais devant moi deux monstres sacrés, William Christie et Robert Carsen. C’est la première fois que je travaillais avec William Christie, ce qui a impliqué un temps d’adaptation avant qu’on ne soit sur la même longueur d’onde. J’ai également pris beaucoup de plaisir en chantant aux côtés de Lea Desandre. C’était donc une expérience formidable ! Commencer dans une grande maison comme l’Opéra-Comique avec le rôle de Thélème qui n’est pas trop difficile m’a permis d’y faire mes débuts avec sérénité. J’ai aussi beaucoup appris rien qu’en observant les collègues !
Pourriez-vous revenir également sur l’expérience d’Acis et Galatée à Toronto ?
C’était exceptionnel ! Je considère que j’ai beaucoup de chance d’avoir pu chanter ce rôle à ce stade de ma carrière, qui est vraiment un cadeau pour un jeune interprète. La partition est superbe, le rôle n’est pas trop lourd, tout en présentant des airs très exigeants, et donc de beaux défis ! C’est comme ça qu’on progresse… Le travail avec Marshall Pynkoski a été très enrichissant et m’a fait grandir, tout comme la collaboration avec mes collègues Douglas Williams, Meghan Lindsay, Blaise Rantoanina. Prendre ce rôle à l’étranger m’a aussi permis de me débarrasser de la pression parisienne. Les conditions étaient donc idéales. C’est un beau jalon à ce stade de ma carrière, qui devrait amener d’autres rôles à l’avenir.
Qu’est-ce qui gouverne vos choix de rôles, à l’heure actuelle ?
Ce n’est pas évident pour les chanteurs en début de carrière. La tentation de dire oui à tout ce qui est proposé est très forte, mais il faut aussi écouter sa voix et veiller à respecter son évolution. Mais de manière générale, je ne veux pas refuser d’opportunités que je regretterai par la suite ! C’est un équilibre que je construis au quotidien, au gré des sollicitations. Je privilégie aussi les ensembles qui me tiennent à cœur, tout en veillant au développement de ma voix. Je souhaite donner de la place au baroque tout en m’ouvrant progressivement à d’autres répertoires plus modernes, de Mozart au XXème siècle. J’y tiens beaucoup parce que je suis convaincu qu’il n’y a pas que du baroque dans ma voix. C’est évidemment mon répertoire de prédilection, mais j’ai un médium qui est assez rond et j’ai toujours eu une appétence pour Mozart ou Britten, par exemple. Je m’efforce d’ailleurs de travailler quotidiennement ma voix à des répertoires postérieurs au baroque. C’est une évolution que j’aimerai mener à bien dans les dix prochaines années, au niveau du travail de ma voix, des choix de rôle et d’auditions. L’objectif est d’être un chanteur polyvalent.
Est-ce qu’un chanteur en particulier vous inspire particulièrement ?
Je suis impressionné par le travail de Julien Behr, qui est de tous les projets aujourd’hui et qui a progressivement assis son expertise mozartienne, rôles après rôles. Benjamin Bernheim est très inspirant ! Et je dois bien sûr citer Jonas Kaufmann, que je n’ai eu de cesse d’écouter pendant toutes mes études – notamment sa Belle Meunière de Schubert ou son disque « Wagner »…
Venons-en à Dardanus, que vous allez chanter la semaine prochaine à Cracovie. Quelle version sera donnée, celle de 1739 ou de 1744 ?
C’est celle de 1739 ! Il n’y aura donc pas le fameux air « Lieux funestes », ajouté en 1744. En tant que jeune ténor, c’est un air avec lequel j’ai grandi et que j’ai beaucoup chanté comme tant de ténors avant moi ! Mais je ne suis pas en reste, la version de 1739 comporte un superbe air de bravoure au dernier acte. Et prendre le rôle de Dardanus dans sa version de 1739 constitue déjà un défi en soi, avant de m’attaquer, un jour, à celle de 1744 …J’aurai alors le rôle en moi et serai à même de me confronter à « Lieux funestes », qui est tout sauf évident. Je suis aussi très heureux de chanter auprès de Sophie Junker !
Dans quelle mesure le rôle de Dardanus est-il un défi ?
Dardanus est un rôle phare pour tout ténor. Ses airs, et notamment « Lieux funestes » figurent dans les anthologies pour ténor, y compris les plus anciennes. Plus généralement, le rôle est particulièrement aigu, brave, haut perché. La musique est légendaire, au plan orchestral, choral – les airs d’Iphise sont tous superbes. Tous les grands moments de musique s’enchaînent. C’est aussi un rôle complet au plan théâtral car le livret raconte une vraie histoire. Dardanus fait partie des opéras de Rameau qui ont une histoire épaisse, comme Hippolyte et Aricie, ou Castor et Pollux, peut-être plus que pour Les Fêtes d’Hébé, par exemple, dont les actes sont indépendants et qui ne racontent donc pas une trame qui se suit. Mais même quand le livret n’est pas parfait chez Rameau, la musique emporte tout sur son passage.
La version de 1739 de Dardanus comporte une scène de « sommeil », souvent comparée au divertissement du sommeil dans Atys de Lully, que vous avez chantée l’année passée dans le rôle de Morphée. Avez-vous une version préférée ?
Ces deux versions du sommeil sont très différentes ! De manière contre intuitive, celle de Lully est beaucoup lyrique que celle de Rameau. Dans le sommeil d’Atys, en dehors de la phase orchestrale introductive, tout est chant : les dieux du sommeil chantent les uns après les autres avant d’entamer un trio particulièrement lyrique. Cette version a davantage trait, au fond, aux dieux du sommeil, qu’au sommeil lui-même. Dans le sommeil de Dardanus, tout est orienté vers le sommeil lui-même : aucune voix ne ressort plus qu’une autre et le ralentissement total figure parfaitement bien le sommeil. Bien sûr, au plan historique, la version de Lully est indéniablement plus culte, surtout aujourd’hui, puisqu’on a tous en tête la version de 1987 à l’Opéra Comique avec Paul Agnew. À chanter, je penche pour la version de Lully, sans aucun doute, mais à écouter, ces deux moments sont aussi sublimes l’un que l’autre !
Quels sont vos projets à venir ? Et quels sont vos rôles de rêves ?
Dans un mois, je retourne à Toronto dans David et Jonathas de Charpentier, que je chanterai aussi à Versailles. En avril, je serai dans les Vêpres de Monteverdi à l’auditorium de Radio France avec Lionel Sow à la direction, un chef avec qui je prends un immense plaisir à travailler. Cet été, je serai dans La Passion grecque de Martinu avec l’ensemble Pygmalion, pour le festival Pulsation. Cette incursion dans le XXe siècle sera une très belle aventure. L’année prochaine, je prendrai le rôle de Renaud, dans Armide de Lully et je serai également dans Cadmus et Hermione de Lully. Et dans deux ans, je chanterai… Pelléas dans Pelleas et Mélisande ! Je suis particulièrement excité par ce projet et ce rôle qui sera un beau défi technique ! Quant aux rôles de rêves… J’aimerais faire tous les Mozart. Je me reconnais particulièrement, au plan dramatique, dans Don Ottavio et Tamino. À plus long terme, j’aimerais aussi beaucoup travailler le répertoire de Britten, comme Peter Grimes… En tant qu’artiste lyrique, les rôles de Britten sont troubles, sombres, passionnants. Et sinon, bien sûr, je souhaiterais chanter le rôle d’Atys, qui est iconique !
Propos recueillis le 5 février 2025.