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Archiv produktion : 66 bougies, mais un seul opéra, est-ce bien raisonnable ?

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22 juillet 2013

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Rachetée en 1941 par Siemens & Halske et transformée en instrument de propagande nazie, la Deutsche Grammophon a compris plus vite que d’autres que la reconstruction de l’Allemagne passerait aussi par la culture. Ainsi, lorsqu’elle lance, en 1947, une nouvelle collection dédiée à la musique ancienne, le patrimoine germanique y occupe une place centrale. Néanmoins, la compilation qui célèbre aujourd’hui les 66 ans d’Archiv Produktion met en lumière l’insatiable curiosité de ses concepteurs et l’étendue des territoires explorés au fil des décennies. Négligé par cette rétrospective, son apport au domaine de l’opéra mérite d’autant plus que nous nous y arrêtions.
 

La marque jaune affectionne les anniversaires et n’entend d’ailleurs pas se borner aux chiffres ronds. En 2009 déjà, elle fêtait ses 111 ans en publiant un cube de 55 disques ainsi qu’un coffret de 6 albums (111 plages pour autant d’artistes), suivis en 2010 d’un second cube de 56 disques (111 albums en deux boîtes : le compte est bon !). Toutefois, ces riches anthologies piochaient avec parcimonie dans les trésors d’Archiv Produktion, le fameux « Silver label », qui possède désormais son propre monument : 1947-2013, « A celebration of artistic excellence from the home of early music », 66 années survolées en 55 albums dont plusieurs ont marqué l’histoire de l’interprétation et de la musique enregistrée.
 

Cette compilation embrasse à peu près tous les répertoires où le label s’est illustré, à l’exception des musiques du monde, dont les quelques volumes n’ont pas véritablement trouvé leur public. Elle rend également un bel hommage aux pionniers (Helmut Walcha, Fritz Lehmann et Karl Ristenpart, Karl Richter, le Pro Cantione Antiqua Musica [avec notamment Le Jeu de Marion et Robin, inédit en CD], les Ambrosian Singers, David Munrow, etc.), à leurs nombreux émules (Jürgen Jürgens, Reinhard Goebel, John Eliot Gardiner, Trevor Pinnock, Paul McCreesh, Marc Minkowski, le Concerto Köln, le Venice Baroque Orchestra, Giulio Carmignola, etc.)

Fred Hamel, fondateur et premier directeur d’Archiv Produktion, organise la production en douze champs de recherche, du chant grégorien à Mannheim et Vienne, Bach et Haendel constituant deux rubriques distinctes. Ces catégories façonnèrent l’identité de la collection pendant près d’un quart de siècle et si les publications ultérieures n’y feront plus explicitement référence, les incursions au-delà de 1750 se limiteront pour l’essentiel à Mozart et Beethoven dont nous sont respectivement proposés les concertos pour piano n° 18 et 19 sous les doigts de Malcolm Bilson ainsi que les 5e et 6e symphonies, John Eliot Gardiner dirigeant The English Baroque Soloists puis son Orchestre Révolutionnaire et Romantique. Les mélomanes pourront (re) découvrir des albums mythiques tels que « Music of the Gothic Era » (The Early Music Consort of London), « A Flemish Feast » (Piffaro – The Renaissance Band) ou les grandioses Vêpres à la Vierge de Monteverdi captées sur le vif à San Marco (dir. John Eliot Gardiner) – la moisson est dense et bigarrée !
 



La sélection opérée semble de prime abord représentative de l’histoire de la collection, cependant, elle ne comporte qu’un seul opéra : l’Alcina, si peu théâtrale, d’Alan Curtis parue en 2009, un choix déroutant que la magistrale leçon de bel canto dispensée par Joyce Di Donato et Karina Gauvin ne suffit pas à expliquer. Serait-il alors dicté par des considérations commerciales, celles-là même qui ont sans doute amené l’éditeur à inclure les indémodables Quatre Saisons de Pinnock ou le très énergique Messie de MacCreesh ? Haendel a la réputation d’être plus vendeur que Lully ou Rameau, soit, mais l’Ariodante de Minkowski s’imposait alors en incarnant cette excellence revendiquée par le producteur. Par contre, si ce dernier voulait absolument évoquer la figure d’Alan Curtis, un des musiciens les plus actifs de ces dix dernières années, il aurait mieux valu retenir Motezuma, sa meilleure intégrale publiée chez Archiv. Cette œuvre éblouissante et singulière, redécouverte tardivement (2002) et dont le violoniste Alessandro Ciccolini (Il Complesso Barocco) reconstitua très habilement le début du premier acte, aurait permis de surfer sur la vague de popularité que connaissent les opéras de Vivaldi tout en témoignant de l’esprit d’aventure qui n’a jamais cessé d’animer les artisans du label.
 

 
Motezuma et Ariodante ne sont pas les seules réussites d’Archiv dans le domaine de l’opéra, loin s’en faut ! De superbes gravures ont vu le jour tout au long des années 90, une activité couronnée de succès tant critique que public et dont cette somme historique aurait dû rendre compte. Certes, le genre lyrique occupait également une place modeste lors des précédentes éditions « collector » de Deutsche Grammophon qui, dans le cadre de ces opérations, privilégie manifestement la musique instrumentale, mais il n’était pas réduit à cette portion congrue. Le premier cube sorti pour le 111e anniversaire de l’éditeur n’abordait le théâtre musical qu’à travers West Side Story et trois récitals (Domingo, Netrebko, Kozena), mais le second accueillait deux intégrales lyriques – Carmen (Berganza/Abbado) et Traviata (Cotrubas/Kleiber) –, cinq récitals (Kozena, Garanca, Netrebko/Villazon, Streich, Terfel) et un florilège de chœurs (Deutsche Oper Berlin, Sinopoli) quand, sur les 111 pistes du coffret de 6 CD sorti en 2009, une bonne vingtaine offraient des extraits d’opéra.
 

 
Si les micros d’Archiv s’ouvrent dès 1990 au cycle Mozart de Gardiner, inauguré par un décevant Idomeneo, mais également jalonné de réalisations très abouties (La Clemenza di Tito, Le Nozze di Figaro et Die Zauberflöte), celui-ci a fait l’objet d’une réédition en 2011 et ne s’inscrit pas exactement dans la ligne éditoriale du label qui préfère toujours se concentrer sur la musique antérieure au classicisme, ainsi qu’en attestent les parutions annoncées pour 2014 (Orfeo ed Euridice de Gluck, Orlando de Haendel et un programme autour de Farinelli). Les Monteverdi du chef britannique (L’Orfeo, L’Incoronazione di Poppea) n’ont pas convaincu, loin s’en faut, et souffrent d’un déficit dramatique rédhibitoire. Par contre, Hippolyte et Aricie, capté en live lors des Journées Rameau de Versailles en juin 1994, marque les débuts foudroyants de Marc Minkowski chez Archiv. Les succès s’enchaînent et la collection s’enrichit de quelques enregistrements mémorables qui se hissent au sommet de la discographie: Ariodante (1997), Acis et Galatée de Lully (1998), Armide (1999) et Iphigénie en Tauride (2001) de Gluck, Dardanus de Rameau (2000). Or, aucune n’a trouvé grâce aux oreilles de l’éditeur qui néglige le plus grand chef lyrique de sa génération et un chapitre essentiel de son histoire.
 

 
D’aucuns invoqueront la longueur de ces ouvrages, mais Dardanus tient sur deux disques et Archiv n’a pas hésité à jeter son dévolu sur trois oratorios de Haendel: le Messie précité (MacCreesh), la flamboyante Resurrezione par Minkowski (un beau lot de consolation auquel s’ajoute la Symphonie imaginaire de Rameau) et l’Israel in Egypt de Mackerras, alourdi par le chœur massif du festival de Leeds et la raideur du chef – inutile de dire qu’un second opéra l’aurait avantageusement remplacé. Impossible, en revanche, de demeurer insensible à la rencontre du plus désarmant des boyish treble, Simon Woolf, et du plus bel Aeneas qui ait jamais existé, John Shirley-Quirk, réunis dans la version de « Hail bright Cecilia » gravée par Mackerras en 1969 (« Hark, hark each tree its silence breaks »). Mais, pour en revenir à la musique de scène, la Didon incandescente de Tatiana Troyanos que l’Américain dirigeait deux ans plus tôt manque à l’appel, de même que le Fairy Queen de Gardiner, miracle de fraîcheur et de poésie, contre lequel nous aurions volontiers échangé sa lecture brillante mais superficielle de la Messe en si.



L’entreprise a ses limites et ne réussit pas toujours à concilier sa visée historique avec son ambition d’excellence, un hiatus dont Bach, plus que tout autre, fait les frais. Le verbe souverain de Dietrich Fischer-Dieskau (BWV 56 et 82) s’imposait déjà en 1951 et fascine toujours. Par contre, les cantates BWV 19 et 21, figées dans le marbre sans finesse du Berliner Motettenchor (Fritz Lehmann), ne nécessitaient pas un report en CD. La Saint Matthieu de Richter suffisait amplement pour illustrer une esthétique terriblement datée et le troisième volume de cantates aurait mieux fait de renouveler l’approche en s’intéressant au pèlerinage de John Eliot Gardiner – encore lui, mais, après tout, l’éditeur reconnaît lui-même que « sa contribution fut immense ». En outre, si l’éloquence et les phrasés éminemment personnels d’August Wenzinger retiennent aujourd’hui encore notre attention dans les sonates pour viole de gambe et clavecin (1950 !), par contre, les Brandebourgeois de Goebel se révèlent infiniment plus stimulants dans leur radicalité même que ceux du vénérable gambiste et professeur de la Schola Cantorum Basiliensis.
 


Décontenancés par la tiédeur d’Alcina et à peine ragaillardis par La Resurrezione, les amateurs de théâtre musical se précipiteront sur La Lucrezia de Haendel (Italian Cantates), dont Magdalena Kozena révèle comme personne la puissance dramatique, mais également sur Il Delirio amoroso où ses accents douloureux nous vrillent l’âme (« Per te lasciai la luce »). Deux ans après avoir interprété une délicate Bergère dans Dardanus (janvier 1998) et quelques mois à peine après avoir campé Valletto et la Virtù à Aix dans L’Incoronazione di Poppea, la jeune Tchèque retrouvait Marc Minkowski et la salle Olivier Messiaen de Radio France pour enregistrer cet album en public. Elle n’avait que vingt-sept ans, mais affichait une tout autre maturité que la pauvre Anna Prohaska, à nouveau égarée en terres baroques et dans des emplois surdimensionnés (Lamento della Ninfa, insipide et glacial, « Furie terribile » (Rinaldo) surjoué et grotesque) et qui s’incline bien bas devant le témoignage édifiant de ses aînées, au premier range desquelles Anne Sofie Von Otter (Lamenti de Bertali, Monteverdi, Purcell, Vivaldi).
 

 
Son Orphée (dir. Jürgens, 1973), d’une virtuosité idoine, est entré dans la légende : Nigel Rogers n’a pas été oublié à l’heure du bilan, mais il faudra nous passer de cette incarnation pourtant légendaire. Canti amorosi, déjà publié en volume séparé (1991), réunit des extraits d’enregistrements parus dans les années 70 : des duos et trios de Monteverdi interprétés avec la complicité de Ian Partridge et Christopher Keyte (grisants Zefiro torna et Mentre vaga Angioletta), puis un bouquet de pièces à voix seule du Seicento où s’épanouit la rhétorique raffinée du ténor alors au zénith (Caccini, Calestani, Da Gagliano, Del Turco, Peri, Rasi, Saracini). C’est à la fois beaucoup et bien peu, selon la formule consacrée. L’édition spéciale des 75 ans ou de centenaire rendra peut-être justice à l’opéra. En attendant et pour un coût moindre, Archiv pourrait ressortir le Dido & Aeneas de 67 (Troyanos, Mackerras), honorer la mémoire d’Anthony Rolfe Johnson ou, cette fois du vivant de l’artiste, brosser le portrait d’Anne Sofie von Otter.

 

 
 

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