Avec Attila comme troisième volet de son festival 2018 – reprise de la version de concert donnée à l’automne dernier, mais avec une distribution en partie différente –, l’Opéra de Lyon propose un retour au Verdi première manière, ou plus exactement à cette période de transition qui précède immédiatement la composition de Macbeth. Il nous donne ainsi un éclairage rétrospectif sur sa genèse et sur celle des opéras suivants.
L’argument est emprunté à une pièce allemande (1808) de Zacharias Werner, surtout connue en dehors de l’Allemagne par le résumé qu’en fait Madame de Staël dans De l’Allemagne. L’intrigue oppose la jeune Odabella, fille du seigneur d’Aquilée, à Attila, ennemi de son peuple et meurtrier de son père. Fasciné par l’ardeur patriotique de la jeune fille, le roi des Huns lui offre son épée, avec laquelle elle le tuera à la fin de l’opéra. Entre-temps, Attila s’est épris d’elle et voudrait l’épouser mais Odabella est déjà fiancée à Foresto qu’elle aime. Elle ne voit en Attila qu’un Holopherne pour qui elle sera une nouvelle Judith. Le général romain Ezio propose à Attila de lui abandonner le monde à condition qu’il lui laisse l’Italie. Devant le refus d’Attila, il s’allie à Foresto pour combattre le chef barbare, lui-même ébranlé par la réalisation d’un rêve prophétique dans lequel un vieillard – qui se révèle être saint Léon – lui interdit l’entrée de Rome, cité de Dieu. Quelques péripéties émaillent l’action.
Si l’on peut être surpris, après avoir entendu successivement Macbeth et Don Carlos les deux jours précédents, par le côté abrupt du Prélude, la sécheresse de la composition du chœur initial et la dimension ostentatoire du martèlement rythmique, la direction de Daniele Rustioni obtient de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon de beaux moments lyriques comme l’introduction de l’acte I – suggérant la nuit et la lune qui se reflète dans le ruisseau –, et une interprétation réussie des figuralismes, notamment la tempête, puis l’éclat du soleil dans le Prologue.
Dans le rôle-titre, qu’il n’avait pu chanter à l’automne pour raisons de santé, Dmitri Oulianov est souverain, dans l’affrontement comme dans l’admiration amoureuse, grâce à une basse équilibrée et homogène, bien projetée et capable de subtiles inflexions. Quoique doté d’une voix moins sonore, Alexei Markov prête le timbre flatteur de son baryton au général romain Ezio, contribuant ainsi à de beaux duos (comme celui du partage du monde avec Attila) et au magnifique trio à l’acte III (« Te sol, te sol quest’anima ») montrant toute l’importance vocale de cette tessiture, alors que le personnage est par ailleurs sans grande consistance sur le plan dramatique.
La soprano russe Tatiana Serjan, Odabella d’une envergure et d’une énergie peu communes, révèle ses qualités de soprano dramatique colorature dans son interprétation des airs périlleux composés pour le rôle. En l’écoutant, on comprend à quel point Lady Macbeth, mais aussi Élisabeth dans Don Carlos, procèdent d’Odabella. Dans sa première intervention, « Santo di patria », la puissance et la précision de la voix impressionnent, tout autant que le contre-ut et la vertigineuse descente – de plus de deux octaves – dans les graves. Mais Tatiana Serjan excelle aussi dans les airs plus tendres, comme la romance de l’acte I.
Avec Massimo Giordano, le personnage de Foresto bénéficie d’une incarnation parfaitement réussie : voix souple de ténor lyrique, belle longueur de souffle, émission aisée dans les différents registres, parfaite maîtrise des difficultés techniques – qui le conduit d’ailleurs à plusieurs reprises à signaler au chef, d’un geste, le moment où la fin de ses notes tenues permettra à l’orchestre de reprendre.
Les Chœurs de l’Opéra de Lyon ponctuent l’action avec talent, dans ce troisième et dernier volet d’un festival Verdi qui permet de voyager à travers les différentes époques de création de son œuvre.