Cette rentrée, Madame Butterfly est programmée à Paris en septembre, et à Tours en octobre, sans oublier l’exposition « Le bouddhisme de Madame Butterfly » à Genève, autour du japonisme dans les arts. C’est l’occasion de se pencher sur l’essor que connut l’affiche d’opéra en Italie dans les années 1900.
Entre 1890 et 1914, l’opéra italien connut ses dernières heures glorieuses, qui furent accompagnées d’une floraison artistique récemment célébrée par le Musée d’Orsay avec l’exposition « Dolce vita ? Du Liberty au design italien ». A l’époque où, en France, Mucha et Chéret faisaient triompher l’Art Nouveau dans leurs affiches publicitaires, les graphistes italiens rivalisèrent d’inventivité pour attirer l’attention du public sur les créations de Puccini, Mascagni ou Montemezzi. Plusieurs d’entre eux avaient des origines germaniques, ou étaient natifs de Trieste, la plus MittelEuropa des villes d’Italie.
Adolfo Hohenstein (Saint-Pétersbourg, 1854 – Bonn, 1928) est généralement considéré comme le père de cette école d’artistes. Après une enfance viennoise, il devient en 1880 costumier et décorateur pour La Scala de Milan. Quelques années auparavant, la maison d’édition musicale Ricordi décide de se doter de ses propres presses, en important du matériel lithographique allemand. A partir de 1889, la firme commande à Hohenstein les affiches de ses plus grandes créations, et il en devient rapidement le directeur artistique. Son nom est associé aux premières œuvres de Puccini depuis Edgar (1889) : La Bohème (dont il conçoit aussi les décors, 1896), Tosca (1899), Madama Butterfly (1904). Hohenstein privilégie les scènes mélodramatiques (Tosca qui vient d’assassiner Scarpia, Butterfly se suicidant sous les yeux de son enfant), et l’on retrouve l’éclairage en contre-plongée dans son affiche pour Germania de Franchetti (1902). Pratiquant en général un style réaliste, comme pour Falstaff (1893), il crée néanmoins son chef-d’œuvre avec une somptueuse Iris de Mascagni (1898), où l’acidité des couleurs oniriques est compensée par la sensualité des courbes typique de l’Art Nouveau. En 1906, il part s’installer en Allemagne, mais laisse derrière lui toute une équipe de graphistes inspirés.
Leopoldo Metlicovitz (Trieste, 1868 – Ponte Lambro, 1944) est engagé par Ricordi en 1893. D’abord dans l’ombre du directeur artistique, il conçoit néanmoins des affiches « rivales » pour les mêmes opéras et travaille aussi sur les produits dérivés liés à ces œuvres. Chargé notamment de décorer les pochettes de cartes postales inspirées par les titres à succès, il opte en général pour un portrait beaucoup plus serein de l’héroïne : une assez terne Iris (cartes postales dessinées par Hohenstein et Mataloni), une placide Tosca et une Butterfly passive (pour ces deux opéras, les cartes postales lui sont également confiées). Plus jeune que le maître, il pratique un style plus moderne, plus « Liberty ». On lui doit notamment une affiche pour une reprise de Manon Lescaut en 1907, puis pour les créations d’Amica de Mascagni (1911), et de Melenis de Zandonai (1912). Il sert aussi le répertoire étranger : Hans le joueur de flûte, de Louis Ganne (1907) ou Rêve de valse, d’Oscar Strauss (1910). Il travaille pour le cinéma, avec notamment une affiche pour la version cinématographique de Pagliacci (1915).
D’origine polonaise – son vrai nom était Laskowski –, Franz Laskoff (Bromberg, 1869-1921) semble s’être fait une spécialité de la musique religieuse, notamment des oratorios du père Hartmann (Sankt Petrus, 1900) et de Don Lorenzo Perosi : Le Massacre des innocents (1900) et Moïse (1901).
Peut-être à cause de son trait par trop ironique, le plus célèbre des affichistes italiens de la Belle Epoque n’a jamais conçu aucune image pour l’opéra ! Leonetto Cappiello (Livourne, 1875 – Cannes, 1942) n’en fut pas moins employé par Ricordi, puisque grâce à ses presses, l’éditeur de musique en était venu à proposer ses services à toutes sortes d’entreprises, comme le Corriere della Sera ou les magasins de prêt-à-porter Mele. Rappelons par ailleurs que son premier dessin publié fut une caricature de Puccini (Le Rire, 1898).
Pourtant l’un des plus doués de sa génération, Marcello Dudovich (Trieste, 1878 – Milan, 1962) travailla très peu pour l’opéra. On lui doit l’affiche pour Hellera de Montemezzi (1909). Petite curiosité : il signa l’année suivante l’affiche de La secchia rapita, opéra signé d’un certain Jules Burgmein, pseudonyme derrière lequel se cachait Giulio Ricordi en personne.
Luigi Emilio Caldanzano (Cagliari 1880 – Gênes, 1928), semble n’avoir été sollicité que pour L’amore dei tre re de Montemezzi (1913). Enfin, le benjamin, Giuseppe Palanti (Milan, 1881 – Milan, 1946), commence par adopter un style réaliste aux résultats assez contestables (notamment pour la création européenne de La Fanciulla del West, 1911), mais trouve bientôt sa voie avec les très voluptueuses Isabeau de Mascagni (1912) ou Francesca da Rimini (1914). En 1913, pour le centenaire de la naissance des deux compositeurs, il avait conçu les affiches d’un Hommage à Wagner et d’un Hommage à Verdi ; il devait ensuite dessiner celle du Parsifal donné en janvier 1914 à Milan, comme dans la plupart des capitales européennes.
Bien entendu, la Première Guerre mondiale allait porter un coup sévère à cet art de l’affiche, qui ne se releva que partiellement, une fois la paix revenue. En 1919, Metlicovitz dessina trois affiches pour la création italienne du Trittico. En 1926, servant Puccini pour la dernière fois, et à titre posthume, il conçut l’affiche de Turandot. Mais l’opéra italien était alors moribond…