Il fallait le mériter, ce concert au Théâtre des Champs-Elysées, alors que même les stations de métro de la ligne 1 étaient fermées pour cause de manifestation, mais ceux qui auront eu la chance d’y assister s’en souviendront pour de plus belles raisons. Ce 9 janvier, l’Orchestre de chambre de Paris offrait une chance de rattrapage à ceux qui n’avaient pu aller l’été dernier à la Côte-Saint-André, puisqu’il redonnait au TCE le programme créé le 27 août au festival Berlioz.
Avec une différence majeure, toutefois : sur les quatre œuvres réunies, la première avait changé, puisqu’à Siegfried-Idyll s’était substitué la Symphonie n° 85 de Haydn. Cette magistrale symphonie parisienne, partition la plus ancienne du concert, était paradoxalement rapprochée de la plus récente, les Poèmes spirites d’Arthur Lavandier, commande de Bruno Messina pour faire écho aux Nuits d’été de Berlioz. Le compositeur né en 1987 devait donc respecter certaines contraintes : mettre en musique six poèmes pour voix et orchestre, sur des thèmes proches. Dans les textes de Frédéric Boyer qu’il a choisis, il est très souvent question de l’été, bien davantage que chez Berlioz, d’ailleurs, mais aussi de départ, d’amour et de mort, comme dans les poèmes de Théophile Gautier. Après « La Reine » de Haydn est donc apparue la princesse Stéphanie d’Oustrac, créatrice de ce cycle qu’elle donnait donc pour la seconde fois. Affichant un sourire mutin, félin, la mezzo-soprano semble chez elle dans ces pages sans doute écrites sur mesure. Elle peut y explorer des registres divers, du chant syllabique de « Fleurs d’été », où elle énumère à plusieurs reprises des noms de plantes, à l’épanchement plus généreux qu’appellent par moments les autres mélodies. Dans « Vers là-bas », l’orchestre tisse une toile impalpable par-dessus laquelle la voix se déploie ; parfois, c’est la pulsation rythmique qui frappe, dans « Une vie perdue ». Et avec « Oh je t’obéirai » tout se termine sur la pointe des pieds. Arthur Lavandier, tout sourire, puis Frédéric Boyer viennent recueillir leurs parts des applaudissements du public.
Après l’entracte, le programme renonce au grand écart chronologique pour proposer au contraire deux œuvres proches dans le temps, mais aussi dans l’esprit et même dans le titre : à l’ouverture pour le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (1826) répondent Les Nuits d’été (1841) de ce fanatique de Shakespeare qu’était Berlioz. Chez l’Allemand, Douglas Boyd met fort bien en valeur les contrastes entre l’appel magique des flûtes, le frémissement d’ailes des fées traduit par les cordes, la pompe (et les braiments) des humains dont se chargent les cuivres.
Stéphanie d’Oustrac revient pour une œuvre qu’elle connaît fort bien, notamment pour l’avoir récemment enregistrée dans sa version avec piano : si ce disque nous avait inspiré quelques réserves, elles tombent à l’écoute de l’interprétation de ce soir. Certes, la Villanelle paraît encore un peu guindée, là où l’on aimerait un sourire moins figé. Mais ce n’est finalement qu’un détail auprès de la splendeur de l’interprétation des autres pièces : admirable « Spectre de la rose », superbement mené de bout en bout ; dramatisme de « Sur les lagunes », où sont mobilisées toutes les ressources du grave de la voix ; « Absence » aux nuances parfaitement maîtrisées ; « Au cimetière » où la qualité du chant n’empêche nullement de s’étonner une fois encore de l’inventivité de Berlioz pour évoquer à l’orchestre le passage des fantômes ; et enfin, une « île inconnue » d’une espièglerie souveraine, qui réussit toutefois à ne jamais basculer dans la parodie. Et c’est avec un franc sourire que l’artiste reçoit au terme de la soirée une ovation bien méritée.