« Les fruits de l’amour passent, ceux de l’art sont immortels ». Berlioz a-t-il voulu contredire Balzac et son Chef d’œuvre Inconnu ? Dans Benvenuto Cellini, il nous montre un héros qui aime davantage qu’il crée. Et quand il se rappelle qu’il est un créateur, c’est pour s’en repentir (« La gloire était ma seule idole », son air du deuxième tableau, souvent coupé, heureusement rétabli ici) ou pour s’en plaindre (« Sur les monts les plus sauvages »). Cellini chez Berlioz est sculpteur comme il aurait pu être poète, chaudronnier, paysan ou notaire. Son métier ne sert pas à délivrer un discours de l’esthétique ni à méditer sur l’incompréhension qui sépare les hommes. Il n’est pas Tannhäuser, ni même Walther von Stolzing. Il est amoureux et, son amour entraînant péripéties et imbroglios, irréductiblement personnage de comédie.
Face à l’échec de la création de l’œuvre en 1838, Théophile Gauthier avait écrit que pour retourner le public, « il aurait fallu écrire tout simplement sur l’affiche : Opéra bouffe ». Terry Gilliam l’a entendu au point même de dépasser probablement ses attentes les plus folles. Non seulement il n’y a pas une scène qui n’ait son gag, pas un pas qui ne se transforme en chute, mais cette comédie vire dès l’ouverture au cirque, avec son agitation, ses marionnettes géantes qui surgissent entre les rangées de l’orchestre et ses confettis qui pleuvent sur la salle, ses figurants surexcités qui peuplent l’espace sans laisser un instant de répit, ni un mètre carré de scène inoccupé. Impressionné et un peu séduit par tant de maîtrise, tant de verve, tant d’humour, on aurait sans doute exprimé quelques réserves devant tant d’exubérance muette, tant de moyens au service de la seule forme. Mais Gilliam sait choisir ses moments pour se montrer homme de théâtre : dans son spectacle frénétique, il verse, lors de la belle transition entre les deux parties du deuxième tableau comme dans l’intervention joliment déconstruire d’un pape qu’on sent trop heureux de se divertir en contemplant des marbres dénudés, une charme qui donne à ses blagues de potache des faux airs de poésie.
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Et finalement, son parti consistant à faire rire en poussant Benvenuto Cellini dans les derniers retranchements de l’opéra comique n’est pas incohérent, ni avec le livret, ni avec une partition où Berlioz s’amuse lui-même en se jouant des codes du grand opéra à la française, qu’il intègre, ingère et digère pour mieux les malaxer, les transformer, les broyer sous le poids de son orchestre immense qui cherche toujours l’effet de surprise. Dommage que la direction de Philippe Jordan, très accrochée à la mesure en ce soir de première, ne soit pas tout à fait au diapason ; il avait pourtant devant lui le meilleur des instruments : des musiciens impeccables.
Impeccables également, les choristes – au point qu’on tient à les citer ici avant les solistes, tant ils se montrent à la hauteur des exigences de leurs nombreuses interventions, un enchantement pour chacune d’entre elles. La distribution offre des bonheurs plus mélangés : joie d’entendre en la personne de John Osborn un Cellini idéal dans l’héroïsme comme dans l’élégie, aux aigus presque irréprochables. Enthousiasme devant l’Ascanio fougueux de Michèle Losier, qui se taille un franc succès dans ce qui est à peu près le seul « tube » de l’œuvre (« Mais qu’ai-je donc ? »), et devant l’abattage vocal et scénique de Pretty Yende, qui fait rapidement oublier les menus problèmes d’intonation qu’elle montre en début de soirée. Mais circonspection face au Balducci peu audible de Maurizio Muraro, au Fieramosca plus sonore, mais nanti d’une élocution brumeuse, d’Audun Iversen. N’y avait-il aucun chanteur francophone capable d’endosser ces rôles ? Parmi ces seconds rôles frustrants, seul le Clément VII de Marco Spotti tire son épingle du jeu en faisant s’esclaffer la salle : ce soir, il fallait prendre le parti d’en rire !