La Cité Bleue, c’est le projet genevois dont Leonardo García Alarcón dit vouloir faire dorénavant le centre de ses activités (foisonnantes). Le théâtre est en pleins travaux et devrait être livré début 2024. En attendant, se déroule une saison hors les murs. Les deux premiers concerts viennent de se donner dans des lieux inédits, tellement idoines qu’on se demanderait presque s’il est vraiment besoin d’un lieu fixe. Le plus important, n’est-ce-pas, c’est le public. Sold out, pour le concert Rome samedi 25, comme pour le concert Jérusalem dimanche 26.
C’est ainsi que les polyphonies romaines se déployèrent dans le vaste hall de la Cité universitaire. Une résidence universitaire genevoise, c’est un lieu d’une architecture moderniste exaltante. De très hautes parois de verre (les fenêtres des chambres d’étudiants), des oriels cubistes, un espace tout en longueur, avec de vastes escaliers à chaque extrémité, où s’étageraient les voix du Chœur de chambre de Namur. Et surtout une acoustique ample digne de Saint Jean de Latran et des éclairages mobiles virtuoses, pour que se déploient avec évidence les savantes polyphonies de Luigi Rossi et les motets de Scarlatti père. La Cappella Mediterranea était au centre, en petite formation autour de l’orgue de Leonardo García Alarcón. Le Miserere d’Allegri (ou les dentelles musicales aériennes de Maria Chiara Ardolino purent se perdre dans les faisceaux bleutés) allait précéder quelques pièces quasi inconnues d’un compositeur qui ne l’est pas moins, Giovanni Giorgi (vénitien comme son nom d’origine, Zorzi, en attestait). Des Offertoires d’une volupté surprenante, typiques des polyphonies du XVIIIème siècle, et, jadis découverte en manuscrit par García Alarcón à la bibliothèque du Vatican, une Messe en la majeur, d’une savante et quasi expressionniste polyphonie. Surtout, l’impression d’être plongé à l’intérieur du son, et porté par la force de ces lignes musicales puissantes.
Une Jérusalem imaginaire
Le concert Jérusalem allait être encore plus étonnant. L’église Ste Thérèse dans les beaux quartiers de Genève est une ré-interprétation Art-Déco des basiliques romaines. Déambulatoire et haut plafond de bois éclairé par des verrières d’albâtre, elle fut le lieu d’une insolite et envoûtante célébration, conçue par Simon-Pierre Bestion et sa Cie La Tempête. Des éclairages dorés, des projections de calligraphies arabes ou hébraïques, le jour qui lentement tombait… S’entremêlèrent dans la pénombre des chants byzantins, un Psaume de Schütz (en allemand), un autre (en hébreu) de Salomone Rossi, des extraits des Lamentations de Jérémie (en latin) de Robert White, une prière en slavon d’Arvo Pärt, un extrait de la Liturgie de St Jean Chrysostome de Rachmaninov, une chanson yéménite en hébreu par la voix enivrante de Milena Jeliazkova (qu’on entendit aussi improviser en arménien et en bulgare) et, dans des pièces en arabe, les mélismes quasi hypnotiques de Georges Abdallah.
Singulière célébration universaliste, où s’entrelaçaient en parfaite entente les modalités juives, arabes et chrétiennes, dans une manière de rituel humaniste vertigineux. Créé en 2019 à Saint-Denis, repris plus tard à Vézelay, d’une spiritualité mystérieuse et rayonnante, ce concert aux allures de cérémonie donnait à réfléchir dans la ville où naquit la Société des Nations.