Pour sa première retransmission de la saison dans les cinémas, le Met a choisi Aïda, dans la fameuse mise en scène de Sonja Frisell que les mélomanes connaissent bien puisqu’elle a fait l’objet d’une publication en vidéo avec Placido Domingo et Aprile Millo lors de sa création en 1988 et que le Met l’a déjà proposée dans les salles obscures en 2012 avec Roberto Alagna et Liudmyla Monastyrska. C’est sans doute la présence d’Anna Netrebko qui chante pour la première fois le rôle-titre sur la scène new-yorkaise qui justifie cette nouvelle diffusion.
Plastiquement, cette production est superbe et n’a nullement vieilli. Ses décors monumentaux couleur sable et les costumes presque uniformément blancs des choristes et des figurants lui confèrent une certaine sobriété à des lieues du clinquant ou du kitch que cet ouvrage inspire quelquefois. Un spectacle traditionnel en somme et de bon goût, soutenu par une direction d’acteurs efficace et sans esbroufe.
La distribution est largement dominée par les deux protagonistes féminines, en premier lieu par l’exceptionnelle prestation d’Anna Netrebko qui a bien mûri son personnage tant sur le plan vocal que dramatique depuis sa prise de rôle à Salzbourg en 2017. Son Aïda aujourd’hui se hisse au niveau des plus grandes titulaires du rôle. Elle interprète ses deux airs avec un égal bonheur, dans « Ritorna vincitor », sa voix capable d’alterner d’impressionnants aigus forte avec d’impalpables demi-teintes, lui permet d’exprimer tous les affects du personnage, la colère, la terreur, le désespoir, tandis que son « O Patria mia » au III, nostalgique et poignant à la fois, est couronné par un somptueux contre-ut pianissimo émis avec une aisance confondante qui lui vaut une ovation on ne peut plus méritée. Dans la scène qui l’oppose à son père, la détermination dont elle fait preuve fait de cette Aïda une femme volontaire, loin de la réputation d’oie blanche attachée à cette héroïne. Durant l’entracte, la soprano confie avec humour que l’une des difficultés du rôle est de trouver une manière différente de chanter la vingtaine de « pietà » qui émaillent son texte.
Face à elle, Anita Rachvelishvili ne démérite pas. Prudente en début de soirée, son Amnéris gagne peu à peu en autorité et en assurance. Son timbre somptueux, la profondeur de ses graves, la puissance de ses aigus font merveille dans son affrontement avec Aïda au deux qui atteint des sommets rarement égalés tout comme sa grande scène du quatrième acte, d’une intensité dramatique spectaculaire.
Hélas le héros dont ces deux femmes se disputent les faveurs est à la peine. Plus à l’aise dans les passages héroïques où sa voix de stentor fait illusion, Aleksandrs Antonenko est mis en difficulté dès son entrée en scène. Peu d’émotion et pas davantage de sensualité dans son « Celeste Aida », chanté constamment forte, au cours duquel la justesse n’est pas toujours au rendez-vous, pas la moindre tentative non plus de nuancer le si bémol final lancé à pleins poumons. Si le ténor letton se montre plus convaincant dans la scène du triomphe ou dans le trio avec Aïda et Amonastro au quatre, ses écarts de justesses gâcheraient presque le duo final dans lequel Netrebko déploie pourtant des trésors de raffinement et d’émotion contenue.
Le reste de la distribution, conforme au niveau auquel le Met nous a habitués, n’appelle aucune réserve. Citons notamment l’excellent Amonastro de Quinn Kelsey, le Ramfis au grave solide de Dmitry Belosselskiy et La prêtresse à la voix pure et lumineuse de Gabriella Reyes.
La battue puissante et contrastée de Nicola Luisotti se révèle aussi convaincante dans les grands ensembles qu’il dirige de façon spectaculaire que dans les scènes intimistes où il souligne minutieusement chaque détail.
Le 20 octobre prochain, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live Samson et Dalila avec Roberto Alagna et Elina Garanča.