La basse américaine est morte le 4 février dernier à l’âge de 83 ans. D’origine ukrainienne (ce qui lui conférera sans doute une certaine affinité avec le répertoire russe), Paul Plishka était né le 28 août 1941 à Old Forge en Pennsylvanie (population au dernier recensement : 8 524 habitants). Après des études de chant auprès du pédagogue renommé Armen Boyajian (qui compta parmi ses élèves Marisa Galvany, Samuel Ramey et, plus récemment, Eric Owens), il chante avec le Paterson Lyric Opera (une compagnie itinérante) puis la Metropolitan Opera National Company. Il fait ses débuts avec le Metropolitan de New York le 27 juin 1967 : il chante d’abord le Bonze en concert dans Madama Butterfly avec Martina Arroyo, dans le cadre des Met Parks Performances dans le Bronx, puis Roberto dans I Vespri Siciliani à Newport le 23 août (Virginia Zeani y fait sa dernière apparition avec le Met). Enfin, il débute sur la scène du Lincoln Center le 21 septembre, en incarnant un moine dans La Gioconda aux côtés de Renata Tebaldi, Flaviano Labò, Sherrill Milnes, Bonaldo Giaiotti et Rosalind Elias. Il chantera 1672 représentations avec l’institution new-yorkaise, jusqu’au 10 mars 2018 où il fait ses adieux en Benoit et Alcindoro dans La Bohème. Il est ainsi le huitième chanteur sur cette scène en termes de nombre de représentations. Mais si les sept premiers du classement sont essentiellement des comprimari, Paul Plishka fut également appelé à défendre des rôles plus importants, voire des premiers rôles. Toujours entre quelques Sacristains de Tosca et autres Roi (et plus tard Ramfis) dans Aida, il chante ainsi, à partir du début des années 70, des rôles plus exposés : Bartolo dans les Nozze de Figaro, Raimondo dans Lucia di Lemmermoor, Oroveso dans Norma (1970, avec Joan Sutherland et Marilyn Horne), Leporello dans Don Giovanni, Ferrando dans Il Trovatore (1971), Colline cette fois dans La Bohème (1972), Le Roi Marke dans Tristan und Isolde (1974, avec Jess Thomas et Birgit Nilsson), Procida dans I Vespri Siciliani (1974, avec Nicolai Gedda et Montserrat Caballé), Pimène dans Boris Godounov (1974, avec Marti Talvela) puis le rôle-titre en 1987, Méphisto de Faust (1976), le Prince Grémine dans Eugène Onéguine (1978), un émouvant Filipo dans Don Carlo (1980, avec Vasile Moldoveanu, Renata Scotto, Sherrill Milnes et Tatiana Troyanos), Banco dans Macbeth (1982), Fiesco (15 ans après Pietro) dans Simon Boccanegra (1984), Falstaff (1992), Pagano dans I Lombardi alla Prima Crociata (1994)… Son répertoire s’étend de Haendel (Samson avec Jon Vickers) à Britten (Billy Budd) et Stravinsky (en passant par Wagner (Daland, Titurel). À partir des années 2000, il se fait plus rares dans les rôles de premiers plans (Dulcamara de L’Elisir d’amore), mais apparait toujours régulièrement dans Tosca ou La Bohème. Il se produit également avec l’Opera Orchestra of New York. Nous ne citerons que quelques ouvrages parmi plus de 20 concerts : I Masnadieri (1974 et 1999), Gemma di Vergy (1975, avec Montserrat Caballé), Le Cid (1976, avec Plácido Domingo et Grace Bumbry), Dalibor (1977), Lakmé (1981, avec Mariella Devia et Nicolai Gedda), Libuše (1986), Linda di Chamounix (1994), La Fiancée du Tsar (1995), Ernani (1996), La Juive (1999, il y remplace au pied levé un chanteur défaillant !), et enfin Adelia de Donizetti (2000, avec Mariella Devia).
Parallèlement, Plishka poursuit une belle carrière internationale. Il est Banco à Munich dès 1973. A l’Opéra de Paris, il sera Padre Guardanio dans La Forza del destino (1976 et 1981) et Fasolt (Rheingold, 1978). Il est régulièrement invité aux Chorégies d’Orange : Macbeth (1978, avec Grace Bumbry et Ingvar Wixell), La Forza del destino (1982, avec Montserrat Caballé), Aida (1983), Simon Boccanegra (1985, la seule Amelia Grimaldi de Caballé) et Hérodiade (1987, soirée catastrophe avec l’annulation de Montserrat Caballé, d’Elena Obratzsova et de José Carreras). A la Scala, il chante notamment dans Boris Godounov (1981, sous la direction de Claudio Abbado), le Requiem de Verdi (1981, 1989 et 1992), Anna Bolena (1982, des représentations houleuses où Montserrat Caballé, chahutée à la première fut remplacée par la jeune Cecilia Gasdia), Nabucco (1988, sous le bâton de Riccardo Muti), I Capuleti e I Montecchi (1988, toujours avec Muti). Cette même année, il aura droit à un récital avec piano consacré à des mélodies de Tchaikovsky et de Rachmaninov (il ne devait y avoir grand monde).
Le répertoire de Paul Plishka est estimé à environ 88 rôles. Il aborde une grande variété de styles, avec toujours la même intégrité et le même professionnalisme. Il laisse également un splendide legs discographique ou vidéographie : Norma (avec Beverly Sills et avec Renata Scotto, les deux fois sous la direction de James Levine), Anna Bolena et I Puritani (Sills), Faust (Aragall et Caballé), Les Contes d’Hoffmann (Sutherland et Bonynge), Turandot (Caballé, Carreras, Freni), La Bohème (Scotto, Kraus, Levine), La Forza del destino (Muti),Boris Godounov (Rostropovitch), Le Nozze di Figaro (Levine), Luisa Miller (Levine), The Rake’s progress (Ozawa), Le Cid et Gemma di Vergy déjà cités, au moins trois Requiem de Verdi, le Stabat Mater de Rossini, quelques récitals…
Sa voix était profonde, sa tessiture étendue et son timbre typé était bien reconnaissable. Sa projection lui permettait de remplir sans problème les plus grandes salles. Si le rôle lui en donnait l’occasion, il pouvait se révéler un excellent acteur (les vidéos de Don Carlo ou de Falstaff en témoignent). Valeur sure, sa présence dans la distribution était un gage de qualité et les aficionados lyriques gardaient toujours pour lui une grande affection. Avec Paul Plishka, on perd un peu un vieil ami de la famille.
La basse américaine fut également au coeur d’un terrible drame. Le 27 juillet 1991, le cadavre de Laura Lynne Ronning, 23 ans, est retrouvé dans un sous-bois. Le jeune fille été abattue d’un balle dans la tempe. Elle a été violée, peut-être même après le meurtre. Les soupçons se portent sur Jeffrey Plishka, le fils de Paul Plishka, lequel possède une ferme pas loin de là. Il est la dernière personne à l’avoir vue vivante. Mais, peu de temps après, Jeffrey disparait : en fait, son père va le cacher pendant les 18 années suivantes. Jeffrey déménage d’un État à l’autre, son père aussi. Il ne peut jamais exercer jamais de travail fixe. Sa vie de fugitif se termine en 2009 quand il est finalement arrêté. Une expertise ADN semble l’accuser et ses déclarations confuses (Jeffrey est déficient mental) ne plaident pas en sa faveur. Il risque la peine capitale. Pourtant, au terme du procès, le jury optera pour l’acquittement : la balle qui avait tué la jeune fille ne provenait pas du chargeur de l’arme à feu appartenant à Jeffrey comme la Police le pensait initialement. Jeffrey Plishka meurt en 2017.