Nous lui avions fêté ses quatre-vingt-dix ans avec un peu de retard. C’est sans doute que nous la pensions éternelle. A peine un mois après, Sena Jurinac nous a quittés. Il est des artistes dont la statue se sculpte de leur vivant, et d’autres comme Sena Jurinac dont la présence familière reste indéfinissablement proche, des années après leur retrait. Depuis 1982, Sena Jurinac s’était retirée des scènes et avait manqué l’anniversaire préparé pour elle par Dominiquer Meyer à l’Opéra de Vienne. Venue d’un autre monde, d’un autre temps, celui de la Mitteleuropa de l’entre-deux-guerres, née à Zagreb, elle prit très naturellement la nationalité viennoise de sa mère après ses débuts. Appelée par Karl Böhm dans la troupe du Staatsoper, elle en reste membre jusqu’à son retrait de la scène. Elle y tint alors tout le répertoire mozartien et straussien, avec des incursions mémorables dans Verdi (Elisabeth de Valois), Puccini (Tosca, Butterfly déchirantes) ou encore Massenet. L’humanité de son chant rend indispensables aussi ses témoignages dans le Lied. L’Opéra de Vienne lui consacrera une exposition rétrospective. Adieu, Madame – et comptez sur nous pour sculpter votre statue. (SF)