Pour sa dernière retransmission de la saison dans les cinémas, Le Metropolitan Opera a choisi d’offrir aux spectateurs du monde entier la nouvelle production du Chevalier à la rose signée Robert Carsen dans laquelle Renée Fleming faisait ses adieux à la Maréchale, un rôle qu’elle avait mis à son répertoire dès 1995 et qu’elle a ensuite interprété sur les plus grandes scènes internationales.
Le metteur en scène canadien transpose l’action à l’époque de la création de l’œuvre, c’est à dire juste avant la première guerre mondiale ce qui nous vaut de somptueux costumes signés Brigitte Reiffenstuel. Les décors monumentaux imaginés par Paul Steinberg en imposent : la superbe chambre de la Maréchale tapissée de rouge au premier acte, l’intérieur de la demeure de Faninal au deux, dont les murs gris clair sont ornés d’une frise représentant des guerriers grecs et enfin le lupanar aux teintes chaudes dans lequel se déroule le trois.
En parfaite osmose avec Sebastian Weigle qui propose une direction chatoyante et nerveuse, Carsen privilégie la comédie et parsème sa mise en scène de gags qui déclenchent l’hilarité de la salle. Pour cela il trouve en Günther Groissböck un acteur prodigieux qui campe un Baron Ochs haut en couleur, autoritaire, hâbleur, arrogant, parfois grotesque mais jamais tout à fait ridicule. La basse autrichienne possède en outre une largeur vocale qui en impose dans le medium. Face à lui, Elīna Garanča incarne un Chevalier délicieusement androgyne, d’une troublante sensualité lors de ses effusions avec la Maréchale, sachant cultiver l’ambiguïté au dernier acte lorsque son personnage apparaît au baron dans une tenue qui évoque Marlène Dietrich dans L’Ange bleu. Le timbre est somptueux et la voix, d’une couleur ambrée, homogène sur toute la tessiture se marie idéalement à celle de ses partenaires féminines, notamment Erin Morley dont les aigus brillants illuminent la scène de la présentation de la rose.
Les seconds rôles sont tous excellents, citons le Faninal truculent de Markus Brück, le couple d’intrigants formés par Alan Oke et Helene Schneiderman, rouée à souhait, le chanteur italien impeccable de Matthiew Polenzani qui de surcroît assure la présentation de la soirée et la duègne effarée de Susan Neves.
Dans son compte-rendu de la représentation du 21 avril Christophe Rizoud soulignait « la distinction, la dignité, le charme, l’onctuosité du timbre » de Renée Fleming mais aussi une « projection moindre » imperceptible évidemment au cinéma, En revanche les gros plans révèlent l’expressivité de son visage qui traduit avec subtilité tous les affects du personnage avec sans doute un surcroît d’émotion en cette dernière représentation de la série au cours de laquelle la soprano jette ses derniers feux dans un ouvrage qu’elle a particulièrement chéri. Que de nostalgie dans cet ultime « ja ja » qui met un point final définitif à son rôle.