Les Didon se suivent et ne se ressemblent pas. Après la très brève et très dense version de Purcell à l’Opéra-Comique, et avant la tragi-comédie héroïque de Cavalli en avril au Théâtre des Champs-Elysées, le marivaudage métastasien bâti sur le triangle Didon-Enée-Iarbas s’est installé pour un soir à Versailles. Recréée à Munich en mai dernier, la Didone Abbandonata de Hasse est revenue dans le palais français où elle avait été donnée en 1753. Grâces en soient rendues à Michael Hofstetter, qui se démène comme un beau diable à la tête de sa Hofkapelle München pour redonner vie à cette partition d’un compositeur encore trop négligé. Des six chanteurs que compte la distribution, les trois rôles principaux ne sont pas forcément ceux dont on tire les plus grandes satisfactions. La mezzo Theresa Holzhauser est une Didon beaucoup trop placide pour un rôle qui appelle une vraie tragédienne, et elle ne parvient guère à communiquer les émotions de son personnage. Bien qu’italien, Flavio Ferri-Benedetti offre en Enée une voix de contre-ténor qui rappelle les pires produits de l’école anglaise, et son timbre est proche de celui de Christopher Robson. Pour toutes les notes graves, il use et abuse de sa voix naturelle de baryton, tant et si bien que l’effet en devient vite lassant. Quand à ses mimiques déplacées et à ses intonations mesquines, on se dit qu’un bon contralto aurait incarné un personnage autrement plus viril. Cette remarque vaut un peu aussi pour Valer Barna-Sabadus : le rossignol roumain gazouille extrêmement bien et, resitués dans leur contexte, les quatre airs d’Iarba prennent tout leur sens (voir son disque récent), mais n’est-ce pas l’étrangeté du timbre qui plaît avant tout ? Les mêmes notes, émises par une voix de femme, ne pourraient-elles pas être beaucoup plus sonores, plus vibrantes ? On se tournera alors vers les trois comparses, dont l’émission franche et l’investissement font plaisir à entendre. Le baryton Andreas Burkhart brille dans deux airs vocalisants, tandis que les sopranos Magdalena Hinterdobler et Maria Celeng débordent de virtuosité et d’intensité dramatique. Pour renaître, Hasse a-t-il vraiment besoin de contre-ténors ? La question mérite d’être posée.
Johann Adolf Hasse, Didone Abbandonata (1742), Opéra royal de Versailles, samedi 10 mars, 20h