Jorge Lavelli s’est éteint dans la nuit du 8 au 9 octobre 2023. Avec lui disparait l’un des derniers grands metteurs en scène qui auront marqué de leur originalité et de leur audace le théâtre de la fin du siècle dernier : Patrice Chéreau, Peter Brook, Antoine Vitez, Jean-Pierre Vincent, entre autres. En 1975, sa production spectaculaire de Faust dans des décors monumentaux de Max Bignens aura fait entrer la modernité sur la scène de l’Opéra de Paris.
Né en Argentine le 11 novembre 1932, Jorge Lavelli arrive à Paris en 1960 en tant que boursier du fond national des arts de son pays, et finit par s’y installer. Il suit les cours de Charles Dullin et de Jacques Lecoq, rejoint le théâtre des Nations où il croise Jean Vilar et obtient le grand prix du concours national des jeunes compagnies pour Le Mariage de Victor Gombrowicz. Dès lors, sa carrière est lancée, il monte avec succès les pièces de son compatriote Copi et très vite rejoint les rangs des metteurs en scène dits d’avant-garde des années 70, avec ses productions des œuvres d’Arrabal, Obaldia, Handke, Pinter, Rezvani, etc… Naturalisé français en 1977, il fonde le Théâtre national de la Colline qu’il dirige de 1987 à 1996. Durant sa carrière il aura signé les mises en scène d’une centaine de pièces de théâtre et d’une cinquantaine d’opéras. Dès 1975 en effet il monte avec succès un surprenant Idoménée à l’Opéra d’Anger. Dans la foulée, Rolf Liebermann lui confie une nouvelle production de Faust à Garnier qui déclenche un scandale retentissant. La première représentation se déroule dans un climat houleux, des spectateurs huent pendant la musique, d’autres réclament le silence, certains en viennent aux mains. Le chahut atteint son paroxysme lors du retour des soldats portant béquilles, pansements et plâtre. Cette vision antimilitariste de la guerre aura profondément choqué les vieux abonnés conservateurs et conformistes de la maison. Pourtant, depuis lors, on la retrouve dans la plupart des productions de l’ouvrage. Le spectacle finira par trouver son public et sera repris avec succès jusqu’en 2003 à la Bastille. Entretemps, fidèle à l’Opéra de Paris, Lavelli propose en 1977 un superbe Pelléas, bientôt suivi par Madame Butterfly, L’enfant et les sortilèges et Œdipus Rex avec Susanne Sarroca récemment disparue. Dardanus, le spectacle d’ouverture du règne de Bernard Lefort en 1980, sera son seul échec aux yeux de la critique. Lavelli reviendra avec Salomé en 1985, La Célestine de Maurice Ohana en 1988, La Veuve Joyeuse en 1997 et enfin Ariodante en 2001 dont l’accueil restera mitigé. Sa dernière production pour l’OnP sera Medea de Rolf Liebermann présenté en 2002 sur la scène de l’Opéra Bastille. Le Festival d’Aix l’invite aussi régulièrement, il y met en scène notamment Le Carnaval de Venise de Campra en 1975, La Traviata deux ans plus tard avec Sylvia Sass, Alcina en 78 avec Christiane Eda-Pierre et Teresa Berganza, Les Noces de Figaro en 79, La Flûte enchantée en 89 et L’enlèvement au sérail en 90. En 1977 il monte un remarquable Fidelio à Toulouse et en 1981 Le Château de Barbe-Bleue et L’Heure espagnole à Nancy. En 1982, il réalise la mise en scène des Arts florissants de Marc Antoine Charpentier dirigés par William Christie lors de la cérémonie de clôture du sommet des pays industrialisés à Versailles. En 2012, son remarquable Rienzi à Toulouse, sera sans doute sa dernière grande production lyrique. Enfin en 2016 il signe le livret et la mise en scène de L’ombre de Venceslao d’après Copi sur une musique de Martin Matalon à l’Opéra de Rennes. A l’étranger, citons Norma à Bonn (1983), Siroe à Venise (2000), Le Vaisseau fantôme à Naples (2003), Idoménée à Buenos Aires (2014).