Le 10 mai 1973, Carlo Bergonzi revient chanter à Vienne Riccardo dans Un ballo in maschera après dix ans d’absence. Ses débuts au Wiener Staatsoper remontent à 1959 : Aida dirigé par Herbert von Karajan. L’année suivante, son nom est à l’affiche d’Andrea Chénier et de Pagliacci. En 1961, il est invité dans La bohème, La Forza del Destino, Un ballo in maschera, Madama Butterfly et en 1963, dans Tosca. Puis, d’autres engagements l’attirent loin de la capitale autrichienne. Mais les Viennois ne l’oublient pas. Ce 10 mai 1973, avant même d’ouvrir la bouche, il est accueilli sur scène par une ovation comme nos théâtres – hélas – n’en connaissent plus. Le déluge d’applaudissements oblige l’orchestre à s’interrompre. Est-ce l’effet des acclamations ? Le ténor a mangé du lion. Cela s’entend dès l’attaque, mordue, lacérée, rugie avec l’ardeur du fauve déboulant dans l’arène. L’aigu, qui n’a jamais été son point fort, est pris par le bas. Peu importe. La voix s’élance pour dérouler sur un ruban de velours « La rivedra nell’estasi », avant que le La dièse tenu dans la cadence n’arrache au public de nouveaux cris de joie.
Quel était le nom du metteur de ce Ballo viennois ? On ne le sait plus. L’a-t-on jamais su ? L’époque ne s’embarrassait pas de regietheater. Nikša Bareza dirigeait le Wiener Staatsopernorchester. Ce chef d’orchestre, éminemment respectable, est mort en 2022 à Zagreb, sans que l’information ait été relayée par les médias francophones – à commencer par Forum Opéra. Pourtant, un demi-siècle après, la captation de cette soirée viennoise continue de circuler sur la toile. On l’écoute, on la réécoute, on la commente, on la like, on la partage… Preuve que sans les chanteurs, l’opéra ne survivrait pas.